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Gouvernance des entreprises publiques : le dépeçage en règle

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XALIMANEWS-Dans une vidéo devenue virale, le Président du Conseil d’administration de la Sénélec a fait des révélations d’une gravité extrême lors d’une rencontre avec ses militants à Guéoul. Il révèle, en substance, que « l’ancien Directeur général a embauché plus de 1300 proches en trois et son prédécesseur recrute, chaque année, plus de 300 personnes constituées d’amis et de proches ». Quelques jours auparavant, nous apprenons, de la querelle publique ayant éclaté entre l’actuel et l’ancien Directeur général de Dakar Dem Dikk (DKK), que le Conseil d’administration aurait octroyé au DG sortant une « indemnité de départ égale à 24 mois de salaire net, soit 120 millions » en dépit de la santé financière fragile de l’entreprise et de l’absence de résultats probants. En pleine « période de guerre contre la pandémie », le Président Macky Sall est allé à la pêche en attrapant« un gros poisson » en la personne du maire de la commune des Parcelles Assainies, qui se voit bombarder Président du Conseil d’administration du Port autonome de Dakar (PAD). 

Ces faits, loin d’être anecdotiques et isolés, sont illustratifs de la stratégie et des pratiques de captation des ressources publiques par l’élite politique au pouvoir. Ils mettent en évidence un système de gestion basé exclusivement sur le « tong-tong »(partage) de nos maigres ressources publiques et sur le clientélisme politique. Ce système de déprédation profite, en toute impunité, à une petite minorité de privilégiés. Cela n’est pas nouveau. En effet, les prévarications dans la gestion des ressources publiques ont toujours existé au Sénégal. Toutefois, elles ont commencé à apparaître, comme une plaie béante, avec le régime du Président Abdoulaye Wade. Elles ont pris une ampleur incommensurable depuis l’avènement du régime du Président Macky Sall. Les différentes institutions de contrôle, principalement l’Inspection générale d’État (IGE) et la Cour des comptes, ont toujours alerté, dans différents rapports, sur les insuffisances, voire dérives constatées dans la gouvernance des entreprises publiques. Hélas, la récurrence des pratiques prédatrices épinglées dans la gouvernance de nos entreprises publiques fait que ces dernières sont devenues une gangrène. L’impunité généralisée et la politisation à outrance des nominations, qui constituent la marque de fabrique du régime de Macky Sall, sont passées par là. Nous allons rappeler, ci-dessous, avec leurs propres mots, quelques-uns des constats de mauvaise gouvernance des entreprises publiques, tirés des rapports publicsde contrôle.

Nomination de personnes incompétentes, peu préparées à l’exercice de la fonction d’administrateur

Dans plusieurs rapports de contrôle, il est constaté la nomination d’administrateurs ayant démontré une absence totale de maîtrise du droit comptable et du droit des sociétés, ainsi que des règles de gestion élémentaires. De nombreux administrateurs n’ont pas une vision claire de leurs prérogatives, notamment en matière d’arrêté de comptes, par rapport à celles des directeurs généraux et du rôle du commissaire aux comptes. C’est ainsi que, dans plusieurs cas, les conseils d’administration ont approuvé des options comptables contestables ou des projets d’investissement inopportuns. En dépit des efforts de formation effectués pour remédier à cette situation, les administrateurs de certaines entreprises publiquesprésentent encore des lacunes importantes.

Parmi les conséquences d’une telle situation figure l’absence ou d’une insuffisance de contrôle effectué par les membres des conseils d’administration sur la gestion des directeurs, que ce soit en matière de stratégie ou en matière financière. C’est ainsi que, trop souvent, l’approbation des budgets et l’arrêté des comptes annuels sont considérés comme de pures formalités, sans réel enjeu. Les votes ont lieu sans véritable débat, sans disposer des éléments de comparaison nécessaires ou sans question véritablement pertinente.

Le règne d’une gestion gabegique et d’enrichissement personnel

Dans plusieurs rapports, les corps de contrôle ont relevé des pratiques afférentes à l’octroi d’avantages et de privilèges indus. C’est ainsi qu’il a été constaté, dans certains cas, le paiement de frais de mission en dépassement des plafonds réglementaires. En effet, en violation des textes réglementaires régissant les déplacements à l’étranger et fixant les taux des indemnités de mission, il arrive que certains chefs de services voyagent en classe affaires au lieu de la classe économique et perçoivent des indemnités journalières supérieures au barème en vigueur. De même, de nombreux Directeurs généraux et Présidents de conseil d’administration se permettent de voyager en première classe et perçoivent des indemnités irrégulières.

Il arrive que des ministères, qui exercent la tutelle sur les entreprises publiques, violent les textes notamment en confondant ces dernières avec lesservices de leur administration centrale, lesquels sont soumis à l’exercice du pouvoir hiérarchique. Les conséquences néfastes d’une telle situation sont nombreuses. Parmi celles-ci, nous pouvons noter le fait que des entreprises publiques soient amenées à prendre en charge, de façon irrégulière, le paiement de dépenses incombant à leur ministère de tutelle, que ce soit pour des investissements ou pour des charges de fonctionnement (carburant ou personnel) ou encore la mise à disposition d’actifs (véhicules).

Des pratiques erratiques en matière de gestion des ressources humaines 

Dans plusieurs rapports de contrôle, il est fait état d’embauches abusives visant principalement un recasement de la clientèle politique et celui de la parenté. En effet, dans de nombreux cas, les critères sociaux ou familiaux président aux décisions d’embauche. Ces personnels, abusivement embauchés, ne possèdent pas, dans la plupart du temps, les qualifications requises et viennent créer des situations de sureffectifs. La mise en concurrence, par le biais de publicité ou de concours, constitue l’exception. 

La gestion des avantages et prêts accordés au personnel est marquée, dans certains cas, de laxisme. Par exemple, les avances et prêts consentis au personnel ne font pas toujours l’objet d’un suivi rigoureux. En effet, le suivi extracomptable est très souvent défaillant et entraîne des pertes lorsque les salariés quittent l’entreprise. L’endettement de certains salariés atteint parfois des montants que les rémunérations et la durée de travail, jusqu’à la retraite, ne permettront pas de rembourser. En outre, l’octroi et le montant de certaines avances découlent d’un favoritisme explicite. Pire, dans bien des cas, les dossiers du personnel ne comportent aucun acte juridique, ni aucune garantie de remboursement.

Enfin, contrairement à l’esprit et à la lettre des textes, il arrive que des Conseils d’administration accordent ou autorisent des primes de rendement, au profit des Directeurs généraux et des travailleurs (ou à une catégorie des travailleurs) après approbation des comptes de l’exercice sans que les résultats ne le justifient. Ce qui ne fait qu’empirer les charges des entreprises.  

Au total, malgré ces multiples constats et alertes effectués par les corps de contrôle, le mal persiste au fil du temps. Il est devenu même endémique du fait d’une impunité généralisée. Une autre raison pourrait, également, expliquer cet immobilisme : la présentation trompeuse des résultats comptables et financiers des entreprises publiques. En effet, certains directeurs généraux d’entreprises publiques, soucieux de donner une image flatteuse de leur gestion, présentent souvent, à leur conseil d’administration,des états financiers qui ne reflètent pas une image fidèle de la réalité. Selon les rapports de contrôle, ils ont recours à des procédés totalement irréguliers pour présenter des résultats satisfaisants : en minorant les provisions pour dépréciation des créances (créances clients ou créances incertaines sur l’État) ou pour risques (commandements de payer relatifs aux impôts, condamnations judiciaires) en anticipant des recettes (dividendes, loyers pluriannuels, etc.), en minorant les charges fiscales et sociales, ou encore en repoussant l’enregistrement de charges sur l’exercice suivant. Le « mackyllage » est devenu un sport national au même titre que l’embellissement, voire la falsification des curriculum-vitae. Il n’y a aucun doute : le réveil sera brutal !

Cheikh Faye,  Ph.D.

Professeur – UQAC

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