On se serait attendu, au lendemain du large mouvement de défiance populaire de mars dernier, à des concertations approfondies de la classe politique sur l’avenir de notre système démocratique au lieu de disputes sur la date des prochaines élections locales.
LE TOURNANT DE MARS
Il faut dire que depuis mars 2012, une lourde chape de plomb s’est abattue sur la vie publique de notre pays, ne laissant d’autres choix aux acteurs politiques de notre pays que de se soumettre aux desiderata du clan présidentiel, ou alors de courir le risque d’être emprisonnés par une Justice instrumentalisée, sous les prétextes les plus fallacieux, allant de l’offense au chef de l’État à des cabales judiciaires.
C’est en cela que les journées de mars 2021 symbolisent un tournant fatidique salué par tous les démocrates sincères, un premier jalon, qui marque la perte d’initiative d’un président autoritaire et manœuvrier et esquisse des perspectives qui pourraient mener notre pays vers des lendemains meilleurs, c’est à dire un renouveau démocratique.
Si la société civile, incluant la classe maraboutique a réussi à rétablir un calme précaire, aucun acte significatif de rupture avec neuf années de gouvernance tyrannique n’a encore été posé.
C’est ce qui rend d’autant plus inquiétante cette léthargie qui perdure alors qu’on se serait attendu à une effervescence démocratique prémonitoire de profondes réformes.
Mais ne nous voilons pas la face ! Le président Sall n’a encore jamais manifesté un grand intérêt pour la consolidation de notre processus démocratique, ce qui l’obligerait à faire des concessions politiques significatives, comme le montre sa réconciliation avortée de Massalikul Djinane avec Me Wade.
FUITE EN AVANT DU CLAN PRÉSIDENTIEL
C’est pourquoi, lui et ses affidés semblent avoir opté pour la fuite en avant comme le prouve leur mémorandum gouvernemental sur les évènements de février – mars 2021, qu’on peut assimiler à un réquisitoire partial et impitoyable contre un rival politique devenu un des principaux obstacles aux projets funestes qu’ils nourrissent pour la Nation.
De plus, ils ont initié une gigantesque campagne médiatique tendant à revivifier leur complot moribond contre le leader du PASTEF et à amener l’opinion à s’apitoyer sur le sort d’une plaignante, qu’on devrait plutôt préserver des politiciens sans scrupules et des avocats véreux qui l’entourent.
Au lieu de tirer des enseignements utiles de cette crise pour améliorer notre système politique, le pouvoir reste empêtré dans de petits calculs (électoraux) d’épicier.
De fait, la déception gagne, de plus en plus, ceux qui au lendemain des manifestations populaires de mars dernier, espéraient des mutations qualitatives sur le champ politique national.
Parmi celles-ci, la structuration et la modernisation des partis, en commençant par celui présidentiel nous semblent capitales. En maintenant l’APR dans son état embryonnaire, on brime l’épanouissement de cadres politiques de haut niveau, tout en favorisant l’émergence d’un pouvoir familial, clanique, qui a tendance à s’accaparer de l’appareil d’État, dans une perspective autocratique. Au bout du compte, on a plutôt vu l’armée mexicaine de l’APR de plus en plus esseulée, conduite par des généraux semi-analphabètes et/ou politiquement incultes, se braquer, faire montre de sentiments revanchards et tenter de noyer des contradictions politiques dans un communautarisme grotesque en organisant, à coups de millions, des meetings « ethniques » avec des discours dignes de de l’extrême droite.
Quant au président de la République devenu également plus solitaire que jamais depuis qu’il a supprimé la Primature, il persiste dans son mélange de genres entre la gestion de sa formation politique et celle de l’État, qu’il instrumentalise à des fins partisanes et politiciennes.
En réduisant la crise de mars à une problématique d’emploi des jeunes dont la solution est hors de sa portée, tout au moins, à court terme, le gouvernement sénégalais se prive, lui-même, des moyens politiques d’assainissement véritable de la vie politique -et non d’apaisement éphémère du climat sociopolitique – par la mise en œuvre de réformes démocratiques venues à maturité.
UNE OPPOSITION ATTEINTE PAR LA FIÈVRE ÉLECTORALISTE
Dans ce contexte, on pourrait reprocher à certains partis d’opposition et non des moindres, de faire également preuve d’électoralisme. En tout cas, il est troublant de constater que malgré les rivalités féroces qui les opposent, les hommes politiques de notre pays, de quelque bord politique qu’ils soient, se sont toujours accordés sur la prééminence des questions électorales discutées au sein de la Commission dite politique sur toutes les autres censées relever du dialogue national.
De fait, on note une insuffisante prise en compte des grands défis, qui assaillent les couches populaires, exacerbés par la pandémie de COVID-19, qu’il s’agisse du renchérissement du coût de la vie, des débouchés de la filière horticole, du licenciement abusif dans plusieurs secteurs (hôtellerie, transport ferroviaires …) ou du chômage des jeunes.
Nos deux premières alternances démocratiques nous ont appris que la plupart des hommes politiques, qui évoquent les atteintes aux droits syndicaux et celles des libertés, à quelques exceptions près, le font surtout, en adoptant une posture de simple dénonciation des carences des gouvernants, qu’ils ambitionnent de remplacer.
Nous n’en voulons pour preuve que l’indifférence frisant la désinvolture qui n’épargne même pas des partis se réclamant de la gauche, devant la profonde léthargie syndicale, qui sévit dans notre pays. Il y a aussi le rôle marginal joué par les partis d’opposition dans les innombrables mouvements de protestations et de revendications des populations, qui agitent le pays, dont une grande partie – surtout en zone rurale – reste encore sous l’emprise de politiciens proches du pouvoir.
S’il est vrai que la courageuse attitude de défiance des militants du PASTEF, de FRAPP, d’Y’EN A MARRE, des FDS et d’autres mouvements de jeunesse patriotiques a constitué l’étincelle qui a déclenché les glorieuses journées de Mars, aucun parti d’opposition, à lui seul ne peut revendiquer le leadership des luttes démocratiques à venir.
C’est pour cette raison qu’il est urgent pour l’Opposition et la société civile de s’unir autour d’une plateforme, pour peser, de manière significative pour le perfectionnement de notre système démocratique et l’amélioration de notre gouvernance politique.
NIOXOR TINE