Les animateurs du mouvement « Y en a marre », consumés par la misère, se sont investis la mission de mettre fin au système de gouvernance érigé depuis l’indépendance. Ils se drapent dans la dignité des laissés-pour-compte, ceux qui, d’une certaine manière, ont accepté de perdre leur vie à gagner une misère, pour justifier la naissance de ce mouvement social. Fatigués par le chômage, la cherté de la vie et le sentiment d’être laissés pour compte dans des régions défavorisées, les rappeurs constitués autour de ce mouvement de contestation vont descendre dans les quartiers de Dakar et à l’intérieur du pays pour dénoncer ce haut édifice de mensonges sur la démocratie, réclamer un Etat de droit, de meilleures conditions de vie et aussi de l’emploi. Le contexte sénégalais est clairement, pour eux, marqué par une crapulerie du cercle dirigeant devenue très visible ainsi que cette jouissance ostentatoire des autorités qui jettent les signes de leur richesse à la figure de la plupart des Sénégalais paupérisés par une mauvaise gestion de l’Etat. Bref, on tend au peuple un miroir de mépris. Thiat, membre du Groupe Keur Gui de Kaolack locomotive de cette action composée de plusieurs groupes de rap, d’étudiants, de journalistes etc., surligne l’urgence de l’heure : « Nous en avons marre des coupures d’électricité, de la corruption, du détournement des deniers publics. Rien ne marche dans ce pays. Nous avons marre ». En clair, ce slogan est un hymne à une révolution pacifique et un changement de mentalités pour l’émergence d’un autre Sénégal.
Depuis la chute du régime de Ben Ali et de Hosni Moubarak pendant que le fauteuil du tyran Khadaffi vacille sous la pression populaire, la contestation est érigée en modèle pour la démocratisation de certains pays et l’amélioration des conditions de vie des populations. Comme il est acquis qu’un régime autoritaire peut être renversé par un soulèvement populaire, cela fait des émules pour jeter les bases d’une démocratie durable et l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Le processus engagé en Tunisie est suivi attentivement dans toute la planète. Des tentatives d’immolation se multiplient, sur le modèle de l’acte déclencheur de la « révolution du jasmin », avec deux décès en deux semaines. Evidemment, les pays ont chacun leurs caractéristiques. Mais ils ont en commun de subir les effets de la crise économique. Avec la réduction des débouchés en Europe, la croissance ne suffit plus à employer les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail.
Chez « Y en a marre », la situation est très claire : les Sénégalais sont à bout de forces. Harcelés, acculés, ils glissent imperceptiblement dans la mélancolie. Mille plaintes continuelles contre la corruption, les délestages, les détournements des deniers publics. Ils ont pris le micro et vont investir la rue…publique pour relayer le mécontentement et la frustration à cause de la situation exécrable du pays. « Nous allons faire le tour de Dakar en organisant des concerts mobiles pour recueillir les plaintes des Sénégalais, sensibiliser les populations et les écouter. Il est urgent de réagir pour soulager les Sénégalais étreints par mille problèmes », ressasse le rappeur. Le régime ignore-t-il que le pays est en ébullition sociale ? Pas un jour sans conflit social, sans critique du régime. Ras-le bol de la corruption, des passe-droits, de ces fortunes immenses bâties en l’espace de seulement une dizaine d’années alors que plus de la majorité croule sous le poids de la misère. Des conditions qui rappellent les fins de règne du régime socialiste englué à l’époque dans les mêmes problèmes conjoncturels et structurels. Des similitudes existent entre les deux situations, avec un président âgé et usé, une vraie demande sociale, un sentiment que le système est totalement bloqué. « Nous avons ras-le bol et sommes fatigués de tous ces problèmes », crie Fou malade, directeur artistique de « Y en a marre ». Depuis quelques mois, certains ont cru que le pays allait lui aussi plonger dans le grand bain de la révolution avec les émeutes d’électricité et surtout les dernières séries d’immolations devant les grilles du Palais présidentiel. Un déversement de rage que le pouvoir a essayé de contenir en prenant des décisions économiques impopulaires comme la baisse des denrées de première nécessité et la promesse reportée aux calendes grecques de la normalisation du courant. Pour autant, la situation sociale n’a pas changé, elle est même restée intacte.
Le 19 mars, qui coïncide avec le 11 éme anniversaire de l’alternance, sera le moment de la grande manifestation pour déverser le trop-plein de mécontentements et de frustrations. Pourrait-on s’attendre à l’annonce officielle de la révolution Hip-hop ? La précision est de taille : ils ne mènent pas un combat politique mais une lutte citoyenne pour l’émergence d’un nouveau système de gouvernance. « Depuis 50 ans, nous avons les mêmes problèmes et vivons dans les mêmes conditions sociales. Ce n’est pas un problème de personnes mais un problème de système. Abdoulaye Wade a été élu, qu’est-ce-qui a changé dans ce pays ? Vous savez la réponse. Nous nous battons pour que le système de gouvernance change systématiquement dans ce pays », analyse un membre du mouvement social. En décodé, « Y en a marre » reste un mouvement apolitique et sans ambition politique mais juste un enjeu social au service d’une population « tétanisée » par les conditions d’existence. « Récupérateurs et politiciens, abstenez-vous », braillent-ils en chœur même si inévitablement leurs ambitions rejoignent le combat des hommes politiques qui cherchent à triompher de ce régime libéral. Mais une transition en bon ordre, susceptible…de faire émerger une nouvelle classe dirigeante. « Nous ne soutenons aucun candidat à la Présidentielle de 2012 et il n y a pas de consigne de vote. Nous ne luttons pas pour le renversement de ce régime mais nous défendons nos concitoyens en prônant l’émergence de nouveaux dirigeants », ajoute-t-on. Ils ont certes sur leur chemin des autorités gênées par le message qu’ils portent comme en attestent l’arrestation des initiateurs du mouvement et l’interdiction du concert à Rufisque le 05 Mars dernier. N’empêche, quand l’essentiel est en danger, s’opposer devient un devoir : d’où justement le slogan « Y en a marre »…
Bocar SAKHO
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