Mbougar Sarr, je crois bien, a bien appris de la réception souvent teintée de préjugés de manuscrits d’auteurs africains en France. Quand c’est un Africain ou un Afrodescendant en effet, il y a la tentation de juger l’œuvre à l’aune de « l’africanité », c’est-à-dire de spécificités culturelles présumées. L’auteur est vite essentialisé, la prégnance de l’exotisme ou son absence devient le critère ultime pour apprécier son œuvre.
Yambo Ouologuem a dû passer par l’appréciation culturaliste et racialiste de son roman, Le devoir de violence. Lors des différents allers et retours de la relecture du manuscrit, ses éditeurs lui ont signifié, par moment, non pas un défaut de francité, mais un manque d’africanité. Son livre, qui portait au départ sur un drame de jalousie et de séduction en Europe a subi de profonds changements et a dû osciller entre une version « européenne » et une version « africaine ».
En 1921, le critique français Edmond Jaloux estimait que Batouala de René Maran n’aurait pas dû recevoir le Prix Goncourt parce que trop exotique. Un cachet que Maran n’a pourtant pas voulu donner à son texte.
Lorsque l’œuvre de Senghor est entrée dans le programme d’agrégation en France en 1987 parmi les livres des auteurs du XXe siècle, les agrégatifs avaient de la peine à comprendre ses textes « qui ne leur parlaient pas » parce que « venus d’ailleurs ». Jean-Louis Joubert, membre du jury de l’agrégation des Lettres, qui rapporte cette information, soutient que les raisons de ce « rejet » se trouvaient dans « la difficulté réelle opposée par ces poèmes venus d’ailleurs, avec tout leur implicite culturel, et la connivence qu’ils supposent avec des paysages, des modes de vie, des façons de penser qui ne sont pas d’ici ».
En clair : l’œuvre de Senghor était jugée trop exotique par les candidats à l’agrégation.
Le philosophe Souleymane Bachir Diagne rapporte comment, en discutant de la rédaction de l’ouvrage co-écrit avec Jean-Loup Amselle sur les thèmes de l’universalisme et de la pensée décoloniale, son éditeur a voulu d’emblée lui faire arborer le costume du « particulariste » qui aurait en face de lui « l’universaliste » que serait Amselle.
Mbougar Sarr, il me semble, a été habité par cette tension permanente d’esquiver cette assignation identitaire en rédigeant son roman La plus secrète mémoire des hommes. Il clame haut et fort qu’il veut être considéré comme un auteur tout court, qui ne veut pas être perçu à travers son africanité – sa situation de sous-développé, aurait dit Yambo Ouologuem – lors de la réception du Prix Goncourt : « Mon rêve, dit-il, serait qu’à partir d’aujourd’hui qu’un écrivain africain, noir, qui obtient le Prix Goncourt, ne soit plus considéré comme une exception, une rareté, une faveur qu’on ferait à des minorités ».
Dans une entrevue avec Afrique Magazine, Mbougar Sarr renforce ce point de vue : « Des malentendus président parfois aux lectures de leurs [les écrivains africains de langue française] écrits en Occident. On ne semble pas toujours les considérer comme des œuvres littéraires à part entière. Il y a cette tentation de les relier à des spécificités culturelles, voire biologiques, pour les comprendre, en rejetant en arrière-plan la question purement littéraire. On peut me rétorquer que le purement littéraire n’existe pas, et que toute littérature est empreinte d’une culture. C’est vrai. Mais le problème survient quand ce bagage culturel devient plus important que le texte lui-même ».
Mbougar Sarr a voulu donc délester son œuvre du trop-plein de « bagage culturel » et « l’alléger » par un cachet qui transcende les particularismes, lesquels avaliseraient les soupçons d’exotisme. Au fond, il veut se soustraire au sempiternel regard colonial essentialisant.
Il est donc prêt à se départir des contingences terrestres, des couleurs et des nationalités et à habiter cette seule contrée qui l’enchante et où règne selon lui la liberté : le pays de la littérature.
Voilà pourquoi La plus secrète mémoire des hommes traverse les siècles, explore des thèmes divers, fait voyager du Sénégal à l’Argentine en passant par la France. Une façon commode de transcender les espaces et le temps et d’échapper ainsi à la lecture identitaire de son roman
Tres beau texte et tres belle reflexion agreable a lire. Mon intime conviction est et sera toujours que Le pays de la ?iterature ne peut se departir en aucun moment de son habit culturel et partant de la, de son habit identitaire. On ecrit parce qu’on existe, et si on existe c’est parce qu’on vient de quelque part et ce quelque part se resume a un environnement culturel.