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Jactance irritante (Par Serigne Saliou Guéye)

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Dans l’histoire de l’humanité, quatre petits mots ou groupes de mots ont causé la perte de toute personne infatuée de soi-même ou imbue de son savoir, avoir ou pouvoir : moi, à moi, en moi, pour moi. Lorsque ces mots sont prononcés dans un sens qui hypertrophie l’ego, qui valorise l’amour excessif de soi, ils deviennent dévastateurs parce que reflétant la prétention, l’arrogance, le nombrilisme et l’égoïsme. Ces tares autolâtres sont toutes combattues par toutes les religions révélées qui détestent que l’individu s’auto-attribue une puissance que seul Dieu, l’Omnipotent, détient. 

Satan, créé à partir du feu, a refusé de se prosterner devant le plérôme angélique Adam créé à partir d’argile sonnante. Dieu le maudit et le condamne jusqu’à la fin des temps. Le Pharaon de l’Exode a poussé la prétention jusqu’à prononcer ces propos rapportés dans le Coran, sourate (L’ornement) 43 Az-Zukhruf, verset 51 : « Ô mon peuple ! Le royaume de Misr ne m’appartient-il pas, n’est-il pas à moi, ainsi que ces canaux qui coulent à mes pieds ? N’observez-vous donc pas ? » Et dans la sourate 79 An Naziaat (Les Anges qui arrachent les âmes) verset 24, il prononce cette phrase qui défie la toute-puissance divine : « C’est moi votre Seigneur, le très-Haut ». Dans la sourate 28 (Al-Qasas), verset 39, Pharaon dit : « Ô notables, je ne connais pas de divinité pour vous, autre que moi. Haman, allume-moi du feu sur l’argile puis construis-moi une tour peut-être alors monterai-je jusqu’au Dieu de Moïse. »

Dans le Pentateuque, Exode 5.1-13, Pharaon répondit à Moise et Aaron qui voulaient la libération des Israélites : « Mais qui est ce Seigneur ? Est-ce que je dois l’écouter, moi ? Non ! Je ne connais pas le Seigneur. Alors je ne vous laisserai pas partir ! »

Et comme châtiment, Pharaon et son armée, à la poursuite de Moïse et de son peuple, furent noyés dans les eaux de la Mer Rouge dont il prétendait être le propriétaire.

Si nous avons évoqué cette histoire révélée dans les textes sacrés, c’est pour rappeler au président Macky Sall la finitude de l’existence humaine, l’éphémérité de la puissance de l’homme, bref l’inévitabilité de la déchéance physique et de la mort. Ainsi, l’histoire de l’humanité enseigne que les orgueilleux, les prétentieux et les arrogants, qui pensaient être des substituts voire des dieux sur terre, ont perdu, en quelques secondes, leur pouvoir et leurs richesses qu’ils pensaient éternels.

Mais le pouvoir rend aveugle et sourd. Et en maintes occurrences, le chef de l’État, Macky Sall, a fait montre de surdité et de cécité dans des situations explosives qui requièrent la sérénité et la lucidité. Le 10 avril 2018, lors de la réunion du Secrétariat national de son parti, le président de l’Alliance pour la République (APR) avait dit ceci en guise d’avertissement à toute personne qui se serait opposé à son vital projet de loi sur le parrainage : « Le drame de cette opposition est que, lorsqu’ils étaient au pouvoir, ses tenants ne me connaissaient pas assez. Aujourd’hui, ils ne me connaissent pas toujours. Je suis un géologue de formation : je préfère observer puis agir, plutôt que de bavarder. Njitu-réew dou beuri wakh, mais je suis fondamentalement démocrate… Mais je suis le seul à décider… ». Un tel discours va-t-en-guerre détonnait avec celui qu’il avait émis quelques jours auparavant devant la société civile et chez les Layènes à Cambérène. « On peut être en désaccord avec un État, mais il y a une forme d’exprimer sa désapprobation…À tout moment, c’est de notre ressort de négocier avec les gens, calmer les esprits et être conscient que dans un pays, tout le monde ne peut être d’accord sur tout. Mais on doit pouvoir accepter de dialoguer sur l’essentiel, dans l’intelligence et la courtoisie. Au moins, une solution pourrait se dessiner, ou sinon recourir au droit et à la démocratie, en cas de désaccord », avait-il déclaré devant le représentant du Khalife des Layènes. 

Lors des événements sanglants de mars dernier, glacialement apeuré, le président avait dit au peuple sénégalais sur un ton compassionnel : « Je vous ai entendu. Nous sommes une seule famille, unie par une histoire qui nous assigne un destin commun. » Ainsi en tant que régulateur, il avait joué la carte de l’apaisement et de l’unité d’un pays ensanglanté par plusieurs jours de violence mortifère.

Mais lors son séjour récent en France, devant des militants faussement excité et boursouflé par une horde de caudataires, le président Sall n’a pas hésité à renouer avec la rhétorique guerrière. « Personne ne peut m’intimider. Quand j’étais dans l’opposition personne ne pouvait le faire a fortiori aujourd’hui que je détiens tous les pouvoirs. » Et le plus fort de café, c’est que des vendeurs de vent écervelés, des frotte-manches creux du genre Mbaye Pekh sanctifient les larmichettes tristounettes du Roi Couard et le bouffissent pour le ragaillardir.

Sa jactance irritante à Marianne est une sorte de réplique mal ajustée aux leaders de Yewi Askan Wi (Yaw) qui, lors des événements du 10 novembre dernier, ont fait savoir à Macky que désormais s’il veut la paix, il l’aura mais s’il veut la guerre, ils sont prêts à en découdre avec lui. La réponse à Yaw aurait pu venir d’un responsable du Secrétariat exécutif national (Sen) de l’APR parce que Macky, en tant que président de tous les Sénégalais, doit transcender toutes les contingences partisanes.

En parlant sous ce ton faussement comminatoire, Macky, hypersensible et susceptible, externalise psychologiquement la peur interne qui l’étouffe. Aujourd’hui ses réactions à fleur de peau sont récurrentes à la moindre sortie de ses opposants. Toute insignifiance discursive le vexe, l’attriste et le choque. En manifestant régulièrement un manque de confiance en soi fragile et défaillante, un caractère paranoïaque, il donne le sentiment qu’il est de tout temps persécuté, blessé narcissiquement par ses opposants et tous ces Sénégalais qui ne s’éprennent pas de lui, qui ne le reconnaissent pas ou qui ne partagent pas sa vision politique.   

Ces exactions discursives montrent que le chef suprême des armées boutefeu est prêt à en découdre avec ses opposants. La déclaration de Paris qui occulte mal le traumatisme d’une 3e candidature inconstitutionnelle est un casus belli en cette veille d’élections territoriales. Aujourd’hui abandonné par le peuple, Macky, nimbé de son égocentrisme monomaniaque, compte sur son administration territoriale, ses juges, ses experts numériques et ses forces de défense et de sécurité (FDS) pour remporter les locales et les législatives aux fins de s’ouvrir allègrement le boulevard d’une 3e candidature telle que vaticinée par son missi dominici Saleh. Les moyens de répression des FDS ont été renforcés au lendemain des événements de mars. Ce qui traduit dans son subconscient que la guerre entre lui, les opposants et tous les citoyens rétifs à une 3e candidature aura bien lieu.

En effet, un discours menaçant à la place de solutions appropriées est loin d’être digne d’un président de la République qui doit prendre de la hauteur et transcender certaines querelles de clocher, lesquelles ne font que creuser davantage ce fossé qui sépare pouvoir et opposition depuis 2012. On trouve paradoxal qu’un chef de l’État, qui appelle à une concertation pour une question qui concerne la stabilité du pays, manifeste sa colère à la moindre incartade et tient des propos déstabilisants. Si son appel de Yoff était sincère, quels que soient les mots fâcheux des opposants, Macky aurait joué la carte de l’apaisement et du dépassement mais dans le respect des lois de la République. Mais un tel comportement citoyen qui mène toujours vers un gentleman agreement avec ses opposants est fortement arrimé une culture de dialogue. Ce que Macky Sall n’a pas malheureusement. Dans l’entourage du président de l’APR, des faucons roublards concoctent, en réalité, des manœuvres funestes qui n’ont rien à voir avec les intérêts du pays. La seule chose qui les importe, c’est d’affiner des stratégies et tactiques pour présenter illégalement leur mentor à une 3e candidature. 

En son temps, le président Abdoulaye Wade trop suffisant, n’hésitait pas à provoquer ses opposants qu’il qualifiait régulièrement de trouillards qui n’osassent pas l’affronter surtout quand ceux-là s’étaient mobilisés pour réaliser les Assises nationales. Quand le Prince a voulu imposer son projet de loi relatif à la dévolution monarchique du pouvoir, le peuple a sonné la révolte du 23 juin 2011 qui a fini par le faire abdiquer. Aujourd’hui Macky Sall, qui a été un des acteurs de second plan du 23 juin, semble avoir oublié la révolte de ce jour indélébile dans l’histoire politique du Sénégal.

Macky Sall louis-quatorzien se comporte comme un monarque doté de pouvoirs absolutistes. De plus en plus, on sent dans le discours et comportement présidentiel l’orgueil, l’égoïsme, l’égocentrisme, le culte hypertrophique du moi, la volonté tenace de domination de l’autre. En République, le moi est haïssable parce que c’est une chose publique partageable entre tous les citoyens. L’absolutisme développe l’égoïsme et refoule l’esprit public. Lorsque l’État est entre les mains d’un seul homme qui en dispose à son gré et ne laisse à ses concitoyens que le seul rôle d’obtempérer ou de se soumettre à ses desiderata, la Nation est en péril car les démocrates déterminés réprouveront toujours et violemment à ses projets politiques.

En République, ce sont les contradictions qui nourrissent l’essence de la démocratie et font le lit des plages consensuelles devant aboutir à des réformes acceptés par l’ensemble ou la plupart des acteurs politiques. Sans cet esprit républicain, aucune force policière ou militaire ne pourra arrêter la détermination des citoyens décidés à faire respecter les règles du jeu démocratique par tous les moyens possibles y compris par ceux de la violence.

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