XALIMANEWS-Chargé de programme Open Society Initiative for eastern Africa (OSIWA), Me Ibrahima Kane a fait un sévère réquisitoire contre le système judiciaire sénégalais. Profitant d’un panel organisé par le WARC sur le thème : ‘’Situation de l’état postcolonial: exemple du Sahel et de la Corne de l’Afrique’’, il a mis en exergue les tares qui gangrènent le système judiciaire du pays.
La déliquescence et la fragilité de la sécurité dans le Sahel sont dues à plusieurs facteurs dont la faillite de la gouvernance judiciaire dans les pays de cette partie de l’Afrique. A commencer par le Sénégal, si l’on en croit les propos du chargé de programme d’OSIWA, Ibrahima Kane.
Prenant part à un panel sur cette problématique sécuritaire dans le Sahel, le juriste a été sans concession sur la situation du système judiciaire sénégalais. ‘’Aujourd’hui au Sénégal, d’après la Lettre de politique sectorielle de la Justice qui date de 2018, on avait en 2017 484 juges pour 16 millions d’habitants alors que la demande de juge à cette époque était de 1 350 juges. On a 333 greffiers alors que la demande est de 2710. Si l’on considère le nombre de juges qui sont actuellement en activité, d’ici 2035, 46% de ces juges iront à la retraite, 40% des greffiers iront à la retraite alors que le taux de recrutement des juges est à un niveau tellement bas’’, s’insurge l’un des fondateurs de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADHO) non sans ajouter que pour ce qui est des avocats, le Sénégal a moins de 400 avocats pour tout le territoire. Or, renseigne-t-il, depuis la réforme du règlement de l’UEMOA, il est interdit d’arrêter une personne dans n’importe quel commissariat de police sans la présence de son avocat. ‘’Ou tous les actes qui seront posés par l’officier de police judiciaire sont des actes nuls, sans la présence de l’avocat’’, renchérit l’ancien avocat senior en charge du programme Afrique chez INTERIGHTS avant de constater : ‘’Aujourd’hui, c’est vous dire combien d’actes sont nuls !‘’
«LES JUGES AU SENEGAL SONT MAL FORMES»
Soulignant dans la foulée et pour montrer le désert qu’il y a dans les régions, que 363 avocats sont basés dans la région de Dakar. De son avis, le Sénégal n’a pas de système judiciaire. En plus, renseigne-t-il, sur tout le territoire, il y a 55 huissiers de justice et 51 notaires. ‘’Tout cela vous donne une idée de l’état de décrépitude dans lequel le système judiciaire se trouve. Et tout ça contribue à faire en sorte que le système judiciaire soit le parent pauvre du système politique que nous avons et que le système judiciaire arrive à être manipulé par les Etats. Car les juges sont très mal formés malgré l’existence de centres de formation judiciaire ; ils sont mal payés même si depuis Abdoulaye Wade, il y a eu quelques efforts qui ont été faits’’, déplore Me Kane.
Devant un public composé d’éminents universitaires comme Souleymane Bachir Diagne, Mamadou Diouf, Penda Mbow ou encore Pr Babacar Fall Baker, Me Ibrahima Kane soutient aussi : ‘’Si vous ajoutez à cela le fait que le système judiciaire soit adossé à un système pénitentiaire qui n’a qu’une capacité de 3 815 lits alors qu’au moment où je vous parle il y a plus 10 mille personnes qui sont incarcérées dans les prisons du Sénégal, cela vous donne une idée du respect de la vie et de la dignité des hommes dans le pays.’’ Une justice pareille, selon lui, ne peut pas aider un Etat à se consolider, ne peut pas aider à garantir la stabilité des institutions. D’autant que, affirme-t-il pour le déplorer aussi, il y a le problème des choix des personnes à la Cour suprême. ‘’L’Etat a décidé que la quasi-totalité des juges suprêmes qui sont parmi les plus âgés peuvent rester au poste pendant 3 ans. Mais si on te change de poste après tes 65 ans, tu vas automatiquement à la retraite .Et ça crée des problèmes sur la question de l’indépendance de la justice et sur l’impartialité du juge’’, s’insurge-t-il. Par ailleurs et revenant sur le thème, Me Kane trouve que le Sahel est une région où la dignité humaine n’est pas du tout respectée. ‘’Vous prenez de la Mauritanie jusqu’au Darfour, ce sont des sociétés totalement inégalitaires où la grande majorité de la population vit sous une forme d’esclavage qui ne dit pas son nom : Le Mali, le Niger, le Tchad et dans une moindre mesure le Soudan. Quelqu’un comme Koufa, qui s’est soulevé au centre du Mali, est un esclave peul. La plupart des dirigeants de l’Azawad au Nord en pays Touareg, ce sont des esclaves’’, estime celui qui a collaboré étroitement avec la Commission Africaine desDroits de l’Homme et des Peuples, la Commission de l’Union africaine.
Avec Seneplus/L’AS