Lorsqu’on suit les interventions d’Adama Faye, frère de la Première dame, dans les médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux, on a envie d’applaudir. On se dit en tout cas que voilà quelqu’un que l’accession au pouvoir de son beau-frère n’a pas grisé, n’a pas rendu fou ou arrogant. Quelqu’un qui a gardé les pieds sur terre et qui est conscient de l’inanité et l’évanescence de tout pouvoir. Surtout qu’il tient un discours sévère, justicier et rédempteur sur la gouvernance de son beau-frère, le président de la République Macky Sall. N’a-t-il pas poussé la témérité jusqu’à constituer ses propres listes pour les élections locales du 23 de ce mois ? Des listes qui dérangent à ce point le pouvoir qu’il a instruit ses préfets et ses sous-préfets pour qu’ils les invalident.
Bref, Adama Faye serait un homme de vérité, une sorte de chevalier Bayard sans peur et sans reproche. Du moins en théorie et dans les déclarations ! Car, dans les faits, hélas, on est loin de cette image de justicier…
A analyser les actes qu’il pose, en effet, on constate qu’on a plutôt affaire à quelqu’un qui profite à fond de sa consanguinité avec l’épouse du président de la République pour faire des choses qui relèvent de l’abus de force. Pour dire le moins. Comment qualifier en effet le fait que notre brave justicier Adama Faye occupe depuis plusieurs années le terrain d’autrui et refuse d’en dégager malgré les sommations par voie d’huissier qui lui ont été faites et malgré même une condamnation judiciaire ?
La justice, il n’en a que faire puisque, on l’a vu, sa sœur c’est l’épouse du président de la République ! Et cela, ça donne tous les droits. Le terrain en question, d’une superficie de 4667 mètres carrés, situé au Sud-Est du terme Nord, fait partie du Titre Foncier 13.328/GRD (ex-6.274) reporté au livre foncier de Ngor-Almadies sous le N° 261/NGA. Pris dans son intégralité, ce TF N° 261/NGA a plusieurs propriétaires dont, principalement, M. Yvan François Goffart et Mme Michèle Marguerite Charlotte Jourdan. La partie que Adama Faye occupe est immatriculée au nom de la Société civile immobilière (SCI) IRDS. Elle se trouve hors du mur de l’Aéroport de Dakar tandis que tout le reste du terrain est à l’intérieur de celui-ci.
Hélas, pour le malheur de la SCI IRDS, son terrain jouxte un autre d’une superficie de 4833 mètres carrés inscrit au livre foncier de Ngor Almadies sous le N° 5334/NGA et qui appartient à…la Compagnie des Infrastructures Africaines (CIA mais pas la police fédérale américaine !) SA dont le siège social est à la Cité Marine 2 à Khar Yallah. Un terrain cédé par voie de bail à Adama Faye qui l’a transformé en titre foncier en mode fast-track au nom de la société CIA qui lui appartient. Eh bien, pour garer ses camions gros-porteurs, ce dernier n’est pas allé loin. Il les a tout simplement parqués sur le terrain voisin appartenant à, on vous l’a dit, la SCI IRDS.
Laquelle peine, depuis bientôt quatre ans, à entrer en possession de son bien. Il faut dire que, dans la foulée d’Adama Faye, d’autres occupants sans droit ni titre sont venus s’y installer qui bénéficient en quelque sorte de sa caution. Si les propriétaires les somment de déguerpir, ils disent que c’est le « beauf » du Président qui les a autorisés à rester là. Au fil du temps, donc, une véritable cour des miracles s’est établie sur le terrain de la SCI IRDS comprenant des charretiers, des vendeurs de moutons, une gargotière, des vendeurs de ciment, de briques et de fer.
Extraordinaire Sénégal où l’on peut bénéficier d’un droit de propriété inattaquable et réel sur un bien immobilier et être empêché d’en jouir au nom de la raison du plus fort ! Laquelle, semble-t-il, serait toujours la meilleur.
Bras d’honneur à la justice !
Mais puisque ce Sénégal des paradoxes se dit quand même pays de droit, les propriétaires victimes de l’occupation sans droit ni titre de leur terrain ont saisi le tribunal des référés. Et le 12 février 2018, Mme Aïtou Guèye, juge au siège du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, a rendu l’ordonnance suivante : « Déclarons Adama Faye, Mbaye Diagne, Cire Sene, Aly Mané, Assane Sène, Khady Sène et Binta Beye, occupants sans droit ni titre de l’immeuble objet du titre foncier N° 13.328/GD ex-6.274/DG sis à Dakar, à 600 m au sud-est du terme Nord, reporté au livre foncier de Ngor Almadies sous le N° 261/NGA ; Ordonnons leur expulsion desdits lieux tant de leurs personnes, de leurs biens que de tout occupant de leur chef… »
Bien évidemment, Adama Faye n’avait pas cru devoir se présenter à l’audience pas plus qu’il ne s’est fait représenter par un avocat. Quant aux autres squatteurs, n’en parlons pas. Depuis l’obtention de ce jugement, c’est la croix et la bannière pour le faire exécuter. Sollicités, les gendarmes de la Dscos, après avoir lambiné, répondent avec beaucoup de gêne qu’il leur est difficile d’expulser le frère de l’épouse du président de la République !
D’un terrain qui ne lui appartient pas, précisons-le. Quant aux huissiers, en l’absence d’une assistance de la force publique, ils ne vont pas se suicider à tenter de faire partir par la force toute cette faune. On en est donc là, les propriétaires assistent impuissants à l’occupation de leur bien qu’ils ne peuvent pas mettre en valeur tandis qu’Adama Faye poursuit tranquillement ses activités politiques tout en continuant à mener ses affaires. Leur malheur c’est, comme disaient les peuples d’Amérique du Sud à propos des USA, d’être si loin de Dieu et si près géographiquement d’Adama Faye ! Joyeuse campagne électorale quand même à ce dernier dont on espère que ses listes feront un triomphe le 23 janvier prochain…