«Quiconque tient l’histoire d’un peuple tient son âme. Mais quiconque tient la spiritualité d’un peuple le contraint à vivre sous le joug de la servitude éternelle.»
Citation extraite du discours prononcé à Atlanta en Géorgie en 1985 à l’occasion de sa distinction comme Docteur Honoris Causa
Analyse du texte
On pourrait comprendre ce passage à travers l’article « Vers une idéologie politique de l’Afrique Noire » qu’il a écrit sur le nazisme de l’Afrique du Sud de nombreuses années plus tôt en disant :
«La politique de l’Afrique du Sud vise deux objectifs :
1°- Constituer, du Cap au Sahara, une fédération d’Etats gouvernés par des minorités européennes détachées de leur métropole.
2°- Réussir à se passer de la main-d’œuvre nègre afin d’éliminer les Nègres par un massacre semblable à celui que les ont pratiqué en Australie.
Pour atteindre ses fins, l’Afrique du sud utilise un certain nombre de moyens dont voici les principaux (il en a recensé neuf ) :
– Favoriser l’immigration des ressortissants des pays nazis exclusivement : Allemands, Hollandais. Les Français, les Italiens et même les Anglais sont refusés pour n’être pas assez racistes.
– Développer sa capacité d’absorption d’éléments étrangers. On arrive ainsi au chiffre déjà caduc de 15.000 immigrants nazis par an sur le sol national africain.
– Pratiquer une politique de ségrégation raciale à tous les niveaux de la vie, d’où une série de lois (apartheid) dont les aspects grotesques ne peuvent être soulignés ici, et qui visent à provoquer une régression des Nègres (carence alimentaire et retour à la vie tribale).
– Eviter toute forme d’éducation du Nègre, en particulier l’éducation militaire et politique.
– Evangéliser les nègres jusqu’aux os afin de se rendre dociles leurs âmes jusqu’au jour du massacre ; chercher ainsi à en faire un peuple de «negro-spirituals» à la manière des messianiques nègres américains.
– Séduction, fascination de tous les colons vivant dans les territoires voisins pour les détacher de leur métropole à la première occasion.
– Chantage auprès des autres puissances colonisatrices de l’Afrique.
– Politique d’intransigeance à l’ONU pour tout ce qui concerne l’amélioration du sort des Nègres vivant sous sa tutelle.
– Formation d’un Conseil des pays possédant des colonies au sud du Sahara : d’une part, pour que les mesures fascistes soient de plus en plus coordonnées (par raison de sécurité collective, dira-t-on), d’autre part, pour mieux sonder la faiblesse des pays membres et étudier ainsi par quels moyens efficaces leur arracher leur territoire le moment venu.»
Lors de mes échanges avec Khadim Ndiaye, «un des meilleurs connaisseurs de la pensée de Cheikh Anta Diop» selon Boubacar Boris Diop, il m’a fait comprendre qu’aux USA, Cheikh Anta Diop était face à des gens dont les négriers ont tout fait pour les détacher de leur africanité à travers cette furie de l’occidentalisation en leur déniant leur noms africains, leur être, leur identité etc. Mais cela ne va pas les empêcher d’utiliser parfois l’église comme moyen de résistance comme l’a reconnu Asante Molefi Kete. Au Sénégal et un peu partout en Afrique Noire, par exemple, il n’est pas rare de voir un musulman portant le nom de Fallou, Bara, Sadio, Mbagnik, Serigne, Bougane, Ndiana ,Mbougar, Dethie, Djiguiba, Kounandi, Siriman, Thierno, Mory, Mor, Modou, Modibo, Fili, Zana, Nanga, Karna, Bawa, Tanko, Matto, etc. En Afrique Noire, beaucoup de femmes sont aussi musulmanes tout en conservant leurs noms africains tels que Coumba, Penda, Tenedia, Wassa Ferima (africanisation de Fatma), Sadio etc. La mère de Cheikh Ahmadou Bamba s’appelait Mame Diarra Bousso (africanisation de Mariam). La mère de Cheikh Anta Diop bien que musulmane, s’appelait Maguette. Aux USA, les esclaves déportés ont souvent perdu toute leur africanité au nom de l’évangélisation qui n’était qu’une couverture à l’esclavage.
Cheikh Anta Diop écrit par ailleurs : «Quand on examine la réalité africaine on s’aperçoit qu’il y’a d’une part, une partie de la tradition qui est restée intacte et qui continue à vivoter à l’abri de toute influence moderne, d’autre part».
Parlant de Lat Dior islamisé, Alpha Youssoupha Gueye en citant Vincent Monteil écrit (Notice sur le Sénégal, 1876, Papier Ballot, n°26, pp.104-105) écrit : « Son comportement témoigne d’une islamisation effective, nuancée par la persistance de la coutume traditionnelle. »
Le Professeur El Hadj Malick Dème, membre de l’Histoire Générale du Sénégal écrit : « Il est frappant de constater que malgré leur islamisation, les populations négro-africaines ont conservé avec vitalité certaines de leurs traditions. » Cf.(Histoire Générale du Sénégal, Tome I, Volume III, p.349).
Le Professeur Lam cité par le Professeur Dème à la page 327 de l’ouvrage susmentionné écrit : « Au Cayor, le Damel devait se faire humble devant le chef forgeron à qui il remettait durant toute la journée [du couronnement] le commandement du Kajoor. »
Si vous vivez en Afrique de l’Ouest ou que vous êtes originaire de cette partie du continent, c’est sûr et certain qu’il y a des gens dans votre entourage ou parmi vos connaissances qui s’appellent: Samba, Koumba (Coumba), Demba, Penda, Takko (Tacko) ou Yéro…
Chez les wolofs, il n’est pas rare encore aujourd’hui de voir des noms comme Saxa, Maxa, Ndiku, Xaar, Sêg, Jeleen, Bouri, Xureja,Njogou, Njankou, Njaga, Njambe, Koddu, Nogaye.
Ces prénoms sont présents dans une bonne partie de la population ouest-africaine (dans plusieurs ethnies): Bambara, Peul (Haalpulaar), Malinké, Wolof, Soninké, Sérère, Djola…
Selon Amadou Hampâté Ba, chez les peuls À côté d’un prénom profane donné par les parents à leurs enfants (en général celui d’un ancêtre), les Peuls nomment leurs fils selon le code suivant: Hamadi, Samba, Demba, Yéro, Pâté, Njobbo et Délo.
Ainsi, HAMADI est le prénom du premier fils consacré au dieu HAM. SAMBA est le prénom du deuxième fils consacré au dieu SAM. DEMBA est le prénom du troisième fils consacré à DEM. YÉRO est le prénom du quatrième fils consacré à YER. PÂTÉ est le prénom du cinquième fils consacré à PAT. NJOBBÔ est le prénom du sixième fils consacré à NJOB. DELÔ est le prénom du septième fils consacré au dieu DEL. Par exemple, son nom Hampâté » est la contraction de Hamady et Pâté, est donc un premier fils, né d’un cinquième fils.
Chez les mêmes peuls, le nombre d’enfants idéal étant 12 (sept garçons et cinq filles). Les noms des femmes sont les suivantes :DIKKO est le nom de la première née. KOUMBA signifie « celle qui attache ». PENDA signifie « petit pagne épais ». DADO signifie « celle qui se ceint les reins pour bien travailler ». TAKKO signifie « accolée aux entrailles de sa mère». S’il y a une sixième fille on l’appellera DIKKO – DIMMO (Dikko bis).
D’autres noms comme ceux-ci pourraient signifier : KOUMBOUROU est une « augmentation » de KOUMBA, si celle-ci est bien en chair. SAMBAROU est une « augmentation » de SAMBA, si celui-ci est bien en chair. Lorsque j’ai demandé à un ami peul ce que signifie son nom Gouro, il m’a répondu que ça signifie « celui qui est plein de vie ».
Chez les sérères, il n’est pas rare de voir un garçon portant le nom de Gniokhor (guerrier), Diogoye (le lion), Khokhane (le cultivateur), Salmone (le guerrier), Souka, Mbagnik, Ndiana (celui qui possède des bœufs), Bougane (celui qui n’a pas de chance), Bougar (celui qui est chanceux), Ndiana ( celui qui a des vaches).
Avec l’islamisation, des femmes sérères continuent encore de porter les noms de Gila, Ndjira, Ndebane, Mbissine, Ndella, Djouma, Mberi.
Cela pourrait peut-être expliquer, d’après les travaux de l’historienne Sylvianne Diouf le fait qu’aux USA, du temps de l’esclavage, les esclaves musulmans venant surtout du Sénégal étaient refusés parce qu’ils étaient souvent conscients de leur identité culturelle et spirituelle ? En tout cas, malgré l’islamisation, on constate que ces populations ont gardé leur identité culturelle et même spirituelle.
Au Niger, il n’est pas rare de voir les noms suivants : Bawa, Na Naîwa, Chipkaw, Ana Rouwa, Anabo, Mourza, Djataou, Aragouza.
Chez les Bambara du Mali , de Cote d’Ivoire, de Guinée et du Burkina Faso, il est très fréquent de voir des noms comme Djiguiba, Fili, Yèrèfè, Moriba, Maméry, Sirima etc. Chez leurs femmes, des noms comme Wassa, Nagnouma, Machiami, Makoya sont aussi très prisés.
Encore une fois, Cheikh Anta Diop prend à contrepied ceux qui se réclament de sa pensée en dénigrant les religions monothéistes. Dans Afrique Noire Précoloniale, il affirme que, contrairement à ce qui s’écrit, l’islam est entré en Afrique noire par la voie pacifique. Selon lui, il en résulte que les Noirs y ont adhéré de leur propre gré. Par conséquent, ces propos tenus aux USA lors d’une réception de Doctorat Honoris Causa ne peuvent pas leur être appliqués. Il écrit dans le même ouvrage que l’africain islamisé « n’a pas l’impression d’avoir changé d’horizon métaphysique ».
Lors de nos échanges avec le Dr Dialo Blondin Diop , il a fait savoir : qu’« on prend pas des bribes de phrases dans une réception de Doctorat honoris Causa ou une autre bribe de phrase dans la préface d’un autre de ses ouvrages pour les isoler de leur contexte et vouloir en faire des articles de foi et dogmes idéologiques. Les propos de Cheikh Anta sont des propos scientifiques. Il n’a jamais quitté le terrain de la science et il n’est jamais entré sur ce terrain de la religion. »
Aux Etats-Unis, Cheikh Anta Diop est en face desgens qui ont été totalement déconnectés de leurs racines africaines depuis des siècles. En plus de l’éloignement géographique, ils ont perdu l’usage de la langue. Contrairement à leurs frères restés en Afrique qui ont conservé leurs noms totémiques, ceux qui ont été déportés ont perdu les traces de leurs noms totémiques pour adopter ceux de leurs maitres. Or Cheikh Anta Diop affirme : « Le vrai support de la culture, c’est la langue ». Les africains restés sur le continent bien qu’islamisés ou christianisés ont gardé l’usage de la langue. Ce qui amène par exemple Cheikh Anta Diop à vanter le mouridisme à travers cette expression à la même page : « A ce titre, le Mouridisme reformé est d’une importance capitale pour l’Afrique». On voit bien que la spiritualité dont il parle ici n’a rien à avoir avec la religion. Les africains malgré leur islamisation l’ont adapté à leur spiritualité. C’est pour cela que Cheikh Anta Diop parle de la parenté métaphysique entre l’islam et les traditions africaines.