Le Forum mondial de l’eau ouvre ses portes pour une semaine à Dakar. C’est le rendez-vous le plus important consacré à cette ressource. Il n’a lieu que tous les trois ans et se tient pour la première en Afrique subsaharienne. Créé en 1997 par le Conseil mondial de l’eau, lié aux grandes entreprises de ce secteur, il ne relève donc pas de l’ONU. Explications des enjeux avec Abdoulaye Sene, hydraulicien et secrétaire exécutif de l’évènement.
RFI : La crise de l’eau va devenir plus aigue à mesure que le changement climatique augmente. Pourquoi la prise de conscience au niveau global tarde-t-elle autant ?
Abdoulaye Sene : Parce que, pendant longtemps, on a considéré cette ressource comme illimitée. On a vu jusqu’à quel niveau les consommations individuelles pouvaient être élevées. Dans certains pays, comme les Etats-Unis, la consommation par habitant peut dépasser les 500 litres par personne alors que la quantité moyenne jugée essentielle pour l’homme est de 50 litres par jour et par personne. Alors que la sécheresse frappe partout, de grands cours d’eaux sont en train de s’assécher et d’assoiffer de grandes villes.
L’eau prend donc aujourd’hui une dimension extrêmement importante dans les préoccupations des pays. On s’est rendu compte qu’avec l’augmentation de la population, avec une ressource limitée et une demande croissante, on va immanquablement vers une situation conflictuelle, si on ne met pas en place une modalité et des mécanismes de gouvernance coopérative et solidaire. Avec l’augmentation du changement climatique, celle de la population et la nécessité d’augmenter la productivité de l’agriculture, principale consommatrice, l’eau va se repositionner parmi les premières priorités pour la paix et la sécurité dans le monde.
Cette 9e édition du Forum mondial de l’eau se veut un « Forum des réponses ». Mais d’abord, quels en seront les questions et les objectifs ?
Il s’agit de questionner l’importance de la sécurité de l’eau pour la sécurité des nations mais surtout pour le bien-être des populations.
Le forum va également aborder la question de l’eau pour le développement rural. L’agriculture constitue un enjeu extrêmement important, en Afrique en particulier. Dans les années 70 [et jusque dans les années 1990, NDLR], le Sahel a connu l’une des pires sécheresses, redoutable pour le cheptel africain et la sécurité alimentaire. L’eau est le meilleur révélateur du changement climatique et de ses conséquences, qui peuvent aussi se traduire aussi par des excès d’eau, avec des inondations momentanées.
Nous aborderons donc la manière dont nous devons donc sécuriser cette ressource. À travers le stockage – sur les cours d’eau, avec des barrages ou avec la récupération des eaux de pluie avec des programmes de citernes dans le monde rural – mais aussi d’adaptation de l’agriculture à travers des techniques d’irrigation économes en eau. Avec la raréfaction des ressources en eau, il arrive souvent que l’insuffisance des ouvrages hydrauliques soient source de conflit entre les éleveurs et les agriculteurs.
On reproche souvent au forum son manque de relais politique au niveau national et international pour que des mesures efficaces soient prises par des Etats. En attendant, les populations, elles, sont en attentes de solutions concrètes à leurs problèmes. Quelles réponses peuvent-elles attendre de ce rendez-vous ?
On l’a reproché aux éditions antérieures du forum. Mais il y aura, à celui de Dakar, un segment politique de très haut niveau avec des chefs d’Etat, des chefs des grandes institutions internationales, de financement notamment, qui seront présents pour lancer des initiatives concrètes pour l’action au service de l’accès à l’eau.
Les populations sénégalaises, africaines et du monde pourront donc, au sortir de ce forum, bénéficier de nouveaux programmes, de nouvelles initiatives, de nouveaux projets, qui leur permettront d’améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement, qui sont des droits humains, mais aussi à l’eau productive, pour l’élevage, pour l’agriculture.
Ce forum est organisé par le Conseil mondial de l’eau, qui est une émanation du secteur privé et des multinationales, et l’ONU n’est qu’un simple partenaire. Ce sujet capital de l’eau ne devrait-il pas être directement pris en charge par les Nations unies, comme c’est le cas, par exemple, pour le climat, la biodiversité et la désertification ?
Absolument, et c’est pourquoi le Sénégal entend faire du Forum une contribution majeure pour la préparation de la deuxième grande conférence mondiale [de l’ONU] sur l’eau, en 2023. La première avait eu lieu en 1977 à Mar del Plata. Cela traduit la volonté des Nations unies de reprendre en main cette question fondamentale, qui a aujourd’hui une dimension géopolitique particulière. C’est vrai que le Conseil mondial de l’eau a été à l’origine de ce forum. Mais il est aujourd’hui en train de s’ouvrir aux institutions publiques et académiques.
Pourtant, des acteurs de la société civile contestent la légitimité du Forum mondial de l’eau et craignent la privatisation de cette ressource. En marge de ce forum, il y aura, comme à chaque édition, un forum alternatif mondial de l’eau, mené des ONG, des écologistes, des scientifiques. Que répondez-vous à leurs inquiétudes ?
C’est un point de vue que j’entends, que je respecte, mais je voudrais souligner que le forum de Dakar sera inclusif. Nous aurons un dialogue multi-acteurs avec la société civile qui est largement représentée dans le cadre du processus du forum. Il est évident qu’il ne s’agit pas pour nous qui travaillons pour asseoir la réalité du droit humain à l’eau de parler de privatisation de l’eau. On peut parler de privatisation de services d’eau. Mais la question de l’eau reste essentiellement pour nous une question de patrimoine mondial, national. En aucune manière, il ne peut être question pour nous au Sénégal d’organiser un débat qui pourrait laisser entendre que l’on est en train de faire la promotion de la privatisation d’une denrée aussi irremplaçable, aussi essentielle, aussi vitale que l’eau. D’après ce que j’ai lu et entendu, ce forum risque de rejoindre le nôtre. Nous voulons un forum historique et un forum qui se traduise par des réponses, des engagements. Nous attendons plus d’un millier de participants, toutes catégories confondues.
Le Forum mondial de l’eau est une marque détenue par ce Conseil et les pays qui l’hébergent à tour de rôle doivent payer des droits d’utilisation. Comment le forum de Dakar est-il financé et quelles sont les retombées économiques attendues par l’Etat sénégalais ?
Oui, le Sénégal a versé des droits d’utilisation. Il a aussi recueilli des compensations mais surtout des appuis. Il y a modalités de participation qui vont de la gratuité pour ceux qui ont les moyens les plus limités (les jeunes, les ruraux, la société civile) à des contributions facilitées pour les pays non OCDE et les délégations. L’État du Sénégal a pu compter sur la mobilisation de ses partenaires institutionnels.
Nous avons également mis en place un dispositif de sponsoring pour permettre aux différents acteurs de contribuer. Il y aura aussi, comme cela s’est toujours fait dans ce genre d’événements, des inscriptions et une exposition. Tout cela va générer des ressources qui permettront de couvrir l’organisation de ce forum.
« Un forum pour apporter des réponses concrètes, quotidiennes, aux populations qui en demandent. Il y a des solutions qui existent, elles ne sont pas toujours appliquées sur le terrain. L’eau est un sujet éminemment politique ».