Si l’État n’agit pas, le Sénégal risque de tomber dans une crise alimentaire pouvant engendrer des tensions sociales explosives. Les mesures pour réduire les prix de certains produits alimentaires, annoncées par le Chef de l’Etat en février dernier, n’ont pas eu un impact perceptible sur le niveau de leurs prix. L’heure est grave et il est temps d’agir pour protéger le pouvoir d’achat des ménages qui doit être l’objectif principal et minimal de tout gouvernement soucieux du bien-être des populations.
Avant le démarrage de l’offensive russe en Ukraine, la crise de la COVID 19 avait déjà perturbé la chaîne d’approvisionnement mondial causant un dérèglement de l’offre et la demande. À l’issue du confinement auquel les pays principaux acteurs du commerce mondial ont eu recours, la pénurie de conteneurs a en effet entravé le transport de fret maritime à l’échelle planétaire engendrant une congestion des marchandises dans les ports.
Cela a donné lieu à une hausse des prix du fret en 2021 et a subséquemment occasionné une flambée des prix à la production et à la consommation. Ce contexte particulier a ainsi affecté les ménages senegalais déjà durement éprouvés par les conséquences du couvre-feu. Il s’y est ajouté la guerre survenue en Ukraine qui a davantage perturbé la chaîne d’approvisionnement et donc alimenté la flambée des prix. Non seulement le coût du baril a augmenté dépassant la barre des 100 dollars mais encore les cours du blé ont flambé de façon alarmante entraînant à leur suite ceux des autres céréales. L’approvisionnement des marchés en blé est considérablement ralenti, ce qui va sans doute déséquilibrer l’offre et la demande de ce produit sur le marché international. En effet, la Russie et l’Ukraine sont deux
des principaux fournisseurs de farine de blé. Par ailleurs, la menace de pénurie des engrais persiste également et cela aura certainement des répercussions sur le résultat des prochaines récoltes au niveau mondial.
Les stocks de blé disponibles seraient en mesure de contenir la demande à court terme, prédisent les experts. Toutefois, si la guerre s’installe dans la durée, il est indispensable que le Sénégal trouve des solutions alternatives d’autant que les récents événements ne présagent pas une cessation rapide des hostilités, et le conflit risque de durer.
Le risque de crise alimentaire resurgit dans presque toute la sous région ouest africaine. En effet, le commerce sous régional est déjà perturbé par le contexte d’insécurité dans le sahel ainsi que par les sanctions économiques contre le Mali. La Guinée et le Burkina Faso risquent aussi de tomber sous le coup des sanctions, sauf s’ils présentent un chronogramme de transition jusqu’au 25 Avril, selon le compte rendu de la dernière réunion de la CEDEAO.
Notre pays doit donc se préparer à faire face aux conséquences découlant de cette situation conjoncturelle puisque l’économie intérieure est vulnérable aux chocs exogènes. De toute évidence, le Sénégal est fortement et structurellement dépendant de l’importation alimentaire. Pour l’approvisionnement en céréales, le Sénégal dépend également de l’extérieur. Par conséquent, les variations des cours mondiaux et les crises exogènes auront des répercussions certaines sur les prix de la consommation interne.
La quasi majorité de nos compatriotes vit encore sous le seuil de la pauvreté. Certaines localités du pays sont dans une situation de pauvreté extrême. Il est ainsi irréfutable que le pouvoir d’achat de beaucoup de nos concitoyens ne pourra pas supporter la hausse des prix
des produits de base.
Par ailleurs, le chômage a atteint un niveau alarmant. Toutes les réformes politiques portant sur l’emploi n’ont pas abouti à vaincre le chômage endémique. Les jeunes personnes sont d’ailleurs majoritairement et gravement affectées. Pour des raisons éminemment politiques, le régime a investi d’énormes sommes d’argent dans la construction d’édifices non prioritaires et non-urgents, voire inutiles, en négligeant l’investissement dans des projets générateurs d’emplois. Il s’est ouvertement désintéressé du secteur privé national en octroyant une bonne partie des grands projets d’infrastructures, financés avec des dettes onéreuses, à des entreprises venues d’ailleurs.
En outre, l’échec de la politique agricole est flagrant. En 10 ans d’exercice du pouvoir, le régime de l’APR n’a pas réussi à mettre en place une politique agricole efficace susceptible de couvrir la demande alimentaire du pays. Presque tout ce que nous consommons au Sénégal vient de l’extérieur. On y mange du riz asiatique et on y fabrique le pain avec de la farine européenne. Les céréales telles que le maïs, le mil et le sorgho, cultivés chez nous, sont négligées. Au niveau national, les résultats sur la production du riz sont encore insuffisants et ne satisfont pas la demande annuelle. Dans un pays, où l’arachide serait cultivée en grande quantité selon les statistiques officielles, il est incompréhensible que l’huile de l’arachide se fasse rare et reste introuvable sur le marché. En effet, les récoltes sont majoritairement exportées sans valeur ajoutée. Et en plus, l’huile de tournesol, dont l’Ukraine est le premier exportateur mondial, et d’autres huiles végétales importées envahissent nos marchés au détriment de l’huile d’arachide. Le coût élevé de la production de l’huile d’arachide a inhibé la compétitivité du produit par rapport aux huiles importées.
Afin de soulager les familles, l’État doit de prime abord réduire ses charges et baisser davantage ou même supprimer les taxes sur l’importation du riz, de la farine (attention aux conséquences en terme d’emplois sur les productions locales de farine à partir du blé importé) et d’autres produits de base. Ensuite, il convient de mettre en place un système de contrôle rigoureux afin d’empêcher toute augmentation spéculative et injustifiée des prix sur le marché intérieur. Si malgré ces mesures, les prix évoluent dans une tendance haussièr l’État devra donc prendre des mesures radicales et mobiliser des moyens financiers pour subventionner davantage les aliments de base. Pour ce faire, il y a lieu d’arrêter dans l’immédiat les investissements dans les infrastructures non-urgentes. De surcroît, l’État doit mettre en place un programme d’urgence visant à encadrer et à soutenir le secteur agricole, notamment les producteurs de céréales. Il faut d’urgence adopter une série de mesures pour accélérer la production du riz dans le nord et le sud du pays ainsi que du mil afin
d’améliorer les rendements des prochaines récoltes.
Dans le moyen terme, le gouvernement doit œuvrer à la diversification du système agricole et mettre l’accent sur la production des céréales comme le maïs, le riz, le mil et le sorgho.
En définitive, le Sénégal doit mettre en place des instruments opérationnels rigoureux afin d’atteindre l’autosuffisance en céréale et d’assurer la sécurité alimentaire car nous disposons de tous les atouts nécessaires pour ce faire.
Babacar Ndiogou
Membre Cercle des Cadres ACT