Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent (GIABA) a déterminé les risques et vulnérabilités pour la sous région ouest africaine en plus d’examiner en détail les infractions sous jacentes qui sous tendent ces pratiques illicites. Selon les termes du document de 89 pages, le blanchiment d’argent a un effet fortement corrosif sur l’efficacité de toutes entités politiques notamment celles dotées de capacités limitées. En matière de quantification, ces capitaux illicites sont évalués à 73 milliards de dollars (33 078 CFA) par sept juridictions de la partie occidentale du continent africain. Tous ces fonds blanchis, à en croire le GIABA, proviennent de sources diverses, dont la plus importante reste l’évasion fiscale. Celle-ci s’élève à 43 milliards de dollars mais présente cependant quelques difficultés d’ordre conceptuel pour les analystes du blanchiment d’argent puisque de nombreuses entreprises et entités mènent des activités légitimes mais ne paient pas d’impôt. Dans ce contexte, indiquent les experts commis par le GIABA, la stricte application de la réglementation anti blanchiment d’argent pourrait nuire au secteur de la distribution ou d’autres activités économiques. L’argent ainsi perdu a un impact considérable sur les capacités des Etats.
La corruption également est en bonne place dans la liste des fonds blanchis. Cette manne illicite représente environ 20 milliards de dollars. Les pots-de-vin ont des conséquences graves en tant que sources de fonds illicites, mais aussi, en tant que moyen pour faciliter le recyclage de capitaux et la perpétration d’autres activités criminelles. La corruption peut porter une grave atteinte aux institutions démocratiques, saper la confiance de l’électorat à l’égard du pouvoir exécutif et, en définitive, constituer une réelle menace pour la stabilité politique d’un pays du fait qu’elle gangrène les politiciens et l’administration. La petite corruption, par exemple, implique les fonctionnaires et agents de la force publique tels que les policiers, les douaniers… Leurs délits se présentent très souvent sous la forme d’une acceptation ou d’une sollicitation de pots-de-vin en échange d’une certaine intervention. Un autre problème épineux reste la corruption judiciaire dont les auxiliaires de justice se rendent coupables. Cette forme représente une source substantielle de fonds illicites de même qu’un obstacle de taille à la conduite efficace d’enquêtes et à la répression des crimes. Dans le lot des produits issus du crime, il y a aussi le trafic illégal de brut considéré comme une source de fonds. Cela permet à l’économie souterraine d’engranger environ 7 milliards de dollars, d’après le rapport de la GIABA.
Pour ce qui est de la drogue, 2 milliards de dollars sont comptabilisés annuellement. Pour autant, le GIABA ignore le montant de la valeur de la revente des stupéfiants qui transitent par la sous région. Cette question est étroitement liée à la corruption. Elle demeure une menace grave pour des Etats comme le Sénégal, la Gambie et le Ghana. L’impact économique du trafic de drogue est de plus en plus apparent en Afrique occidentale. Elle équivaut à quatre fois le produit intérieur brut (PIB) de la Gambie et à deux fois celui de la Guinée, si l’on en croit les Nations unies. Ces estimations représentent environ 35% des importations européennes de cocaïne qui varient entre 150 et 200 tonnes par an. Cela signifie qu’environ 50 à 70 tonnes sont introduites annuellement en Europe en passant par la partie occidentale de l’Afrique. Dans des pays comme le Sénégal, l’argent tiré de la drogue permet de soutenir des causes légitimes et charitables, indique le GIABA. Ces revenus complémentaires sont quelquefois convertis en dons destinés aux confréries musulmanes. Cette activité, si l’on se fie aux lois, peut être assimilée à un blanchiment de capitaux.
Dakar, une plaque tournante
Le Sénégal, le Ghana et le Nigeria, sont d’après le rapport du GIABA, de plus en plus utilisés comme lieux de blanchiment d’argent proprement dit, alors même que des fonds de facilitation ont envahi l’économie. Ces Etats sont aujourd’hui les trois plus grandes économies de la sous région si l’on ne tient pas en compte la Côte d’Ivoire qui a perdu tout attrait en raison de son instabilité. Dans ce contexte, le marché immobilier sénégalais est devenu particulièrement attractif pour les blanchisseurs d’argent en provenance de la Guinée Bissau. Dakar a enregistré un boom de la construction au cours de la dernière décennie et plus de 2000 bâtiments de plus de trois étages sont sortis de terre. Quelques uns de ces bâtiments changent plusieurs fois de propriétaires, même avant la fin des travaux, révèlent les experts de la GIABA. En moyenne, ces constructions coûtent chacune 200 000 dollars. Du coup, 500 millions de dollars sont annuellement injectés dans ces habitations qui servent de couverture au blanchiment de capitaux. D’après une étude menée par des institutions financières nationales dont la CBAO, la BHS, la BICIS et la Société Générale, les financements locaux ne représentent que 20 millions de dollars de cette manne. Des enquêtes provisoires publiées par la GIABA indiquent que la principale source de recyclage de capitaux dans le marché immobilier procède de fonds en provenance de l’Europe de l’Est, bien que la crise économique ait diminué les exportations de capitaux.
Ainsi, certains fonds blanchis au Sénégal peuvent provenir de crimes perpétrés en Europe, attirés par la stabilité du pays et ses normes de réglementation, qui sont moins strictes que celles de l’UE. Néanmoins, il est certain que le secteur immobilier à Dakar s’est avéré particulièrement attrayant pour les produits de la drogue. Un certain nombre de points faibles, par exemple la possibilité pour les notaires de recevoir les paiements en espèces et la relative faiblesse du système d’enregistrement des actes, rendent le secteur vulnérable. En effet, précise le rapport de la GIABA, les professionnels qui facilitent l’achat de biens immobiliers au Sénégal ne procèdent pas à une vérification efficace de la provenance de fonds investis dans le marché ni des documents expliquant leur provenance présumée.
Alioune Badara COULIBALY
lagazette.sn