A minuit passé, Dakar s’assoupit. Le tintamarre et le tohubohu qui rythment le centre ville disparaissent au fur et à mesure que le manteau noir de la nuit l’enveloppe dans toutes les largeurs et que la brise marine phagocyte les milles fumées de la ville bouillante. A minuit passé, quand les rues de Dakar s’élargissent et qu’on entend que les bruits de bottes des agents de nettoiement, il se passe à l’intérieur des bâtisses au visage de glace, des scènes de vie, de culture. De musique… En cette nuit de douceur, sur la rue Jules Ferry, quelques notes d’acoustique s’échappent d’une de ces nombreuses boites qui essaiment dans la capitale. Ces airs de musique, à peine audibles de dehors, accompagnent une voix qui capte l’attention et vous force à vouloir en écouter davantage. A l’intérieur de la boite, somme toute exigüe, on se retrouve en face d’une scène simplement agréable : Une jeune fille sur le podium, accompagnée par un petit orchestre expose un talent naturel, pur et encore innocent. Kia, pour nommer son nom d’artiste, chante l’amour devant une petite assistance entièrement charmée, se laissant bercer par un timbre juvénile, le regard admiratif. Son nom d’artiste est moins ronflant que celui de Viviane Ndour. Avec elle pour seul indice, pas facile de dégoter sur la Toile, des infos sur elle : tapez son nom dans Google et il vous sert tous les Rokhaya Loum du Web pour montrer qu’elle est encore à l’état de bichonnage ! Il fait nuit noire, les hurlements de jeunes en fleurs, les scènes d’hystérie n’escortent pas encore ses apparitions. Mais, elle peut regarder l’avenir en jouant sa musique. Bouille enfantine et innocence juvénile, Kia joue avec une guitare acoustique sur un minuscule podium où se sont installés trois autres musiciens qui concourent au décoffrage de cette nouvelle pépite. Une pianiste, un percussionniste et timbaliste. Elle-même, au milieu du décor, est assise sur une chaise offre ses mélodies avec une générosité et un don de soi saisissants.
Kia est vraiment généreuse. Sa voix tonne tel un gros cylindre. Mais, elle a en même temps quelque chose de suave, sensuel… Quand elle s’y met on oublie sa nature plantureuse, son teint noir éclatant, ses rastas, ses dents blanches, sa grosse poitrine, parce que sa voix vous saisit et vous emporte dans un monde enchanté. On n’a pas envie qu’elle arrête. Elle monte l’alto au maximum et rend la chute tellement douce qu’elle ferait frémir les âmes les plus souterraines. C’est comme dans ce morceau qu’elle interprète, intitulé « Malayka ». Tantôt en anglais, en wolof ou en français, elle chante l’amour. On ne revient pas de la mélancolie que procure le sentiment de déception et de trahison quand par le biais d’une césure vous il emporte vers les côtés rieux de l’amour. Le percussionniste suit et accélère le rythme. Le pianiste en rajoute avec une mélodie salsa. La chanteuse ondule sa voie d’une manière qui rappelle la star ivoirienne, Aicha Koné, mais, moins maniérée, plus saisissante, plus captivante et peut-être plus jeune. Le mélange s’adresse aux sens : le public se déchaîne. Dans cette allégresse générale où certaines personnes esquissent des pas de danse, une voix se lève : « C’est ma fille ! » On devine aisément cette jouissance maternelle devant le talent de son enfant. Kia, elle, semble inconsciente de son talent. Elle sourit innocemment, naturellement sans chichi ni par une quelconque de ces manières dont seuls les artistes rodés, blasés et frimeurs savent faire. On avait été transporté tout à l’heure dans les contrées de l’extase. C’est maintenant qu’on s’en rend compte après que Kia s’est tue offrant simplement son sempiternel sourire.
« Maman est revenue en pleurs après ma première chanson alors que j’avais 8 ans »
Rokhaya Loum, de son vrai nom, a 20 ans. Elle explique que c’était écrit quelque part dans les pages de la providence qu’elle deviendra une chanteuse. « Maman m’a dit que j’ai toujours adoré chanter, à trois ans je commençais à chanter ». Déjà à sept ans, elle monte sur scène. La petite Rokhaya passait les vacances avec ses cousins à Sicap Mbao où ils avaient monté un groupe. « Un jour, il y avait un spectacle et ils tardaient à monter sur le podium. Sans demander l’autorisation de personne, j’ai pris le micro pour commencer à chanter devant le public surpris. » Mais, l’histoire de Kia avec la musique a commencé bien avant. Elle plonge dans ses souvenirs, son visage éclairé par un éclat naïf propre à la jeunesse pour narrer cet anecdote : « A six ans, je chantais et je détournais des chansons connues. Quand j’avais huit ans, ma mère était partie pour trois mois en Mauritanie. Au bout d’un mois, j’étais tellement triste que je lui ai dédiée une chanson, je lui disais qu’elle me manquait que j’allais mourir sans elle. J’ai enregistré cette chanson toute seule dans ma radio cassette et je l’ai donnée à un parent qui partait en Mauritanie. Elle est rentrée le lendemain qu’elle a reçu la cassette avec des pleurs, les yeux pleins de larmes »… C’est parti depuis.
Et Kia ne peut plus se passer d’un micro. Elle venait de goutter à la pomme, elle ne l’abandonnera plus jamais. Heureusement qu’elle a le talent requis pour réussir dans son monde. Son flow est bon et ses cordes vocales sont suffisamment travaillées pour produire un son mélodieux, doux et attirant. Elle a aussi cette capacité à offrir une voix grosse et cylindrée. « Je chante le blues avec des sonorités Jazz et Rock. J’écris et je chante en wolof, en français et en anglais, mais quelque soit la langue je garde le timbre sénégalais. » Pourtant, elle est timide de nature. Mais, sur scène c’est une autre personne : « Quand je suis sur scène, ca vient comme ça, c’est comme si j’étais poussée par une force extérieure. »
En attendant que le destin la fasse découvrir au grand public, elle se bat pour « porter sa musique au plus haut niveau ». Elle dit : « Je chante pour éduquer, pour porter la voix des sans voix. » Déjà engagée, elle a un répertoire d’une vingtaine de titre dont « Kaddu askan wi » qui interpelle le président de la République sur ses promesses non tenues. Elle a déjà participé à deux concours. En 2005, elle arrive deuxième à Talent caché organisé par la Rts. En 2009, elle est l’heureuse gagnante du concours Wapi, organisé par le British concil. Rien de plus normal pour une pensionnaire de l’Ecole des Beaux arts où elle a affiné son art pendant trois ans où elle est sortie en 2009. Elle dit : « Je voudrais créer mon groupe et mon style musical. Apporter une autre touche à la musique, pour qu’elle soit à la fois africaine et universelle. Une musique qui soit appréciée par tout le monde, une musique qui fasse le tour du monde, je veux chanter pour apporter quelque chose… » Bonne chance ! C’est ainsi : pour l’instant, elle crève parfois l’écran, mais rêve d’accéder à la lucarne marketing, pour s’aventurer vers des territoires classieux et fouler le pas d’illustres aînés. Cette jeune attachante, s’entend ainsi la poésie minimaliste d’une Aiché Koné, ses mélopées aériennes, l’humour tendre d’une ado, les phrases éthérées d’une ambitieuse ou le dandysme coloré d’une perfectionniste.
Alors, bien sûr, Kia ne chausse pas (encore) aussi grand, mais il y a de l’idée, des mots taillés, rimés, entrechoqués, sur d’évanescents paysages jazz-rock, aux reliefs baignés de strass et de lumière. Mais, le showbiz a ses réalités. Les meilleurs ne sont pas toujours les mieux connus. Elle le sait, mais Kia croit à son étoile. Son talent en bandoulière, elle veut juste exister pour l’instant en gardant son identité. Tout cela est facilité par l’appui inconditionné de sa mère. Une mère qui a rêvé d’être chanteuse, mais que ses parents n’ont pas laissé faire. Une mère qui a rêvé faire des rastas, mais qui n’a jamais pu le réaliser. Une mère, qui vit aujourd’hui ses rêves à travers sa fille : Kia.
Cheikh Fadel BARRO
lagazette.sn
Très bel article… une artiste prometteuse et en devenir. Petit bémol quant à l’évocation de sa description physique qu’il ne semblait pas nécessaire de préciser (pas très élégant).