La télévision est en train de ne plus être l’écran numéro 1, surtout avec l’émergence de nouveaux types de moyens de diffusion de contenus depuis l’avènement d’internet. C’est ce qui explique la fin d’un mythe annoncée par les spécialistes qui disent que l’alerte avait été faite dans les années 90.
Le mythe de la télévision s’est cassé. Apparaître sur le petit écran n’est plus devenu un privilège aujourd’hui. Nous sommes maintenant très loin de l’époque où ceux ou celles qui apparaissaient sur la petite lucarne étaient considérés comme des stars. On les regardait de haut. Ils impressionnaient leur monde. Le journal de 20 heures à la Rts était le passage obligé pour s’informer. Les parents d’élèves exigeaient à leur progéniture de se mettre devant le petit écran pour s’informer. Il y avait une certaine élite à qui l’accès à ce médium était réservé. Ce n’est plus le cas avec maintenant le petit écran devenu le lieu de fréquentation de n’importe quelle catégorie sociale, pourvu que celle-ci soit en phase avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, communément appelées les Ntic. Celles-ci ont participé, dans une large mesure, à tuer le mythe de la télévision en démocratisant son accès à n’importe quel individu qui veut faire passer son message. Adama Sow, journaliste spécialiste des métamédias, reconnait que la télé connait une crise qui dure depuis bientôt deux décennies. Dans l’émission Les Guignols de l’info, qui passait sur Canal, l’alerte avait été lancée dans les années 90 selon lui. «Si vous vous souvenez d’ailleurs, le générique de cette émission Les Guignols de l’info sur Canal, c’était quoi ? C’était vous êtes en train de suivre l’ancêtre d’internet. C’était déjà une anticipation des années 90. Parce que Les Guignols de l’info, c’est vrai que c’était une émission parodique mais pleine de sens. Déjà à cette époque, certains professionnels des médias voyaient un peu, avec l’avènement d’internet, que la télé va bientôt faire son temps. Qu’on le veuille ou non», argumente M. Sow, avant de surligner que ce bouleversement que connait ce médium «maintenant encore, s’est rendu plus prégnant du fait de l’avènement de nouveaux modes de consommation, de l’image qu’on vous montre, de diffusion des contenus». «On ne parle pas assez de ça. Mais je pense que l’évènement, quand Netflix a vu le jour, c’est le streaming. Ce dernier est vraiment le mode de diffusion. Maintenant, au lieu d’attendre les rendez-vous d’émission devant la télé, les gens peuvent avoir un flux de contenus de qualité supérieure de divertissements, d’infos, de magazines, de documentaires en continu. C’est-à-dire non seulement en continu, mais avec une nouvelle technique qui est le replay», poursuit-il. Si la télévision tenait sa force de ses rendez-vous, ce n’est plus le cas avec d’autres modes de consommation de contenus. «La télé, c’étaient des rendez-vous. Par exemple au Quotidien, nous avons rendez-vous tous les matins avec vous. La force des médias traditionnels est que ce sont des médias de rendez-vous. Par exemple, à la Rts, les journaux télévisés de 20 heures, 13 heures, 6 heures du matin, la matinale, etc., ce sont des rendez-vous. Déjà le streaming, c’est un mode de consommation et de diffusion de l’info avec les Vod, Vidéo à la demande, replay streaming. C’est dire qu’il n’y a plus de rendez-vous», fait-il remarquer. «Si vous rentrez chez vous, le soir par exemple, le week-end, pour vous détendre un peu parce que vous ne travaillez pas le dimanche, vous pouvez regarder des contenus audiovisuels en continu sur votre Laptop ou votre tablette, sur votre téléphone. Ce sont des séries, des films et même des journaux, des magazines d’information, des débats. Nous sommes affranchis de la force de la télévision, c’est-à-dire elle nous donnait des rendez-vous qui marquaient des moments. La télévision n’est plus le principal écran», renchérit Adama Sow. En plus d’une floraison de chaînes de télévision inondant l’espace télévisuel, il suffit d’avoir dans son smartphone, une connexion internet pour faire passer son message. Il y a l’émergence de nouveaux types de télévision sur les réseaux sociaux. A travers un article sur France 24 publié en 2018, l’on se posait la question de savoir si bientôt on ne devait pas aller sur Facebook ou Twitter pour regarder ses programmes préférés ? Après Netflix et Amazon, ce sont les réseaux sociaux qui s’attaquent au monde de la télévision avec un avantage de taille : une parfaite connaissance de leurs utilisateurs. Le poste téléviseur est titillé par les smartphones et autres appareils téléphoniques, qu’on se prend à dire que la télévision est maintenant à portée de main. «Chacun a sa chaîne de télévision», a-t-on l’habitude de dire pour faire ressortir la réalité qui veut que chacun dispose de sa télévision dans sa poche. Contrastant avec l’époque où ne disposait pas encore de ces moyens de communication dont dispose l’actuelle génération qui peut se permettre de produire des contenus en s’improvisant journaliste ou animateur sans pour autant passer par une école de formation. Et cela déteint sur la qualité des productions qui sont loin de ce qu’on avait l’habitude de nous servir à l’époque, où il n’y avait qu’une seule chaîne de télévision au Sénégal, la Rts. Ayant perdu l’exclusivité de la diffusion de contenus en 1994, avec la libéralisation des médias et l’ouverture des premières chaînes de télévision privées, la télévision sénégalaise est loin encore de l’époque où ceux qui sont devenus aujourd’hui de grands artistes lui faisaient les yeux doux pour se faire promouvoir à travers les émissions télévisuelles qui passaient à cette époque sur ladite chaîne. Boubou Sall, directeur des Systèmes d’information à la Rts, de mettre l’accent sur la démocratisation de la télévision qui en fait un médium qui n’est plus hors de portée d’une certaine catégorie sociale qui semblait être exclue de son fonctionnement. «Il n’y avait qu’une chaîne, la Rts, maintenant c’est tout un chacun qui fait de la télé. Maintenant c’est un médium accessible à n’importe qui. Des gens font des productions. Ils sont beaucoup plus suivis et tout ça participe à démystifier la télévision», avance le directeur des Systèmes d’information à la Rts, qui se rappelle les bons souvenirs où la Rts était courue par ceux qui sont aujourd’hui devenus de grands artistes. «Donc ce que les observateurs ne comprennent pas, avant même de rentrer à la Rts, c’était un problème. Les grands artistes, tous faisaient le pied de grue. Ils s’asseyaient sur les escaliers pour attendre Maguette Wade (le regretté animateur de l’émission Télé-variétés qui passait à la Rts)», raconte Boubou Sall pour montrer les efforts que ces artistes déployaient pour pouvoir passer à l’émission de télévision animée par le regretté Maguette Wade, pour faire leur promotion. Si à cette époque, c’étaient les artistes qui couraient après la télévision, ce sont maintenant les télévisions qui sollicitent les artistes pour se produire en casquant fort. «On les paye maintenant. La donne a changé. Pour faire prester Dip Doundou Guiss, il faudra payer beaucoup d’argent. Les chroniqueurs sont payés. La démocratisation de la télé est passée par là. Avant, la télé était réservée à une certaine élite. Même pour faire leur promotion, il faut les payer», renchérit M. Sall. «Nous avions quand même payé à Viviane Ndour, 4 (quatre) millions si je ne trompe, pour prester avec son orchestre à la Rts. Si Waly devait prester, on aurait déboursé 8 (huit) millions», ajoute-t-il.
L’effritement du mythe de la télévision est symbolisé par l’accessibilité des moyens de diffusion qui se traduit à travers la facilité que les utilisateurs ont pour faire passer leur message actuellement, contrairement à une époque où c’était la croix et la bannière pour le faire. «Pour passer un message, on n’a pas besoin d’écrire, il suffit d’un vocal ou d’une vidéo pour arriver à ses fins», soutient M. Sall. Indiquant que «le poste téléviseur est appelé à disparaître», M. Sall de s’exprimer au sujet de la perte de crédibilité de la télévision dont l’information était toujours considérée comme une vérité. Et M. Sall de soutenir qu’on en est arrivé à un moment où «l’information peut être manipulée». «Tout dépend de la ligne éditoriale. Tu peux manipuler l’information comme tu veux. Avant c’était la Rts, on disait que tout ce qui passe à la Rts c’est vrai. Et effectivement je peux le prouver. Une information, avant d’être diffusée, est traitée, on fait les recoupements. Maintenant c’est la course sur tout ce qui est scoop», soutient-il. «La démocratisation a mené à cette médiocrité. Auparavant pour faire de la télé, il fallait beaucoup de moyens. Maintenant avec son téléphone, on peut faire de la télé», indique-t-il. Alioune Ndiaye, journaliste et patron de Pikini Production, de soutenir que la télévision n’est plus de «la magie». «Il y a des gens qui sont des stars de la médiamétrie au Sénégal. Il y a des gens qui sont plus connus que les présentateurs télé. Auparavant tous les présentateurs étaient bien connus. Aujourd’hui, tout le monde connait Nabou Dash, Adamo…», avance Alioune Ndiaye, ancien journaliste à la Rfm. «La démocratisation de ce médium s’est faite sans encadrement», selon Alioune Ndiaye. Le manque de diversité dans la manière de faire, amène notre interlocuteur à dire ceci : «Souvent j’ai l’habitude de le dire, il y a quinze enseignes au Sénégal, mais il y a une seule chaîne. Toutes les chaînes proposent le même programme, le même type de contenu», déclare-t-il. Parlant de la télévision, Alioune Ndiaye de souligner que ce médium a plusieurs rôles à jouer. «Le rôle des médias en général, c’est d’informer, distraire. Les gens ne regardent pas la télé pour apprendre, les gens regardent la télé pour se distraire», fait-il savoir.
Le Quotidien