Ce 26 septembre, le Peuple sénégalais s’est replongé dans les terribles souvenirs du naufrage du Joola, qui a fait 1863 morts, selon les chiffres officiels. Avec la commémoration du 20ème anniversaire de la plus grande tragédie maritime mondiale, Le Quotidien vous replonge, à travers une série de papiers, dans les drames qui ont frappé ce pays ces 30 dernières années.
L’explosion d’une citerne d’ammoniac dans une unité de stockage de la Sonacos en mars 92, qui avait fait 129 morts et 1150 blessés -probablement plus-, est un drame oublié. 30 ans plus tard, les circonstances ayant conduit à cette tragédie ont cours dans ce pays :
négligences.
C’est une journée inoubliable : au 19ème jour du mois de Ramadan, le 24 mars 1992 précisément, survient le drame de la Sonacos. A la mi-journée, à 13h tapantes. Au moment où les ouvriers de la Sonacos, à la rue Amical Cabral angle rue Rocade Fann Bel Air, observent une pause. Pour chasser ces interminables heures, ces petites minutes qui les séparent de la rupture du jeûne.
Malheureusement pour eux, ils sont surpris par l’incendie en pleine sieste. Une citerne remplie à ras bord de gaz (ammoniac) explose, dans un bruit d’enfer. Surpris, les ouvriers qui se lavaient seront les premières victimes pour avoir inhalé une quantité importante de ce gaz mortel. Sans leur masque, ils tombent comme des mouches.
C’est le branle-bas, on court dans tous les sens et chacun essaie de sauver sa tête. Finalement, la tragédie survenue le 24 mars à la Sonacos provoque une centaine de morts. Le camion-citerne, qui a explosé à Bel Air, était surchargé de 5 tonnes d’ammoniac liquide. «Le camion-citerne contenait 22 tonnes d’ammoniac liquide alors que sa capacité normale était de 17 tonnes», déclare Madia Diop, repris par les journaux. Le Secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts) rendait ainsi publiques les conclusions de l’enquête menée sur le terrain de la tragédie par son organisation syndicale.
Publiée le lendemain du drame, la Une du Soleil est restée dans l’histoire : «Le nuage de la mort. Après l’explosion d’une citerne d’ammoniac, il y a eu 41 morts et 403 blessés.»
Après un mois, le bilan est passé à 116 morts et 1150 blessés. Au finish, 129 cas de décès seront finalement notés, selon le bilan officiel. Et les personnes blessées en mourront quasiment toutes, plusieurs années plus tard. Les équipes, qui ont assuré le suivi médical des victimes, ont observé, comme pour les intoxications par le chlore, que des personnes atteintes de lésions jugées sans gravité dans un premier temps, développaient un œdème pulmonaire fatal après quelques jours.
De l’huile sur le feu
Comment une telle situation a pu se produire ? D’après la même source, le conducteur du camion-citerne n’était qu’un manœuvre saisonnier. Dans sa déclaration du 7 avril, quelques jours après le drame, le Bureau confédéral de la Cnts de retenir qu’il n’est de pire crime que de laisser la responsabilité d’une menace aussi grave à un chauffeur de manœuvre saisonnier de la 3ème catégorie, sans aucune formation technique ni scientifique, qui ne peut en aucun cas mesurer ni apprécier les dimensions d’une éventuelle catastrophe par rapport à l’environnement industriel de la Sonacos.
Dans un rapport extrêmement détaillé, le ministère de l’Environnement avait détaillé le déroulement de l’accident, ses effets et conséquences. Comme tous les jours, tout s’est enchaîné au rythme habituel : le 23 mars, la veille de l’accident, la citerne en cause avait été chargée à 16h à partir du stockage de l’usine d’engrais, puis conduite à l’usine de traitement de tourteaux et mise en place au niveau du poste de dépotage de l’unité de détoxication. Elle n’avait pas été raccordée, une citerne identique étant déjà en déchargement. L’unité de détoxication, qui ne dispose pas de stockage propre d’ammoniac, est alimentée directement à partir desciternes de transport. Le lendemain, à 13h 30, la citerne s’ouvre brutalement au niveau d’une virole centrale qui se déroule complètement à plat. L’avant et l’arrière de la citerne, peu déformés, sont propulsés par réaction. Dans une trajectoire vraisemblablement horizontale, l’avant de la citerne «fauche» une partie des installations, puis défonce le mur d’un local électrique. La trajectoire de l’arrière de la citerne est plus difficile à établir. Compte tenu des constatations effectuées, il est, semble-t-il, propulsé vers le haut avec un angle d’environ 45°. Après avoir heurté avec violence un important linteau en béton armé du bâtiment voisin, il ricoche en direction de l’installation de détoxication et provoque les importants dégâts constatés dans les niveauxsupérieurs de l’unité, rappelle le ministère de l’Environnement. Et les évènements s’enchaînent à un rythme meurtrier : sous l’effet du premier choc, le train roulant se désolidarise du châssis de la citerne. Dans son rapport, l’Etat rapporte qu’un premier essieu est retrouvé dans la rue voisine, à une quinzaine de mètres, et un second, projeté à deux cents mètres dans un établissement voisin. Une partie de l’ammoniac contenu dans la citerne (22,18 t) se répand dans l’installation. Une autre, entraînée avec l’arrière de la citerne, est projetée hors de l’établissement (de nombreux corps retrouvés dans ce secteur portaient, selon les médecins, des traces de brûlure dues au contact direct avec l’ammoniac liquéfié).
Les informations recueillies permettent d’établir quelques éléments utiles à l’évaluation des risques : des projections d’ammoniac liquide ont atteint une trentaine de mètres. Elles auraient probablement été beaucoup plus importantes à l’extérieur de l’établissement si l’envol de l’arrière de la citerne n’avait pas été arrêté par un bâtiment. Alors que l’expansion d’un nuage blanchâtre que l’on peut attribuer à l’aérosol, a été très rapide, et s’est développée vers le haut. Le nuage s’est déplacé sur 250 m puis, selon les témoins, s’est «assez rapidement résorbé» (10 à 15 min). La description des aérosols d’ammoniac, faite à l’occasion d’autresaccidents, très denses et bien délimités, ne correspond pas exactement aux témoignages recueillis ici. Le nuage est décrit comme turbulent et permettant un séjour court sur une dizaine de mètres de profondeur avec un mouchoir comme seule protection. Néanmoins, l’atmosphère irrespirable a gêné l’intervention des secours qui ne disposaient pas d’équipements de protection suffisants (masques, bouteilles d’oxygène…). Alors que la plus grande partie des personnes tuées dans les premiers instants l’ont été dans les zones semi-confinées de l’établissement (installation, rues, locaux dont les vitres avaient été brisées…) ou dans le secteurdes restaurants du port situés à proximité. Un responsable de l’usine, qui s’est trouvé enfermé 25 minutes dans son bureau (porte coincée par le souffle de l’explosion), n’a pas été blessé.
Par ailleurs, note le rapport, le «nuage» s’est pratiquement résorbé en un quart d’heure, au niveau des ruelles de l’établissement proches du lieu du sinistre, malgré la fuite de Nh3 liquide due à la rupture des flexibles de la citerne voisine qui était en déchargement, et qui n’a été arrêtée qu’une heure environ après l’explosion. Après une demi-heure, les militaires français, qui appuyaient les autorités sénégalaises, ont pénétré sans masque dans la cour de l’établissement, à environ 100 m du lieu du sinistre.
Trois jours de deuil national Par contre, aucun incendie ne s’est produit.
«Malgré les particularités du contexte météorologique de cet accident (température de 28°C, forte humidité, vents faibles et instables en direction), il semble que les zones de risques se situent en deçà des prévisions données par les modèles habituels», note le ministère de l’Environnement.
Autre élément qui pourrait conclure à la négligence coupable selon la Cnts : l’absence d’installations pour la conservation des stocks d’ammoniac à la Sonacos.
L’approvisionnement se fait directement à partir de deux camions citernes appartenant à l’entreprise et qui, paradoxalement, servent en même temps de réservoirs de stockage et sont branchés sur les installations aux fins de déchargements progressifs pour l’alimentation directe des circuits de production.
A la suite de cette catastrophe, le président de la République d’alors, Abdou Diouf, avait décrète un deuil national de trois jours, à partir du mercredi 25 mars 1992. Depuis, cette date est tombée dans l’oubli.