Le procureur de la République près le Tribunal régional Hors classe de Dakar
Vu la procédure suivie contre X devenu :
1- Bara Tall né le 20 février 1955 à Thiès, de Birane et Dieumbe Seck, ingénieur, Président directeur général de Jean Lefebvre domicilié à Fann Résidence, 4 rue Léo Fobrénius (MD du 21-11-2006/ LP le 1er février 2007) ;
2 – Marwan Zakhem né le 10 février 1972 à Dedde (Liban), de Georges et Lisa Zakhem, ingénieur, Directeur général de Zakhem construction Sénégal domicilié au 7, avenue Carde, immeuble de la Caisse de sécurité sociale et au 36 rue Victor Hugo (Non détenu)
3 – Massamba Sall Samb né le 07 février 1953 à Séguel (Tivaouane), de Maguèye et Ngaita Thioune, ingénieur génie civil domicilié aux Almadies zone 12 villa n°23 (Non détenu)
4- Elhadji Seyni Seck né le 15 juin 1939 à Kaolack, de Mamadou et Sokhna Thiam, entrepreneur domicilié à Kaolack quartier Sara Ndiougary (Non détenu)
Inculpés d’escroquerie portant sur les deniers publics contre 1, de détournement de deniers publics, de faux et usage de faux en écriture privée contre 2, 3 et 4, de complicité d’escroquerie portant sur les deniers publics contre 3.
Vu l’ordonnance de soit communiqué rendue le 09 octobre 2009 par le juge d’instruction du 2e cabinet sur le fondement de l’article 169 du Code de procédure pénale.
Attendu qu’il résulte de l‘information les faits suivants :
Suivant ordre de mission n° 57/PR/SG/IGE du 14 juin 2004, monsieur le président de la République ordonnait à l’Inspection générale d’Etat (Ige) d’effectuer une mission de vérification des investissements réalisés dans la ville de Thiès dans le cadre de la préparation de la fête nationale de l’Indépendance 2004, en insistant surtout sur la vérification du volume des investissements, des conditions de passation des marchés et d’exécution des travaux.
Cette mission faisait suite à la volonté du chef de l’Etat, dans le cadre de la politique de décentralisation de la commémoration de la fête nationale de l’Indépendance, de doter la région de Thiès ainsi choisie, d’infrastructures importantes dont le plan de réalisation, le choix et le paiement des entreprises ainsi que la réception des travaux étaient confiés au Projet de construction et de réhabilitation du patrimoine bâti de l’Etat (Pcrpe).
Dans ses rapports n° 0212005 et 14/2005 des 12 janvier et 7 juin 2005, l’Ige révélait de nombreux manquements dans les conditions de passation des marchés et d’exécution des travaux, caractéristiques de détournements de fonds imputables entre autres aux dirigeants des entreprises adjudicataires.
Ces conclusions recoupaient celles des six experts inscrits au tableau de l’Ordre des experts et évaluateurs agréés du Sénégal choisis pour les accompagner dans l’exécution de la mission.
L’inspectrice générale d’Etat Nafy Ngom Keïta qui dirigeait la mission d’inspection expliquait à ce propos qu’après avoir évalué les conditions d’appel à la concurrence et celles de conclusion des marchés relatifs aux études et aux travaux d’investissement réalisés avant de les rapporter aux termes du cahier des charges et du cahier des prescriptions techniques, elle relevait avec son équipe de graves irrégularités d’abord dans la conception et la planification du programme ainsi que dans les conditions de passation des marchés, ensuite dans la pratique de la surfacturation à outrance.
La violation des règles de passation des marchés résultait d’après elle, de l’inobservation des règles qui gouvernent la matière par le recours singulier, pour des marchés impliquant un enjeu économique et financier extrêmement important, à l’entente directe, au gré à gré ou à la consultation restreinte.
La double conditionnalité exigée des entreprises par le Pcrpe pour bénéficier d’un marché public et relative à l’acceptation de préfinancer les travaux et à l’engagement de les terminer avant la fête de l’Indépendance du 4 avril 2004 n’était en réalité, d’après Madame Keïta, qu’une violation du Code des marchés publics et un procédé habile pour éliminer de la concurrence les entreprises ayant une faible surface financière.
Elle ajoutait qu’après l’élaboration d’une matrice d’actions prioritaires soumise aux différentes entreprises intéressées qui ont fait leur choix en fonction de leur spécialité dans les différents domaines de la voirie, des Btp et de l’aménagement urbain, un devis confidentiel a été élaboré par le Pcrpe qui en avait finalement fait fi pour négocier directement avec des entrepreneurs dont Bara Tall de l’entreprise Jean Lefebvre et retenir des prix largement supérieurs au coût des différents travaux et études homologués et consignés dans ledit devis confidentiel.
Au total, elle relevait sur les travaux réalisés et estimés dans les devis initiaux des entreprises à la somme de 40 milliards 618 millions 568 848 francs Cfa, une surfacturation de l’ordre de 13 milliards 963 millions 590 574 francs Cfa dont 11 milliards 941 millions francs Cfa sont imputables au sieur Tall.
A titre illustratif, elle révélait entre autres que le poste installation chantier évalué dans le devis confidentiel à 264 millions 483 731 francs Cfa hors Tva a été facturé par Jls à 950 millions 714 043 ; que l’abattage d’arbres coté dans le devis à 150 006 francs Cfa Htva par arbre a été facturé par Jls à 507 760 francs Cfa Htva et le coût de la Voie de contournement nord (Vcn) d’une longueur de 10,625 km dont la réalisation avait été confiée toujours à Jls aurait pu permettre, par sa cherté (8 milliards 321 millions 299 093 francs Cfa Ttc), à réaliser trois fois la route Sindia-Thiès longue de 26 km et qui n’aura coûté que 2 milliards 832 millions francs Cfa.
Cette pratique de la surfacturation a aussi été relevée par l’inspectrice générale Keïta dans l’aménagement de la place centrale qui a été confié à Jls qui, à côté de la somme de 949 millions 032 568 francs Cfa Htva retenue dans le devis confidentiel a facturé ses prestations à 2 milliards 213 millions 929 969 francs Htva.
Elle concluait que le recours à l’entente directe à travers la technique de la présélection des entreprises sur la base de leurs capacités techniques et financières n’était conforme ni aux textes ni aux principes, surtout que le préfinancement des travaux qui a été l’un des critères de sélection des entreprises est une pratique prohibée par l’article 10 du décret 2003-101 du 13 mars 2003 portant règlement général sur la comptabilité publique qui dispose, évoquant le principe de l’existence préalable des crédits, qu’«aucune dépense ne peut être engagée, ordonnancée ou payée à la charge de l’Etat et des autres organismes publics si elle n’a été prévue au budget de l’Etat et n’est pas couverte par des crédits régulièrement ouverts».
Les inspecteurs généraux d’Etat Babacar Thiaw et Lamine Diome abondaient dans le même sens que leur collègue Nafy Ngom Keïta et ajoutaient que dans le cadre d’une méthode de vérification transversale qui intégrait plusieurs aspects relatifs notamment à la conformité des opérations et du processus de mobilisation des fonds aux directives présidentielles, à la gestion régulière et transparente des crédits dégagés pour la réalisation des infrastructures et à la vérification de l’optimisation des ressources, ils parvenaient à faire onze constats qui sont autant d’irrégularités dont le recours irrégulier à la présélection et au préfinancement pour un programme de 46 milliards qui n’avait pas, contrairement à la réglementation, été présenté à l’Assemblée nationale.
Ces irrégularités et manquements étaient aussi répertoriés par les six experts inscrits au tableau de l’Ordre des experts et évaluateurs agréés dont les services ont été requis par l’Ige pour renforcer la mission qui comportait des aspects législatif, financier et technique assez particuliers.
Chérif Thiam, Boubacar Diatta, Cheikh Latyr Diack, Amadou Ndiaye, Maguèye Sène et Amara Touré expliquaient en effet que dans leur approche de contrôle du niveau d’exécution des travaux et de leur qualité sanctionnée par un rapport provisoire et un rapport définitif, ils constataient dans les différentes phases d’un marché public que sont l’étude, l’appel d’offres, la réalisation et la réception des travaux, des manquements relatifs à la passation des marchés, à l’étude et au contrôle des travaux illégalement confiés au même bureau, à l’épaisseur des couches des routes, à la qualité des matériaux utilisés.
Ils concluaient dans leur rapport que la comparaison effectuée entre d’une part les bordereaux de prix des quatre principales entreprises ayant travaillé sur les chantiers routiers (Fougerolles, Cse, Cde, Soseter) complétés par le bordereau des prix de la Direction générale du Patrimoine bâti, et d’autre part ceux pratiqués par Bara TaIl, Elhadji Seyni Seck et Marwam Zakhem et le bureau de contrôle Gic dirigé par Massamba Sall Samb, avait révélé des surfacturations tenant aux montants et aux quantités utilisées.
Inculpés, sur la base des résultats des missions combinées de l’Ige et des six experts, de détournement de deniers publics, d’escroquerie portant sur les deniers publics, de complicité de ce chef, de faux et usage de faux en écriture privée, Bara Tall, Marwan Zakhem, Elhadji Seyni Seck et Massamba Sall Samb contestaient énergiquement ces faits de surfacturation caractéristiques de détournement qui leur étaient reprochés et qui portaient sur les sommes respectives de 8 milliards 099 millions francs Cfa, 704 millions francs Cfa, 104 millions francs Cfa et 275 millions 760 403 francs Cfa.
Bara Tall soutenait ainsi avoir, dans le cadre de la réalisation des chantiers dits de Thiès, répondu à un avis de présélection d’entreprises paru dans la presse avant d’être retenu pour la réalisation du lot n°1 constitué de la Voie de contournement nord (Vcn), de la route de l’axe du défilé de l’avenue de Caen et du boulevard de Nguinth reliant la Vcn au centre-ville.
Il ajoutait avoir alors fait ses offres qui ont été agréées, puis suivies d’une demande de l’autorité qui l’invitait à élargir son domaine d’intervention face à l’impossibilité pour elle de trouver des entrepreneurs qui accepteraient de prendre en charge les autres lots relatifs à l’aménagement de la Place centrale de Thiès, à l’aménagement paysager du long de l’avenue Caen et à l’éclairage public en raison de la double exigence du préfinancement et de l’exécution des travaux avant la fête de l’Indépendance.
Il persistait à dire que le marché relatif à la voirie (lot 1) lui a été attribué dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, alors que les trois autres (éclairage public, aménagement paysager et aménagement de la Place de France), abusivement qualifiés de marchés de gré à gré, ont été obtenus dans le cadre de consultations directes.
Il précisait que les prix pratiqués correspondaient exactement à ceux retenus avec le même partenaire qu’est le Pcrpe pour la réalisation d’ouvrages publics dans la même région de Thiès, sous réserve de l’application d’un coefficient d’ajustement de 10% pour tenir compte du taux d‘inflation et de l’obligation de préfinancement qui nécessitait des charges supplémentaires.
Il contestait ainsi toute surfacturation et mettait le quantum des montants facturés sur le compte du gigantisme d’un tel projet qui nécessitait des débours importants en termes de frais financiers générés par les nombreuses contraintes géotechniques, géométriques, économiques et budgétaires.
Il faisait remarquer qu’il avait démarré les travaux dès après la signature du contrat le 1er août 2003 et la réception de l’ordre de service, l’approbation du contrat ne devant intervenir que bien après car l’ordre de service de démarrage des travaux devait marquer le point de départ des délais d’exécution.
Il déclarait que relativement à la sous-traitance des marchés de l’éclairage public, de l’aménagement de la Place de France et de l’aménagement paysager qui lui est reproché, il avait tout juste eu recours à une pratique qui entre dans ses attributions de dirigeant d’une société spécialisée dans la construction de routes et de bâtiments, mais aussi dans l’aménagement de voirie qui incluait entre autres l’éclairage.
Il précisait avoir sous ce chapitre exécuté 80% des travaux et sous-traité le reste à des entreprises exclusivement spécialisées dans les domaines de la maçonnerie, de l’éclairage, du carrelage ou de l’aménagement paysager avec lesquelles il collaborait souvent dans le cadre de contrats de tâcheronnat.
Les sieurs Pathé Yérim Séye, Ibrahima Moussa de Egcap et Birame Diallo pour le carrelage, Ndiogou Tall de Erod pour les bordures de routes et Abdourahmane Cissé de Erbgc pour la maçonnerie confirmaient tous devant les enquêteurs et le magistrat instructeur avoir bénéficié, dans le cadre de leurs relations habituelles, de contrats de tâcheronnat (et non de sous-traitance) auprès de l’entreprise Jls qui a intégralement libéré les montants dus après exécution totale des travaux.
Bara Tall concluait enfin avoir au total reçu la somme de 17 milliards 655 millions 875 364 francs Cfa de l’Etat qui reste lui devoir celle de 3 milliards 321 millions 214 175 francs Cfa, sommes qui correspondent aux montants obtenus en appliquant les prix du marché à des quantités réellement utilisées sur le terrain et certifiées par des bureaux de contrôle dont le groupe d’ingénierie et de construction (G/C) dirigé par Massamba Sall Samb.
Ce dernier reprenait totalement pour son compte l’argumentaire de Bara Tall en remettant par ailleurs en cause le professionnalisme et la rigueur des experts dont les rapports provisoires et définitifs avaient servi de matières premières aux inspecteurs de l’Ige.
Il expliquait en effet que dans son travail d’élaboration des études techniques et de supervision des travaux qui lui a été confié après avis favorable de la Commission nationale des contrats administratifs et sur la base d’une tarification normale et habituellement pratiquée dans ses rapports avec le Pcrpe, il commençait, dans le cadre de la mission d’études, par effectuer des investigations sur le terrain relatives aux levées topographiques, aux études géotechniques, hydrologiques, d’ouvrages d’art et de trafic pour l’établissement de rapports et l’élaboration d’un dossier d’appel d’offres.
Il entreprenait ensuite, dans la phase de contrôle des travaux, de s’assurer que le projet, aux plans qualitatif et quantitatif, répondait aux normes contractuelles en ce qui concernait notamment les structures des épaisseurs et les quantités réellement mises en œuvre par les entreprises.
Il soutenait que pour ce travail dont il a été rétribué à la mesure des prestations fournies, il contestait la surfacturation évoquée par les experts relativement à la fixation du montant de ses honoraires et des prix et quantités avancés par les entreprises contrôlées.
Ainsi dans un document intitulé : Radioscopie du rapport d’audit de l’Ige qu’il a produit au dossier, il a passé en revue pour les démonter les différents griefs articulés par cette institution dans son rapport.
Il énumérait, pour fustiger «l’incurie» des experts, les anomalies relatives à la mention dans leur rapport, de postes qui n’existent plus sur le terrain (comme les arbres déjà abattus et enlevés ou les ouvrages démolis), de postes non réalisés (comme les appareils d’appuis, les joints de chasses, les enrochements et panneaux de localisation…), ou l’omission dudit rapport de postes pourtant réalisés sur le terrain (comme le ciment, les bordures pour épaulement et le radier submersible).
Il ajoutait que le rapport final de l’Ige qui «révèle une volonté manifeste de déboucher à tout prix sur des conclusions préétablis», montrait ses limites à travers la fausse estimation qui a été faite sur les quantités et la qualité des matériaux utilisés et qui résultait tout juste d’une approche approximative qui, à la place d’un vrai travail de terrain, était plutôt basée sur un travail documentaire qui défie toutes les règles de bonne pratique de la géotechnique routière.
Il concluait avoir accompli sa mission de contrôle sur la base des prix unitaires contenus dans le marché de l’entreprise librement discuté et agréé par le Pcrpe, malgré les quelques écarts relevés entre les quantités de l’étude figurant sur le devis confidentiel et les quantités constatées lors du contrôle des travaux, qui tiennent juste à l’envergure des infrastructures routières de cette nature.
Cette tendance de dénégation a aussi été suivie par Marwan Zakhem et Elhadji Seyni Seck.
Le sieur Zakhem soutenait avoir répondu à un avis avant d’être sélectionné pour la réhabilitation du stade Lat Dior où il avait investi la somme de 1 milliard 700 millions francs Cfa pour la réalisation des travaux qu’il avait menés à leur terme suivant les stipulations contractuelles, et ce contrairement au rapport des experts qui évaluaient la masse des sommes utilisées à 591 millions 361 387 francs Cfa.
Il déclarait n’avoir reçu à titre de paiement que la somme de 1 milliard 371 millions 130 966 francs Cfa de l’Etat qui lui reste redevable du reliquat.
Il s’inscrivait en faux contre les accusations de surfacturation en expliquant, avec à l’appui de documents attestant de l’exécution par ses soins de plusieurs marchés pour le compte de l’Etat, que la fixation des prix a toujours obéi en cette matière à une estimation technique des coûts basée sur son expérience en matière de réalisation des travaux.
Elhadji Seyni Seck embouchait la même trompette en affirmant avoir régulièrement soumissionné à la suite d’un avis d’appel d’offres paru dans la presse, avant d’être présélectionné puis finalement retenu pour l’exécution des marchés relatifs au siège des anciens combattants, au siège de la Croix-Rouge, ou complexe Médina Fall, (pour un montant de 501 millions 901 455 francs Cfa), à la construction de l’hôtel du rail (pour un montant de 722 millions 485 964 francs Cfa) et à la réhabilitation du musée régional de Thiès (pour un montant de 249 millions 058 380 francs Cfa).
Il ajoutait avoir tiré profit de sa longue expérience professionnelle ponctuée par ses nombreux rapports contractuels avec l’Etat pour fixer ses prix qui ont été finalement retenus par le Pcrpe.
Il déclarait contester les estimations des experts en ajoutant s’en tenir aux conclusions des bureaux de contrôle qui suivaient l’exécution des travaux qui ont été réalisés à 98% (cote D401).
Ces déclarations, tout comme celles de Bara Tall, de Marwan Zakhem et de Massamba Sall Samb étaient confirmées par Ousmane Cissokho et Moustapha Coly, tous deux en service à la Task force qui est une cellule de suivi et de contrôle logée au Pcrpe, qui ont déclaré que tous les travaux se sont déroulés dans le temps et suivant les conditions définies.
Ils affirmaient en effet avoir, dans cette mission de suivi et de coordination des travaux exécutée aux côtés d’une équipe de militaires du génie et des équipes des bureaux d’études et d’architecture, relevé que les travaux ont été exécutés conformément aux règles de l’art parce que les entreprises sélectionnées étaient bien outillées pour parvenir à ce résultat.
Quelques responsables de bureaux d’études et d’architecture ainsi que les dirigeants d’autres entreprises ayant intervenu dans la réalisation des travaux, dont Aïssatou Diagne de l’entreprise Atelier international d’architecture et urbanisme (Aidau), Ndiaga Dieng du Bureau d’études technique générale, Papa Amadou Cissé Lô de l’Africaine d’ingénierie pour le développement consultance, Mamadou Moustapha Diagne du Cabinet d’ingénierie «Ingénieurs consultants», Mamadou Niang de l’Agence d’architecture de décoration et d’ethno design, Pathé Gaye architecte, Mamadou Ndiaye de la Société africaine d’équipement et de construction (Afec), Mar Thiam de la Générale de travaux et de négoce, Oumar Guèye de la Sitra Sarl, Gérard Michel Senac de l’entreprise Fougerolles, Mamadou Dieng de Média virtuel, Lamine Mboup de la Société centrale des travaux, Modou Thiam de Ndiambour Sa, Mapenda Dia de l’Entreprise sénégalaise de menuiserie, Cheikh Lô de la Société de travaux et de commerce (Sotracom), Djibril Thiam de l’Entreprise d’études et de réalisation d’infrastructures (Eeri), Sada Bâ de l’Entreprise de travaux et divers (Entrad), El Hassane Diawara de la Société d’équipement, de construction et de travaux publics (Secotrap Sarl), Ibrahima Fall de l’Entreprise générale de services, Cheikh Tidiane Diop de la société Protec, Mbaye Diop de la Société africaine de travaux aménagements et réalisations (Satar), Mbaye Thiam de l’Entreprise générale de travaux (Egx), Mbaye Diagne de l’Entreprise africaine de travaux publics (Eatp), Chémali Rassène du Consortium d’entreprises (Cse), Massamba Fall de l’Entreprise générale de construction et de distribution, Ardo Sadio Sow de la Société sahélienne d’équipement et de terrassement (Soseter), Dame Diouf de la société Sine Distribution, services et travaux publics (Sidis Tp) et Mamadou Seck de l’Entreprise générale métallurgie bâtiment travaux publics et vidange (Egmbtv) contestaient tous pour leur part, les conclusions contenues dans les rapports aussi bien de l’Ige que des six experts requis.
Ces contestations étaient ainsi articulées autour des deux axes qui formaient la charpente des conclusions des auditeurs évaluateurs en ce qu’elles tendaient toutes à battre en brèche la thèse des surfacturations et celle des irrégularités dans les conditions de passation des marchés.
Ces responsables de société et de bureau d’études et de contrôle exprimaient dans un bel élan unitaire, que les chiffres contenus dans les rapports des inspecteurs et des experts ainsi que les quantités estimées utilisées pour l’exécution des travaux ne correspondaient à aucune réalité scientifique et résultaient d’un travail approximatif qui variait au rythme des contestations des dits responsables et projections des commanditaires des missions d’inspection.
Leur version devait être confirmée par les responsables du Pcrpe dont le directeur de l’époque Salif Bâ et le directeur administratif et financier Moussa Yade qui clamaient la régularité des conditions de passation des marchés et la bonne qualité de l’exécution des travaux.
SUR LE NON-LIEU
Les rapports de l’Inspection générale d’Etat et des six experts qui l’ont soutenue dans sa mission révèlent d’innombrables irrégularités tenant aux conditions de passation des marchés publics et d’exécution des travaux qui ont été, d’après les experts, l’occasion pour les cabinets d’études et de contrôle mais aussi pour les entreprises adjudicataires, de procéder à des surfacturations qui ont considérablement entamé les deniers de l’Etat.
Ainsi, dans deux rapports provisoires et définitifs des experts et un rapport de l’Ige, des manquements et irrégularités imputables à Bara Tall, Elhadji Seyni Seck, Marwan Zakhem et Massamba Sall Samb ont été relevés dans toutes les étapes de la procédure de passation des marchés, d’exécution et de contrôle des travaux.
Toutefois, il semble curieux que pour des travaux d’une telle envergure impliquant un enjeu financier aussi important pour l’Etat du Sénégal et l’intervention de plusieurs structures pour leur réalisation, les poursuites aient été aussi sélectives.
En effet, cette approche sélective dans le déploiement des dites poursuites fragilise la procédure et ramollit les charges et autres griefs que les «auditeurs» ont articulés dans leurs rapports contre les inculpés.
En effet, le détournement de deniers publics et l’escroquerie portant sur les deniers publics supposent, pour leur caractérisation, au-delà de la nature des sommes détournées ou escroquées, des actes matériels qui concourent à la réalisation du forfait.
Or en l’espèce, la structuration du rapport des inspecteurs et experts dans ses deux aspects relatifs aux conditions de passation des marchés et à la surfacturation ne renseigne pas forcément sur l’existence d’éléments caractéristiques des incriminations sus décrites.
En effet, les irrégularités et anomalies recensées dans les rapports et présentées sous forme de manœuvres et de manipulations tendant à accéder à la fortune de la puissance publique ne peuvent juridiquement pas revêtir ces qualifications qui sont réservées aux seules actions consciemment déployées pour s’accaparer indûment de tout ou partie de la fortune d’autrui.
A ce propos, l’analyse des éléments et pièces du dossier révèle que relativement aux conditions de passation des marchés, l’intervention de Bara Tall pour les deux lots s’est faite à la suite d’un avis publié dans la presse locale pour le premier lot, et dans le cadre d’une concertation restreinte pour le deuxième lot à la suite de la carence de certaines entreprises qui ne remplissaient pas la double conditionnalité du préfinancement et de la livraison des travaux avant la fête de l’Indépendance.
Ainsi, sous ce double chapitre de la concertation directe et de l’obligation de préfinancement qui fausseraient le libre jeu de la concurrence tel que décrié par les experts, la formalisation des rapports contractuels entre le Pcrpe et les entreprises concernées dans un cadre même irrégulier ne saurait, à elle seule, caractériser les éléments constitutifs d’un détournement ou d’une escroquerie portant sur des deniers publics.
La violation des règles comptables ou budgétaires ou les légèretés et carences même blâmables décelées dans les conditions de passation des marchés peuvent certes valoir à leurs auteurs des sanctions civiles et/ou disciplinaires, mais ne saurait recevoir l‘application de la loi pénale si elles n’incluent pas des manœuvres et autres manipulations dolosives.
Or, il ne semble pas ressortir des rapports qui ont servi de base au déclenchement des poursuites, que Bara Tall tout comme Elhadji Seyni Seck et Marwan Zakhem ainsi que les nombreuses autres entreprises adjudicataires de marché mais non installées dans la procédure (malgré la similarité de leur situation à celle des inculpés) aient pris part aux études du projet, à l’insertion de l’avis au public ainsi qu’à la fixation des conditions de passation des marchés et aux modalités d’exécution des travaux.
La pratique de la sous-traitance ainsi que le démarrage des travaux après la réception de l’ordre de service et avant l’approbation du contrat dénoncés par les inspecteurs de l’Ige et les experts, entrent aussi dans ce chapitre d’une pratique bien établie dans le domaine des marchés publics et susceptible, en cas de manquements, d’exposer leurs auteurs à des sanctions civiles et/ou disciplinaires.
En l’espèce, les dirigeants de toutes les entreprises sollicitées par Bara Tall pour exécuter une partie des marchés dont il était adjudicataire ont déclaré avoir agi en qualité de tâcheron dans les domaines de leur spécialité, et ajoutent avoir tous été rétribués consécutivement à la livraison à temps des travaux.
Les «irrégularités» et les «anomalies» relevées dans les conclusions des experts reprises par les inspecteurs de l’Ige, ne recèlent par conséquent pas les éléments constitutifs des infractions poursuivies, au regard surtout des nombreuses péripéties de la procédure de passation de marchés qui n’appellent l’intervention active de l’entreprise ni dans la phase de la conceptualisation et de l‘étude du projet, ni dans celle de la fixation des prix à laquelle elle n’intervient qu’en faisant son offre de prix.
Par contre, il convient de relever que la surfacturation constitue l’une des manifestations les plus parfaites de l’escroquerie ou du détournement si à la base, l’intention de l’auteur d’une telle pratique s’est matérialisée par des actes tendus vers l’accaparement des deniers d’autrui par ce procédé frauduleux.
Or, en l’espèce, les inculpés contestent avoir eu recours à une telle pratique.
En droit, la surfacturation en tant que procédé frauduleux pour escroquer ou détourner des deniers de l’Etat ne peut se concevoir que «lorsque les quantités facturées sont supérieures à celles réalisées ou si les prix appliqués sont supérieurs aux prix contractuels contenus dans le bordereau des prix», ne cadre pas avec le sens qu’en donnent les experts dans leur rapports.
En effet, la pratique de prix excessifs que semblent dénoncer les experts dans leurs conclusions pourrait certes incliner à un glissement vers une surfacturation pénalement répréhensible parce que juridiquement constitutive d’escroquerie ou de détournement de deniers publics, mais en l’espèce, les inculpés ont non seulement produit des pièces attestant de la justesse des prix proposés et agréés par le Pcrpe, mais il est surtout important de relever que les travaux exécutés ont été réceptionnés et certifiés conformes aux stipulations contractuelles par les agents de la Task force chargés d’en assurer le suivi et la coordination, et par les responsables du bureau d’études et de contrôle Gic chargé d’en assurer le contrôle.
Sur ce plan, les experts, dans une démarche singulière, ont indexé les honoraires du bureau d’études et de contrôle dirigé par l’inculpé Massamba Sall Samb sur le prix du marché dont l’exécution a été confiée à Bara Tall pour en déduire que le montant réel des travaux devrait déterminer le montant du contrat du bureau d’études Gic.
Ainsi après avoir réévalué les travaux exécutés par Jls et Cde (paradoxalement écartée des poursuites) et considéré que le différentiel avec le montant total des travaux tel que figurant dans le devis confidentiel constitue la surfacturation, ils appliquaient, en valeur relative, un coefficient au coût des prestations de Gic pour parvenir à un montant inférieur à celui initialement retenu et considéraient que le surplus constitue aussi une surfacturation imputable à Massamba Sall Samb.
Or, ce même travail de certification effectué par ce dernier a aussi été confié à la Task force qui est parvenue aux mêmes conclusions d’exécution des travaux «conformément aux règles de l’art».
Ainsi, ni dans le choix de ce bureau d’études et de contrôle, ni dans la fixation de ses honoraires encore moins dans l’exécution de sa mission de planification du programme et de contrôle des travaux, il ne ressort des actes matériels de détournement de deniers publics ou d’aide et assistance apportées à Bara Tall dans la commission des faits d’escroquerie portant sur les deniers publics qui lui sont reprochés.
Au surplus, le rapprochement entre les chiffres contenus dans les rapports provisoires et définitifs des experts qui ont fortement inspiré les inspecteurs généraux d’Etat obligés de recourir à leurs services en raison des aspects législatif, financier et technique pointus qu’impliquait le contrôle et qui dépassaient leurs compétences (cote 013), révèle des écarts importants qui attestent d’une démarche approximative dans un travail d’évaluation exécuté par des experts qui ne sont cependant pas spécialisés dans la géotechnique routière.
Par ailleurs le faux, dans sa double conception matérielle et intellectuelle, ne transparaît dans aucune des pièces produites au dossier.
Il ne ressort d’ailleurs pas des conclusions des experts, que des documents ont été matériellement altérés ou renfermeraient des renseignements erronés.
Attendu qu’il ne résulte par conséquent pas de tout ce qui précède de charges suffisantes contre :
1- Bara Tall d’avoir, à Dakar, courant 2003-2004, en tout cas avant prescription de l’action publique, en sa qualité de Président directeur général de Jean Lefèvbre Sénégal, obtenu de l’Etat du Sénégal la somme de 8 milliards 099 millions francs Cfa au moyen de pièces fausses ou de manœuvres frauduleuses quelconques.
2- Marwan Zakhem, Elhadji Seyni Seck et Massamba Sall Samb :
– D’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, détourné ou préjudice de l’Etat du Sénégal les sommes respectives de 704 millions 224 879 francs Cfa, 104 millions 473 642 francs Cfa et 275 millions 760 403 francs Cfa ;
– D’avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu commis un faux en écriture privée et fait usage dudit faux.
3- Massamba Sall Samb d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, en connaissance de cause, aidé et assisté Bara Tall dans la commission des faits d’escroquerie portant sur les deniers publics qui lui sont reprochés.
Faits prévus et punis par les articles 45, 46, 135, 136, 152 et 153 du Code pénal.
Vu l’article 171 du Code de procédure pénale.
Requiert qu‘il plaise au juge d’instruction du 2e cabinet de dire n’y avoir lieu à suivre davantage contre les sus nommés de ces chefs.
Fait au Parquet le 26 avril 2010
Premier Substitut du Procureur – Ibrahima NDOYE
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