Les délestages électriques ont fini de mettre à genoux nombre de Pme sénégalaises. Temps de travail réduit, surcoût de production, baisse de productivité en sont, entre autres, les principales conséquences.
Deux hommes devisent tranquillement dans le confort de leur bureau. Mais ces deux chefs d’entreprises sont dans une situation pour le moins inconfortable. Et pour cause. L’un, qui tenait une petite entreprise de menuiserie-ébénisterie, a mis la clé sous la porte. Pour le second, les affaires marchent cahin caha. Depuis quelques années, il tient à bout de bras, selon ses propres mots, sa petite entreprise de menuiserie-ébénisterie implantée à Castors. La cause ? ‘Les éternelles coupures de courant électrique dont aujourd’hui, nombre de Sénégalais ont appris à faire, contre mauvaise fortune, bon cœur. ‘Elles nous ont tués !’, coupe-t-il court à toute autre question. Président de l’Association nationale des professionnels du bois, Masseck Diop est un homme en colère.
On le serait pour moins ! Ses affaires sont laminées par le déficit énergétique qui plombe l’activité économique du pays depuis des années. ‘Il y a quelques années, j’avais un effectif de 55 employés. Mais maintenant, je me retrouve avec 17 ou18 travailleurs. D’ailleurs, au plus fort de mes activités, je tournais avec plus de 80 personnes ; l’entreprise grouillait de monde et le vacarme y était infernal.’ Le temps normal de travail se rétrécit comme peau de chagrin et les journées s’arrêtent à 17h faute d’électricité mais aussi de commandes. A en croire Diop, auparavant, en pleines activités, les machines tournaient jusqu’à 20h. Avec un tel rythme, impossible d’honorer ses engagements vis-à-vis de la clientèle. Or, celle-ci est intraitable sur le respect des délais. Une commande qu’on exécutait en 3 jours, se fait maintenant en un mois. Résultat : ‘Même le peu de clients qui nous restent, se désole Masseck, hésitent aujourd’hui à passer commande’.
Même antienne du côté de Mamadou Banda Seck, sur l’impossible respect des délais. ‘C’est notre casse-tête. Il nous arrive de perdre souvent des marchés de plusieurs millions de francs’, conforte le directeur-adjoint de la Société industrielle de construction métallique (Sicm). Une Pme à la Sodida, employant 23 personnes et spécialisée dans la ferronnerie. Et pourtant moins l’électricité est au rendez-vous, plus la facture bimensuelle est corsée. ‘Il y a de cela 2 ou 3 ans, je payais 60 000 francs. Actuellement, j’en suis à 190 000’. Paradoxe confirmé par Seck. Mais comment tiennent-ils toujours ? ‘Allah, répond Masseck, et le bon travail réalisé et qui a fidélisé ma clientèle attachée au mobilier local’.
Khadim Dioum est le responsable commercial de Secos Industries, implantée, elle aussi, à la Sodida et spécialisée dans la parfumerie et autres produits de beauté. Chez lui, les contrecoups des délestages se déclinent en surcoût de production (30 litres de gasoil en moyenne pour alimenter le groupe électrogène) ; réduction du temps de travail ; perturbation du système de vente pour insuffisance de stock… Autres dégâts collatéraux occasionnés par les délestages, le matériel mis hors d’usage par les surtensions. Ordinateurs, groupes électrogènes et autres outils de travail, tout y passe. ‘Un moteur compresseur neuf, pour la peinture, mis en marche le samedi passé, a été bousillé suite à une coupure. On a donc été obligé de débourser 40 000 francs pour le bobinage’, explique Mamadou Banda Seck. En attendant, le miracle de la survie continue, au jour le jour. Mais jusqu’à quand ?
De l’inconvénient du tout-mécanique
C’est un truisme que de le dire : c’est le règne du machinisme. Et la menuiserie n’échappe pas à la règle. Excepté le traçage, 99 % du labeur se fait à la machine, ‘jusqu’au vernissage’, précise Masseck Diop. Adieu, presque, donc le bon vieux travail manuel. La nouvelle génération de menuisiers-ébénistes ne connaît que les machines. Ainsi tout est mécanique ! Raboteuses, scieuses, ponceuses, mortaiseuses… Conséquences du tout-mécanique, en cas de coupure, tout le monde se tourne les pouces faute de pouvoir en faire quelque chose. Une attitude que déplore un ouvrier rencontré dans une petite entreprise à la Sodida. ‘On n’imagine plus pour gagner du temps en cas de délestage. Ça déleste jusque dans les têtes’, dit-il joliment.
Amadou Oury DIALLO
walf.sn