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Kaïs SAÏED trahit Bourguiba en offrant les Sub-Saharien-ne-s comme bouc émissaire à son peuple (Par Dre Aoua Bocar LY-TALL)

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Dès son accession au pouvoir, le 25 juillet 2021, contrairement à ses promesses électorales de développer l’éducation, la santé et de soutenir la jeunesse qui l’a largement élu, le président Kaïs SAÏED se livre à des actions répressives et à des réformes anti-démocratiques qui lui permettent deconcentrer tous les pouvoirs entre ses mains (TV5). Il procéda d’abord au gel du Parlement, puis, au limogeage de son premier ministre. Il passa ensuite à la révocation de 57 magistrats (décret dans le Journal officiel du 2 juin 2022). Une mesure justifiée par des accusations de « dissimulation d’affaires terroristes », de « corruption », de « harcèlement sexuel », de « collusion » avec des partis politiques et de « perturbation du fonctionnement de la justice » (TV5 Monde /AFP du 2 juin 2022).

De même, grâce à un important dispositif policier, à partir du 11 février 2023, il procéda à une vague d’arrestations de personnalités tunisiennes. Parmi celles-ci, on compte des figures de l’opposition, des lobbyistes, des magistrats, des journalistes, un patron d’une radio privée très écoute. Le président Kaïs SAÏED justifia cette série d’arrestations par un complot contre la sûreté de l’État et des tentatives d’assassinat sur sa propre personne. De même, il affirme que c’est un réseau de spéculation qui organise la montée des prix qui engendre les pénuries des denrées essentielles devenues récurrentes dans ce pays.

En fait, le Président tunisien voit partout des complots. Car, dix jours après les arrestations massives de ses concitoyen-e-s sous prétexte de complots, ce sera au tour des immigrant-e-s SubSaharien-ne-s d’être sa cible. »L’immigration clandestine relève d’un complot pour modifier la démographie de la Tunisie, afin qu’elle soit considérée comme un pays africain uniquement et non un pays arabe et musulman » affirme t-il lors du Conseil de Sécurité Nationale du 21 février.

Accuser les Sub-Saharien-ne-s résidant en terre tunisienne (étudiant-e-s, fonctionnaires, commerçants-e-s, immigrant-e-s réguliers et/ou de passage pour l’Europe, etc.) d’être à la base d’« un plan criminel » pour « métamorphoser la composition démographique de la Tunisie » en d’autres termes, leur appliquer les thèses du « grand remplacement » de Zemmour et de l’extrême droite française, est une pure hérésie de la part d’un président d’un pays d’Afrique. 

Cette accusation est d’autant plus aberrante que la Tunisie est loin d’être une terre d’immigration. Elle constitue très rarement une destination finale où les migrant-e-s cherchent à s’installer et à vivre ; donc encore moins à « remplacer » la population autochtone. La Tunisie n’est en réalité qu’une voie de passage. Certaines de ses zones se situant à moins de 150 kilomètres de l’île italienne de Lampedusa, plusieurs immigrant-e-s se rendent là avec l’espoir de pouvoir passer en Europe. D’ailleurs, loin du chiffre qu’il a exagérément gonflé d’un million deux cent (1,2 million), les immigrant-e-s originaires de l’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie ne sont que 21 000 individus (TV5 Monde). Ce qui constitue une présence peu significative eu égard au nombre d’immigrant-e-s qu’on trouve dans d’autres pays d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. Parler donc de « hordes de migrants clandestins » est plus qu’exagérer. Les accuser de « violence, de crimes et d’actes inacceptables » est injuste et inacceptable, surtout quand on ferme les yeux sur ce que les Noir-e-s Africain-e-s, mêmes, des tunisien-e-s de souche, subissent dans ce pays. 

L’immigration ne fut donc pour lui qu’une tentative de diversion par rapport aux contestations populaires contre son régime répressif et au mécontentement de la population tunisienne affectée par une inflation de près de 10% et une pénurie récurrente de denrées essentielles telles que le lait, le sucre ou le riz. Ce qui s’est traduisit par une abstention massive aux élections législatives du samedi 17 décembre 2022 avec un maigre taux de participation de 8,8%. Ce que le président reçut comme une cinglante gifle et que l’opposition considéra comme « …un grand désaveu populaire » qui devait le pousser à quitter le pouvoir. Face à ses diverses déconvenues, les immigrant-e-s Sub-saharien-ne-s étaient donc des boucs émissaires tout indiqués pour le président Kaïs SAÏED.

Ses propos véhéments à leur égard soulevèrent une vague d’indignation à travers le monde. Presque partout, des citoyen-ne-s, des autorités, des institutions, des ONG, des militant-e-s des droits de la personne, etc. les condamnèrent fermement. Ce, d’autant plus qu’ils engendrèrent immédiatement des violences d’une frange de la population tunisienne contre les Sub-saharien-ne-s (agressions physiques et psychologues, viols, vols, destruction de leurs biens, perte de leur travail, de leur logement, de garderies pour leurs enfants, interpellations policières massives, arrestations, etc.). Par crainte pour leurs vies et celles de leurs familles, plusieurs d’entre eux demandèrent leur rapatriement et certains gouvernements (Cote d’Ivoire, Guinée) vinrent chercher leurs ressortissant-e-s et les ramenèrent au bercail. 

Ce faisant, en plus de briser des rêves (d’étudier, de travailler, de pouvoir soutenir sa famille, d’émigrer vers l’Europe), le discours de Kaïs Saïed arrache cruellement la vie de plusieurs de Sub-saharien-ne-s qui, fuyant les exactions racistes en Tunisie, périssent par dizaines au fond de l’océan. En effet, «Depuis le discours haineux du président Kaïs Saïed vis-à-vis de l’immigration clandestine en février dernier, le nombre de traversées entre la Tunisie et l’Europe explose.» (Cf.https://information.tv5monde.com/info/tunisie-au-moins-29-migrants-meurent-apres-le-naufrage-de-leurs-embarcations-493235). En effet, Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) : «En Tunisie, les départs en mer se multiplient avec une augmentation de 226 % par rapport à la même période l’année passée.» Ils sont passés de 5300 en 2022 à 14 000 en 2023 (Cf. : ministère italien de l’Intérieur). (« Je vais essayer la traversée … » par Lilia Blaise et Hamdi Tlili, Correspondants de France 24 avec AFP, 12 avril 2023). Ainsi, entre le 9 et 24 mars 2023, on a dénombré trois (3) naufrages qui ont emporté respectivement 39, 29 et 5 individus dont des femmes et des enfants. Ce, sans compter les corps non retrouvés dont 38 du naufrage du 22 mars. 

En outre, Kaïs SAÏED a fait reculer l’ouverture opérée par le président Habib Bourguiba envers l’Afrique noire et pour l’Africanité qu’il préconisait. L’INA éclaire l’actualité en revenant sur ses visites officielles dans plusieurs pays de l’Afrique Sub-saharienne. 

Il débute par la CÔTE D’IVOIRE où il est reçu par le président Houphouët BOIGNY et par tout le peuple ivoirien. Il dira entre autres dans son discours lors d’une Séance extraordinaire à l’Assemblée nationale : « … Je lève mon verre à la prospérité du peuple ivoirien, à la paix et à la compréhension entre Africains et à l’unité de l’Afrique…« .

A la deuxième étape de son voyage en Afrique SubSaharienne, le président Habib BOURGUIBA se rend au LIBERIA où il est accueilli par le président William TUBMAN et par toute une population libérienne enthousiaste. Il assiste à des réceptions, à un spectacle de danse folklorique, à la visite d’un zoo, à celle d’une mine de fer dans le Comté de Bong, à des plantations d’hévéas et à une usine. Puis, ils signent avec son homologue libérien des accords entre les deux pays.

De même, au SÉNÉGAL où une foule enthousiaste l’a accueilli aux côtés du président sénégalais Léopold Sédar SENGHORle président Bourguiba prône la coopération entre les deux pays et même entre les pays africains en général. Au cours du discours donné à l’Université de Dakar, il parle de « l’importance de coopérer pour réaliser l’indépendance de l’Afrique » et termine par « Vive l’Afrique unie et prospère!« . 

Puis, accueilli chaleureusement en MAURITANIE par le peuple mauritanien et son président, Ahmed Ould DADA, le président BOURGUIBA dit entre autres choses dans son discours en arabe: « …Nous avons pu faire alors une œuvre systématique, scientifique, organisée, planifiée pour renforcer l’unité nationale, diminuer les cloisons, les différences, tout ce qui sépare à l’intérieur des frontières d’un même pays. Je crois que cette œuvre est nécessaire pour tous les pays d’Afrique…« 

Dernière étape du voyage du 12 au 14 Décembre 1965, le président tunisien est accueilli au NIGER par le président Hamani DIORI et une foule en liesse qui l’acclame à tout rompre. À une séance extraordinaire à l’Assemblée nationale, le Président Bourguiba tient un discours mémorable. Il tire les leçons des luttes de libération nationale, aussi bien en Tunisie que dans les autres pays d’Afrique et insiste sur la nécessité de l’Union africaine, tout en reprenant les grandes lignes de sa politique africaine.

Loin de garder cet héritage africain et de le faire fleurir, en une année et demie de pouvoir (juillet 2021 – février 2023), en plus de compromettre les relations de la Tunisie avec le continent africain, le président Kaïs SAÏED a fait voler en éclats la seule rente dont son pays disposait, à savoir, la rente politique acquise grâce à son statut d’avant-garde dans le monde arabo-musulman et africain bâti à l’époque par le président Bourguiba, dénommé « Combattant suprême » à cause de sa lutte acharnée contre la colonisation (Cf.:https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Habib_ibn_Ali_Bourguiba/109843).

Ce qui valait à la Tunisie, respect et même admiration sur la scène internationale. L’image reluisante de ce pays n’est plus qu’un lointain souvenir sous le règne du président SAÏED (Cf. : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/24/l-etoile-assombrie-de-la-tunisie-de-kais-saied_6163152_3212.html ).

En outre, le comble de cette hérésie présidentielle, c’est que cette Tunisie que son président actuel craint «qu’elle soit considérée comme un pays africain uniquement», s’appelait aux origines Ifriquia donnant ainsi, plus tard, son nom au continent africain, devenue: Afrique.

Malheureusement, le virage autoritaire amorcé par Kaïs Saïed dès son arrivée au pouvoir, d’une part ; la crise économique dominée par l’inflation et les pénuries de tout genre, la crise politique majeure engendrée par des répressions sans précédent qui ont conduit à l’abstention de plus de 92% de l’électorat tunisien aux élections législatives, d’autre part ; mais aussi l’indignation générale des peuples, de la communauté internationale et celle des institutions financières telles que la Banque Mondiale (BM/FMI) ; tout cela ajouté aux propos racistes du président tunisien à l’égard des immigrant-e-s Sub-saharien-ne-s et aux violences que ceux-ci ont subies et qui les ont conduits au brusque retour dans leurs pays respectif et/ou à la mort au fond des océans, a détérioré l’image de la Tunisie aux yeux du monde et l’a placée au bord du gouffre. 

Dre Aoua Bocar LY-Tall

Socio-historiographe, Chercheure, Écrivaine et Conférencière internationale

Contact : [email protected]

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