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La belle et la plume

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NAFISSATOU DIA DIOUF, 37 ANS, ECRIVAINE
Nafissatou Dia Diouf, cette écrivaine peint des faits de société dans ses écrits sans fioriture ni forfanterie.

Si c’était un animal, ce serait un oiseau posé entre trois branches : sa passion, son boulot et son ménage. Une couleur ? Le bleu, évidemment, couleur du ciel où elle s’envole le temps d’une imagination pour un nouveau roman, à moins que ce ne soit le blanc immaculé de la page vierge. Un prénom ? Aïssa comme cette voleuse de mari à qui elle a donné vie 10 ans avant dans son recueil de nouvelles « Retour d’un si long exil ». Non, impossible, Nafissatou Dia Diouf est de ces êtres que l’on ne peut définir d’une phrase, encore moins découvrir le temps d’un portrait. Elle lève un pan de ce voile qui cache une partie de sa vie pour La Gazette et se définit comme une ambitieuse invétérée qui va plus vite que les autres. A part cela, Nafi est une jolie jeune femme, amicale, réservée, soucieuse d’être précise. Elle dit : « vous avez réussi à me faire parler mais jusqu’à présent, je pense que je n’ai pas dérapé, je me suis maîtrisée. » On verra !

« Il me suffit de fermer les yeux pour voir la triste réalité que vivent les femmes… »

A peine croit-on avoir cerné cette amoureuse des mots qu’elle est déjà ailleurs, curieuse de tout, jamais satisfaite, toujours prête à jongler avec les genres. Nouvelliste, romancière, poétesse … Capable de faire rire avec ses nouvelles « sociobiz », chroniques impertinentes sur l’économie d’entreprise. Et de faire pleurer avec « à tire d’aile » tiré du recueil de nouvelles « Retour d’un long exil » qui narre, entre autres, l’histoire d’une fille submergée par les souvenirs de son retour au bercail mais que la cervelle ne fixe pas, au bel amour qui finit par la disparition de « petite fleur » dans une catastrophe aérienne. Il est d’autres tranches de vies que la nouvelliste expose avec réalisme. La stérile Sagar qui conçoit contre toute attente à 44 ans, cela peut bien évoquer un conte, et pourtant c’est aussi la vie. Si l’amour se refuse à la mésalliance, l’amitié, elle, se rit des castes et de leurs inepties. Un amour impossible que Soukeyna « désamorce » dans l’éloquence d’un abandon qui ne manque pas de grandeur. On ne peut pas dire que le bonheur, sentiment de plénitude durable, fleurit dans ce recueil, mais la fin des vicissitudes du petit talibé apparaît comme un point d’orgue lénifiant dans ce tourbillon de vies fracassées que Nafissatou Dia Diouf s’emploie à modeler… avec bonheur. En ce début de mois d’avril, elle publie « Le cirque de Missira » ou la polygamie est mise à nu avec ses affres désastreuses pour les familles. Dans deux registres opposés, elle dissèque le quotidien des Sénégalais et traite des faits de société où de belles comme de tristes histoires d’amour sont chantées. Elle confesse : « personnellement je n’ai pas vécu ce que les héroïnes de mes nouvelles on vécu mais je me sens très proche de mes paires et de leurs souffrances au quotidien. Il me suffit de fermer les yeux pour voir la triste réalité que vivent les femmes », explique-t-elle de sa voix un rien traînante.

Bibliographie

Attention, il n’y a pas que des femmes dans la vie de Nafi ! « J’adore les enfants », dit-elle en souriant. Et on en arrive à la littérature de jeunesse : Dior, la jolie Sérère toucouleur, 2003 ; Les sages paroles de mon grand-père, 2003 ; Le fabuleux tour du monde de Raby, 2003 ; Je découvre … l’ordinateur, 2005 ; Cytor & Tic Tic naviguent sur la toile : Les basiques d’Internet, 2005 ; Kidiwi la gouttelette curieuse. Entre deux éclats de rires, elle explique pourquoi se subit engouement pour les mômes. Elle dit : « je me suis rendu compte qu’il n y a que les contes adaptés à l’environnement socioculturel des enfants. J’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice en renforçant la littérature de jeunesse ».

La lecture à longueur de pages de ses œuvres est une double aventure : le temps est là, mais de moins en moins, comme laminé par la montée du style. Le génie de la romancière se dresse, pour le meilleur, le pire, sur tout et reste multiforme : génie du rythme, de l’expression, génie comique, génie tactique, génie moraliste, génie chronique, génie de la bouffonnerie, de la propagande. C’est bien ça qu’on lit avec enchantement et dégoût, joie et exaspération, d’une page à l’autre, dans Retour d’un si long exil, Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 2001 ; Primeur, Poèmes de jeunesse, 2003 ; Balade virtuelle autour de la planète francophone, nouvelle primée par Radio-Canada en 1999 ; Pour le meilleur et surtout pour le pire, nouvelle policière primée par le Centre Culturel Léopold Sédar Senghor de Dakar en 1999 ; Sables Mouvants, nouvelle ayant obtenu le 1er Prix 2000 de la Fondation Léopold S. Senghor. En 2005, elle a été sélectionnée par la revue Notre Librairie, revue des littératures du Sud, comme une des « plumes émergentes » de la littérature africaine (présentation faite par Ken Bugul). La même année, elle représente le Sénégal aux V èmes Jeux de la Francophonie à Niamey où le jury de littérature lui a décerné une « mention spéciale du jury ». Nafi devient invincible par les mots. C’est par eux qu’elle déploie son génie humain. Tout est tapissé de rires, de haine, d’élans tendres, de paranoïa. Tout est tristesse, violence, solitude, émotion. Et tout est couché sur la page blanche, lieu de liberté et de salut, où la chute est synonyme de battement.

Enfance-adolescence

Nafi est tenaillée par l’envie d’écrire, dès l’âge de 12 ans. Elle a déjà le regard et la plume acide, et cette insatiable curiosité mêlée de tendresse pour les femmes. Le tout donne un spectacle hilarant. Elle imagine un accouchement qui se termine mal et l’a fait lire à sa maman, qui l’encourage. Elle se rappelle : « dans mon premier essai à l’âge de 12 ans, j’ai décrit la scène d’un accouchement avec tellement d’exactitude que ma maman n’en revenait pas. » Les ambitions littéraires s’arrêtent là en général, et les scribouillages de collégien vont mourir dans les tiroirs. Or voilà que six ans plus tard, l’ancienne de l’Institution Jeanne d’Arc se retrouve pour 6 ans à l’Université Michel de Montaigne à Bordeaux, une ville où elle a obtenu un diplôme de 3ème cycle en Logistique industrielle, une maîtrise de Langues Etrangères Appliquées (LEA), gestion des télécoms. La froideur de l’hexagone l’attriste, elle qui est habituée au cocon familial où sa mère, professeur et son diplomate de père l’ont bercée. Elle se souvient : « j’ai eu une enfance heureuse. Mes parents sont ouverts, mais ils sont aussi très stricts concernant certaines valeurs ». Ainsi s’est construit un équilibre entre la mère et l’écrivaine, la seconde puisant son énergie de la première. Elle dit : « c’est une sorte de maman de substitution pour mes enfants, elle va les chercher à l’école et leur fait leur devoir. Mes parents sont mon équilibre ». Après 7 ans passés en France, elle rentre au pays en 1997 et travaille une semaine après dans une boîte informatique. Dans la foulée, elle rencontre le père de ses trois enfants et se marie la même année. « Pourquoi attendre quand on a trouvé le bon ? », dit-elle, le regard plissé de malice. « Je suis à ma quatorzième année de mariage », dit-elle. Depuis 2000, elle travaille à la Sonatel où elle est responsable de la communication. Paradoxalement, elle trouve du temps, et du calme entre son boulot et son ménage : la plume ressort pour produire un premier roman en 2001.

Le fief de Nafi, c’est la ville de Dakar où elle est née le 11 septembre 1973. Elle a connu les cités Amitié, Point E, rien que les quartiers chics, où la petite traînait sa longue silhouette qui promettait déjà son mètre 85, accompagnée de son unique frère. Elle se désole : « j’aurais préféré avoir d’autres sœurs surtout pour plus de complicité. Cette solitude m’a poussée vers la lecture très jeune. » Elle fréquente le privé catholique dont, dit elle, la rigueur d’enseignement lui a beaucoup servi dans la vie. Elle a hérité de son ascendance Saint-Louisienne (sa grand-mère est Saint-Louisienne) une grande réticence au dévoilement intime. Pour parler de tout ça, elle nous a donné rendez-vous dans son bureau au siège de la Sonatel. Pour que la journaliste ne perce pas son intimité et décrive jusqu’au moindre détail son chez elle. On se contentera d’un espace clair et épuré comme le personnage. Avec quelques tableaux accrochés aux murs. Des piles de dossiers sur la table de travail et Nafi…au sourire radieux botte en touche sur sa vie privée : « je ne veux pas me peopoliser ! » Nafi aime le sérieux. Dans un pays où personne ne se prend au sérieux. Quoiqu’elle refuse toute étiquette et toute catégorie, y compris celle de « prolixe », Nafi avoue volontiers qu’elle n’a pas l’intention de changer de fonds de commerce. Les faits de société, le cut-up désespéré, les tripes jetées à la gueule du lecteur-spectateur vont remplir son œuvre à venir.

Pour l’heure, la dame est avenante comme une présentatrice de télévision. Elle a pris quelques kilos vu les dernières publications de ses photos sur le net. Avec son débardeur rose gris qui ressort ses yeux noisette. Elle porte une coiffure à la « dread lock » qui rompt un peu avec sa personnalité. Elle emballe tout ça d’un naturel stratosphérique et d’un bagout de chat de gouttière qui la voit toujours retomber sur ses pieds, et quitter l’imaginaire de ses écrits pour le réel…pas toujours beau à voir.

Aïssatou LAYE

lagazette.sn

 

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