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Sonko, un opposant assoiffé de pouvoir : la démocratie piégée ?* (Par El Hadj Ibrahima Sarr)

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Qu’il joue avec un ballon dans la rue ou qu’il balance un coup de pied en descendant ses escaliers, l’hystérie gagne les adeptes de Sonko.
D’aucuns affirment être prêts à renoncer à leur appartenance à une confrérie si « Ousmane mou sell mi » le leur demande, d’autres utilisent son poster pour prier. Une espèce de concours général au militant le plus extravagant et le plus cinglé semble être lancé.
La jeunesse de notre pays chantonne des »aye bou ko laalé » et des « sonko mo bari doolé ». Tee-shirts, casquettes, tasses, assiettes, serpillères et autres bric-à-brac à l’effigie de PROS et de son « mae geri » circulent et le bonhomme se plaît au jeu. On doit lui reconnaître qu’il a savamment réussi en un temps record à créer une idolâtrie délirante sur sa personne. Si on y ajoute son cortège de voitures lors de ses déplacements qui fait penser au film Fast and Furious, le jeune homme politique a plus des allures d’une star du show-biz que celles d’un intellectuel porteur d’un projet pour le Sénégal.
S’il y a une chose que Sonko a comprise, c’est que la forme compte plus que le fond dans un pays où l’exigence et la rigueur sont des anomalies. Ici on aime des gens « you saf khorom » et il faut le dire, ce Sonko ne manque pas de sel.
Il aurait pu allier son talent avec des propositions programmatiques intéressantes, ce n’est pas incompatible. Mais il a d’autres chats à fouetter que de réfléchir sur le Sénégal. Il pense plutôt à se tirer d’affaire. En effet, le malade des lombaires s’est malheureusement rendu dans un salon de massage et il a été accusé d’avoir fait des choses pas catholiques ou plutôt pas musulmanes, n’en déplaise à son Oustaz qui lui a conseillé d’y aller.
Dans n’importe quel autre pays normal, un homme public (politique, journaliste, chroniqueur, footballeur, ou que sais-je encore) accusé de faits même moins graves aurait démissionné ne serait-ce que temporairement, le temps de laver son honneur. Cela est encore plus valable dans le cas d’espèce, il aurait évité, avec ses déboires personnels, d’intoxiquer le projet qu’il était censé porter au nom de milliers de personnes.
Un homme politique a souvent un accès privilégié aux ressources, et à travers les lois il édicte ce qui est bien ou mal pour la société. Cet honneur qui lui est accordé n’est pas sans conditions, sa légitimité éthique et morale ne doit souffrir d’aucune contestation s’il veut diriger de façon efficace et sereine. Ce rôle est incompatible avec des soupçons de détournement de deniers ou de problèmes de mœurs, quel que soit le talent du concerné.
Peut-on imaginer un imam adultère sortir d’un « sabar » et aller diriger la prière ? Il faut revisiter le chef-d’œuvre de Daaray Kocc, « Les quatre vieillards dans le vent » pour voir l’incongruité à confier des fonctions exigeantes à un homme qui a quelques travers.
Au Pastef, la réalité a dépassé la fiction…En effet leur leader, les cadres et militants ne s’encombrent pas de certaines considérations. Ils ont préféré mettre le chaos dans le pays pour défendre le mis en cause. Jusque-là, nous étions habitués à ne voir cela que dans les sectes dans certains endroits de la planète : incendier et se sacrifier y compris les enfants rien que pour le gourou. Mais Pastef arriva et tout changea, des morts, des incendies, des blessés et encore des morts s’additionnent. Le projet le vaut bien disent-ils, sans s’émouvoir.
Le projet, parlons-en. Cet ustensile de communication rabâché pour donner l’illusion d’une consistance intellectuelle et programmatique n’est pas autre chose que Ousmane Sonko lui-même. S’il s’agissait de ses idées, elles auraient pu être partagées et défendues par un autre leader.
Que nenni, le projet c’est la personne de Sonko.
Pour s’en convaincre, écoutez les pastéfiens s’aventurer à donner un contenu au projet, les dérapages sont systématiques. Le plus mémorable est celui de la nouvelle coqueluche des media le jeune Ngagne Touré avec ses envolées théologiques qui ont effarouché plus d’un et en disent long sur eux.
Mais d’autres interventions sont passées inaperçues, comme celle de Lansana Gagny Sakho (nouveau membre éminent et improbable de cette formation), qui a émis des doutes sur la position de Pastef sur le Franc CFA. Il vous suffit de discuter avec des cadres de ce parti, par exemple sur la relation avec la France, sur la politique industrielle et agricole, sur le financement de l’économie ou sur la promesse de l’introduction des langues nationales à l’école pour se rendre compte du galimatias qu’est le fameux projet, il n’a rien de scientifique.
Ils n’ont donc d’autres choix que de défendre Sonko quoi qu’il ait fait et quel qu’en soit le prix. Ce dernier devient plus fort que son parti et il peut presque s’en passer, il croit avoir le peuple avec lui alors qu’il a plutôt la foule. Cela explique certaines de ses attitudes condescendantes envers ses propres cadres. En effet, comment expliquer que pendant que certains d’entre eux sont en prison, PROS entame son « Nemmeeku tour », dans l’effervescence et avec une conscience tranquille ?
Pourtant tout ce qui leur arrive est consécutif à cette logique du « gatsa gatsa » enclenchée par leur leader et leur volonté de le protéger.
Si cela se limitait à eux, nous aurions dit, c’est leur problème. Mais les patriotes que nous sommes, devons-nous nous résoudre à accepter qu’à neuf mois de l’élection présidentielle, les enjeux du Sénégal soient confondus avec ceux de Monsieur Sonko ?
Nous aurions dû vivre des mois de débats, de propositions et de réflexions d’une densité passionnante sur le devenir du Sénégal.
Les sujets ne manquent pourtant pas, sur l’économie, l’éducation, les emplois de demain avec le télétravail qui pourrait permettre à des milliers de sénégalais de travailler pour des entreprises un peu partout dans le monde, la démographie galopante (25 millions de sénégalais selon les prévisions en 2030, soit environ +1 million de solde net par an), la désertification qui progresse au nord et la destruction des forêts au sud, les questions sécuritaires et géopolitiques.
Dans un contexte où le Sénégal devient producteur de gaz et de pétrole, quels seront les prix à la pompe et le prix du gaz et de l’électricité pour les ménages et les entreprises ? L’amélioration de la compétitivité des entreprises ne devrait-elle pas nous soucier ? La politique de l’offre doit-elle être privilégiée plutôt que celle de la demande jusque-là pratiquée ainsi que l’économie de rentes dans laquelle nous nous complaisons ? La durée du mandat présidentiel de 5 ans vendu par le Président Sall comme « moderne » était-ce une bonne idée ?
Nous pourrions égrener une longue liste de sujets. Telles devraient être nos préoccupations. La démocratie sert aussi à cela. Mais la nôtre est prise en otage par un parti qui fait focus plus sur un homme que sur la nation. Aucun autre discours n’est audible. Réduire l’opposition à sa plus simple expression : Macky Sall en a rêvé, c’est Sonko qui l’a fait !
Pendant ce temps, la jeunesse de France se mobilise sur les retraites, la formation et l’emploi. Que dire des jeunes de la Silicon Valley aux Etats-Unis qui réinventent le monde sans cesse avec de nouvelles technologies ou des jeunes chinois qui sont mobilisés sur les enjeux de la nouvelle route de la soie.

Au Sénégal, une poignée d’individus a choisi de nous mobiliser sur les niaiseries d’un homme et tout le monde doit le subir. Les semaines à venir s’annoncent riches en théories du complot et surtout en déballages salaces et indignes de celui qui est présenté comme un présidentiable, quelle honte ! On n’a vraiment que ça à faire ?
En 2003, Abdou Latif Coulibaly écrivait un livre intitulé « Wade: un opposant au pouvoir, l’alternance piégée? », 20 ans plus tard, les opposants continuent à piéger l’espoir, la démocratie et le Sénégal, voilà le grand complot !
Ce Sénégal qui a embrassé la religion musulmane de façon pacifique grâce notamment à Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Malick pour ne citer que ceux-là et qui a accédé à l’indépendance de manière pacifique, est progressivement devenu une démocratie et un pays de libertés par le dialogue et la voie pacifique.
Ce Sénégal a connu plusieurs alternances à la tête de l’État, au parlement et dans les communes pacifiquement.
Au nom de quoi devrait-il basculer dans la violence pour les beaux yeux de quels individus ? Le chaos, la violence et les tueries ne sont pas dans l’ADN du Sénégal. Ne voyez pas dans l’utilisation du mot ADN une quelconque allusion malicieuse de ma part.
« La République abîmée » titrait quelques années plus tard le même Latif Coulibaly. C’est forcément la suite logique du précédent cité plus haut. Eh bien c’est aujourd’hui qu’elle est encore plus abîmée que jamais et elle n’est pas la seule, c’est la société toute entière qui a été martyrisée et trahie dans les valeurs qui la caractérisaient. Il est temps de panser les blessures.
L’après Sonko doit être préparé pour que plus jamais nous ne connaissions pareilles dérives, mais cela est l’affaire de tous, sachons-le. Patriotes de tous bords, société civile, politiques, régulateurs sociaux et journalistes sont concernés au premier chef.
Un intellectuel contemporain disait « Le plus grand danger pour la démocratie n’est pas la dictature, mais l’apathie, l’indifférence et la résignation. »…Nous devrions y méditer et agir.

El hadj Ibrahima Sarr

2 Commentaires

  1. Les Wolofs disent que « Tank bu togul, dëg day », guémëgne bouy nathie dou wakh diamm ».
    Merci beaucoup M. Sarr pour cette pertinente réflexion.
    Ceux qui ne savent réfléchir et formuler de belles idées n’ont que la violence comme moyen d’expression.

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