« Un projet fou », admet le président sénégalais Abdoulaye Wade, un des pères de la Grande muraille verte destinée à stopper la désertification en Afrique, dont les effets sont observés à la loupe par des scientifiques français et africains à Tessékéré (nord du Sénégal).
Bande large de 15 km plantée de différentes espèces végétales, la Grande muraille verte (GMV) doit relier sur 7.600 km l’ouest à l’est de l’Afrique, du Sénégal à Djibouti, en passant par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria, le Tchad, le Soudan, l’Erythrée et l’Ethiopie.
La partie sénégalaise de la GMV est déjà bien avancée et s’étend sur 535 km: depuis le début des plantations en 2008, essentiellement des acacias de différents types, dont l’acacia-Sénégal qui produit de la gomme arabique, elle couvre aujourd’hui une superficie d’environ 15.000 hectares.
Les parcelles plantées sont entourées de 5.000 km de pare-feux destinés à empêcher les incendies.
« C’est un projet fou, mais un grain de folie n’est pas inutile pour concevoir ce qui n’a jamais été conçu », avait déclaré M. Wade lors du lancement du projet en 2005 à une conférence des Etats sahélo-sahariens.
Son gouvernement finance presque seul la GMV au Sénégal à hauteur de 1,4 million d’euros par an, mais d’autres financements sont prévus, dont celui de l’Union européenne. Il faut 140 millions pour finir la GMV au Sénégal, selon le colonel Matar Cissé, directeur de l’Agence nationale de la GMV.
« Au départ, la GMV est une idée politique », souligne-t-il depuis la zone rurale de Tessékéré-Widu où passe la bande verte et où sont établies ses équipes et celles des scientifiques qui l’étudient.
« Ici, nous y mettons un contenu technique adapté à la gestion de chaque écosystème en parfaite harmonie avec les populations rurales », majoritairement des éleveurs peuls, souligne le colonel Cissé.
Selon lui, la GMV doit « valoriser le désert, le transformer pour fixer les populations et donc lutter contre l’immigration ». « C’est un programme de lutte contre le changement climatique, la sécheresse, la pauvreté », ajoute son adjoint, le colonel Pape Sarr.
Dans cette région semi-aride où il pleut à peine trois mois par an, chacun garde en mémoire les grandes sécheresses des années 1970 et 1980 qui ont décimé les hommes et les troupeaux de boeufs, chèvres, moutons.
Avec la GMV, des pépinières où l’on fait pousser les espèces qui y seront plantées, ainsi que des « jardins polyvalents » de fruits et légumes de plusieurs hectares sont apparus, gérés par les femmes de Tessékéré-Widu.
L’eau, rare, provient de forages, de bassins de rétention de l’eau de pluie et de celle d’un bras du fleuve Sénégal.
Selon Gilles Boëtsch, anthropobiologiste français, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la GMV « a un tas d’influences sur l’environnement, les activités humaines, la santé, les régimes alimentaires, le bétail ».
Le CNRS, avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a créé à Tessékéré un Observatoire hommes-milieux (OHM) dirigé par M. Boëtsch qui étudie tous les impacts du projet, auquel collaborent aussi des scientifiques maliens et burkinabè.
Lamine Guèye, Sénégalais, professeur de médecine chargé d’observer l’impact sur la santé, note en particulier qu’avec la GMV, le paludisme qui avait diminué dans la région pourrait remonter « car les moustiques vont revenir ».
L’implantation de l’OHM et de ses équipes a permis des consultations gratuites dans une zone rurale et isolée où « 99% des gens n’avaient jamais vu de médecins de leur vie », souligne M. Guèye.
Mais la GMV a aussi eu pour effet d’entraîner un mouvement de solidarité d’étudiants sénégalais et étrangers qui, chaque année, viennent par centaines à Tessékéré planter des arbres dans l’espoir que leur geste contribuera au développement d’une région pauvre et isolée.
© 2011 AFP