Notre artisanat est une richesse brute insuffisamment exploitée.
Il est issu de notre héritage culturel et a su intégrer les apports de la société moderne.
L’atelier de l’artisan est à la fois un lieu de production, un cadre d’apprentissage, de formation et même un lieu de vente.
Nos artisans participent fortement à notre économie dans laquelle tout en étant majoritairement dans l’informel, ils sont aussi dans l’économie formelle.
L’artisanat sénégalais tient des pans entiers de ce qui fait notre bien-être.
Cela coule de source. Comme Monsieur Jourdain qui fait de la prose sans s’en rendre compte, les Sénégalaises et les Sénégalais consomment chaque jours les produits de l’artisanat, utilisent le service des artisans et confient leurs enfants aux artisans, naturellement, comme d’habitude.
Que serions-nous sans nos stylistes, sans nos tailleurs, sans nos bijoutiers, sans nos maçons, sans nos menuisiers métalliques, sans nos ébénistes, sans nos peintres, sans nos tisserands, sans nos cordonniers, sans nos mécaniciens, sans nos carreleurs, sans nos plombiers, sans nos vanniers, sans nos teinturières, sans nos laveuses, sans nos chauffeurs, sans nos réparateurs de toute d’ordre de produits, etc?
Toute notre vie quotidienne et toutes nos activités journalières sont bonifiées grâce à l’intervention omniprésente des artisans.
Nos femmes seraient-elles réputées élégantes, charmantes et adorables sans leurs habits, leurs mouchoirs de tête, leurs parures et l’art de nos maquilleuses?
Nos hommes seraient-ils beaux sans les habits qui font d’eux des Samba Linguères et des Birima à la Vieux Mac Faye.
Notre artisanat est présent partout en Afrique noire, à l’Est, au Centre, au Sud-est et à l’Ouest du Continent.
Les grandes commerçantes viennent de partout acheter nos habits confectionnés.
Nos tailleurs et nos bijoutiers sont installés, reconnus et estimés dans tous les pays d’Afrique noire.
Notre pays dispose donc naturellement en l’artisanat un secteur économique endogène, hautement pourvoyeur d’emplois et de valeur ajoutée, capable de soutenir nos exportations et de renforcer le rayonnement international de notre pays.
Pourtant malgré ses multiples atouts, ses apports à l’économie et son impact sur la société, l’artisanat n’est pas promu à sa juste valeur.
Certains secteurs de l’artisanat comme la bijouterie et la pêche se meurent en libérant de plus en plus de jeunes candidats à l’émigration clandestines, aux pirogues de la mort et au voyage au Nicaragua.
La revitalisation de l’artisanat est indispensable pour que germent par milliers des GIE, des TPE, des PME et des PMI capables de produire pour la consommation locale et pour les exportations.
Cela est plus rentable pour le pays, plus pourvoyeur d’emplois revalorisants et plus enrichissant pour la population que ces délocalisations d’ateliers de production à la recherche d’emplois très mal rétribués et surtout de pays-plateformes d’exportation vers l’Europe et l’Amérique.
Notre artisanat est capable d’être la base de l’émergence d’une économie forte, stable et pourvoyeuse de très nombreux emplois.
En effet, l’artisanat sénégalais a un atout capital : la consommation locale.
La Sénégalaise et le Sénégalais adorent s’habiller avec les vêtements confectionnés par leurs tailleurs, ils aiment de plus en plus porter les chaussures faits à Ngaye Mékhé, etc.
Ce patriotisme de consommation local est un véritable levier pour construire un artisanat moderne qui débouchera sur un écosystème touffu de GIE, de TPE, de PME et de PMI.
Une révolution copernicienne dans les politiques publiques jusque là pratiquées sera nécessaire.
Il ne s’agit pas de laisser l’artisanat spontanément, naturellement vivre sa vie.
Il faudra bâtir une stratégie nationale autour d’une vision de production de qualité pour la satisfaction des besoins du pays et de génération massive d’emplois valorisants et durables.
Cinq actions primordiales seront menées pour la transformation de notre artisanat.
- La formation professionnelle et technique massive de centaines de milliers de jeunes aux milliers de métiers de l’artisanat. Elle combinera toutes les formes de formation: formation initiale, formation continue, formation duale, école-atelier, apprentissage, formation certifiante, etc. Nous devons former en peu de temps des centaines de milliers de jeunes à des métiers. Ils doivent allier la compétence, les bonnes attitudes au travail, la sensibilité à la finition des produits et le respect des normes et des délais.
- La mise en place d’un programme d’acquisition de machines et d’équipements de toute sorte pour la modernisation des ateliers des artisans, des moyens de production et l’augmentation de la qualité des biens produits et de leur attractivité. Ce programme est essentiel pour la mutation de notre artisanat et la facilitation de l’exportation de sa production vers l’Amerique et l’Europe.
- La création et la sécurisation du marché local pour la production artisanale et endogène. Une bonne politique de marketing renforcera le patriotisme économique des Sénégalais. L’ouverture des marchés publics de l’État et des collectivités territoriales à la production artisanale locale est aussi un facteur incitatif pour la consolidation et l’expansion du secteur.
- La mise en place d’une politique de disponibilité des matières premières fera revivre des secteurs aujourd’hui moribonds et renforcera les secteurs en pleine expansion de l’artisanat. Cette politique sera accompagnée par la disponibilité dans notre pays de nos ressources extractives comme l’or et la fin des accords de pêche.
- La promotion de l’innovation dans le secteur artisanal et de la coopération internationale. Les pouvoirs publics accompagneront notre artisanat afin de faciliter la naissance d’innovations et leur implantation. Les artisans seront aussi accompagnés afin d’avoir une plus grande ouverture internationale ce qui leur permettra d’intégrer des compétences et des procédés nouveaux acquis à travers la coopération avec des artisans d’autres pays.
Grâce à ces programmes l’artisanat va alors jouer un rôle moteur dans la marche de notre pays vers le bien-être de ses populations.
Évidemment cette nouvelle orientation s’accompagnera de la sécurisation sociale de l’artisan à travers la protection de son emploi, la sécurité sociale et la retraite.
Le temps est venu de tourner définitivement la page des prédateurs de la République, des incompétents, des beaux parleurs et des politiciens professionnels.
C’est seulement à ce prix que les immenses richesses matérielles, culturelles et humaines de notre pays pourront être transformées au seul bénéfice de nos populations.
L’artisanat est un don de Dieu. Le Sénégal n’a plus le temps d’attendre pour en profiter.
Je vous souhaite une excellente journée sous la protection divine et à tous ceux qui, comme moi, ont attrapé la grippe, je souhaite un prompt rétablissement.
Dakar, mercredi 22 novembre 2023
Professeur Mary Teuw Niane