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Wade, un homme de «coups» diplomatiques

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La visite spectaculaire d’Abdoulaye Wade à Benghazi est un nouveau coup dur pour un Kadhafi de plus en plus isolé. Le chef de l’Etat sénégalais est un habitué des initiatives diplomatiques qui suscitent la controverse.

Des habitants de Benghazi brandissent des posters d’Abdoulaye Wade lors de sa visite, le 9 juin 2011. REUTERS/STR New

L’AUTEUR

Barka Ba

 

«Tu es arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, il y a plus de 40 ans. Tu n’as jamais fait d’élections, tu as prétendu parler au nom du peuple. Tout le monde sait que c’est une dictature que tu as établie. Tu as commis beaucoup de choses horribles, même quand j’étais ici. J’ai vu à la télévision des jeunes pendus, pour que le peuple ait peur et obéisse.»

En devenant le premier chef d’Etat de la planète à se rendre à Benghazi, «capitale» de la rébellion où il a tenu ces propos, le président sénégalais Abdoulaye Wade a incontestablement frappé un grand coup diplomatique.

Bye-bye Kadhafi

Une «trahison» de plus pour son ex-ami Kadhafi qui, pour lui faire plaisir, n’avait pourtant pas hésité à demander aux Sénégalais médusés d’élire Wade «président à vie» lors de la fête de l’indépendance du Sénégal en 2006. Il avait été aussi l’un des rares dirigeants du monde à assister au Festival mondial des arts nègres organisé à Dakar en décembre 2010.

En grande difficulté, le Guide est donc payé en monnaie de singe par le spectaculaire coup de Jarnac de Wade aprèssa reconnaissance du Conseil national de transition. L’audace et le culot du président sénégalais ont bluffé ses pairs de l’Union africaine, sur lesquels il a pris une bonne longueur d’avance à propos de l’épineux dossier libyen. Wade a pour ainsi dire «doublé» les présidents mauritanien et gabonais Aziz et Bongo, qui ont demandé eux aussi à leur ancien parrain Kadhafi de «quitter le pouvoir».

Mais avec son «raid» sur Benghazi, Wade a surtout rendu un grand service aux puissances occidentales comme la France et les Etats-Unis. En effet, malgré la multiplication des frappes aériennes sur Tripoli, Kadhafi, sonné et K.-O., tient toujours. L’Otan s’impatiente et veut en finir au plus vite avec une intervention qui s’enlise chaque jour davantage. Ainsi, après le front militaire, le front diplomatique ouvert par Wade par l’entremise Sarkozy via Bernard-Henri Lévy, grand architecte dans l’ombre du rapprochement entre le président sénégalais et les insurgés libyens, permet de porter l’estocade au «roi des roi d’Afrique» autoproclamé.

Mieux, le coup asséné par Wade à Kadhafi est d’autant plus rude qu’il met à mal la rhétorique serinée en boucle à la télévision d’Etat libyenne présentant l’intervention militaire de l’Otan comme une «agression anti-impérialiste». Et la moindre des contreparties engrangées par Wade ne serait pas l’adoubement par Sarkozy de son fils Karim, à qui l’on prête la volonté de lui succéder et qui a fait le voyage avec lui à Benghazi. Une sorte de «coup double» gagnant pour le vieux et rusé chef d’Etat.

Wade, un habitué des échappées solitaires

Le chef de l’Etat sénégalais, qui n’aime rien tant que capter la lumière, est un habitué des échappées solitaires ­—quitte à provoquer parfois des sorties de route. Ainsi, pendant le second tour de l’élection ivoirienne et à la surprise générale, il recevait à Dakar le candidat Ouattara, affichant clairement sa préférence —à la grande fureur du camp Gbagbo. Résultat: des sueurs froides pour les nombreux Sénégalais établis en Côte d’Ivoire qui craignaient des représailles de la part des Jeunes patriotes de Gbagbo. Pour le remercier de ce soutien décisif, le président Ouattara, à peine élu, effectuera sa première visite à Dakar.

Mais si Wade collectionne ainsi certains succès personnels, il n’en est pas de même pour la diplomatie sénégalaise. En effet, contrairement aux apparences, Wade ne jouit plus de la même influence auprès de ses pairs. A la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ou à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa), il lui est de plus en plus difficile de faire accepter ses candidats alors que pendant longtemps ses compatriotes ont trusté des postes de choix dans ces instances sous-régionales.

Pis, ne supportant pas que d’autres compatriotes brillent sur la scène internationale, il n’hésite pas à critiquer régulièrement et vertement des personnalités comme Amadou Mokhtar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco ou Jacques Diouf, directeur général de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Ce qui s’est rarement vu dans les annales de la diplomatie.

Mais Wade n’en a cure. Au firmament de la communauté internationale, une seule étoile sénégalaise doit scintiller: la sienne.

Barka Ba, slateafrique.com

 

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