Les travaux de l?aéroport international Blaise Diagne de Ndiass (Aibd) ne seront pas terminés à la fin de l?an- née 2011. Ce sont les principales conclusions issues de la réunion organisée vers la fin du mois de mai à Djeddah, avec la Saudi Ben Landen Group, l?entreprise en charge de l?ouvrage. Presque quatre années après que les travaux de l?aéroport Blaise Diagne ont démarré, nul ne peut indi- quer avec précision sa date de livraison. Ni les autorités sénégalaises, ni le groupe Bin Laden n?ont jusqu?ici pu éclairer l?opinion. Des échéances sont toujours annoncées mais jamais respectées.
Fin 2011, la date qui avait été indiquée par le chef de l?Etat pour la réception de l?infrastructure a ainsi rejoint au cimetière des annonces sans lendemain celle qui avait été faite plus tôt par son fils Karim Wade. En tant que ministre des Infrastructures, de la Coopération internationale, des Transports aériens, ce dernier s?était engagé devant le Sénat, le 2 décembre dernier, à terminer le chantier de l?aéroport en fin 2009. La question de la fin des travaux d?AIBD était donc au centre des débats qui ont animé la réunion de Djeddah. Les responsables de Saudi Ben Landin Group (SBG), y ont clairement indiqué que le deadline fixé pour la fin de l?année 2011 sera inévitablement repoussé. Une source bien au fait des conclusions issues de cette réunion affirme qu?entre autres raisons, ce qui retarde le plus l?échéance reste la délocalisation des villages contigus à l?enceinte de l?aéroport. Elle explique que cela constitue une réelle difficulté, très sensible et qu?il faut par conséquent gérer avec beaucoup de diplomatie.
La Gazette est d?ailleurs en possession d?une correspondance du directeur général de SBG, Roger Salvan, expliquant au patron d?AIBD, Modou Khaya, à quel point la libération des villages par les populations constitue un frein aux travaux. Dans sa lettre, M. Salvan souligne : « nous vous informons de l?empêchement que la présence des populations des villages qui doivent faire l?objet d?un recasement retarde le démarrage de nos travaux de remblais et de déblais ». Ces opérations, comme l?indiquent les documents dont dispose La Gazette sont estimées respectivement à 375 000 mètres cubes (remblais) et 25 000 mètres cubes (déblais). Aussi, la présence des populations villageoises est-elle à l?origine de charges financières supplémentaires comme le mentionne le directeur de SBG dans sa correspondance. Il explique : « les sous traitants n?ayant pas de zones accessibles et disponibles devront obligatoirement déposer leurs matériaux à l?extérieur pour les redéployer ultérieurement, ce qui occasionne une dépense additionnelle ». Cela n?est pas sans conséquence avec l?hivernage qui s?annonce. Car renseigne Roger Salvan : « vue l?arrivée prochaine de la saison des pluies, nous devons prévoir une dérivation pour l?écoulement des eaux de ruissellement ». Ce qui naturellement nécessitera des coûts supplémentaires. Le président Abdoulaye Wade, déjà en 2008 déclarait lors d?une visite de terrain sur le site : « les réticences des populations ont été réduites lorsque j?ai rencontré leurs délégués. L?avantage de ce site c?est qu?il n? y a personne. Il y a un ou deux villages mais on va s?entendre ». Pourtant ces populations rencontrées par La Gazette, il y a de cela quelques mois, se sont dites plus que jamais réticentes à quitter leurs terres ancestrales. En réalité, l?aéroport est à cheval sur les communautés rurales de Ndiass et de Keur Moussa. Son implantation touche uniquement les villages situés dans la zone de Keur Moussa. Il s?agit des villages de Kessokatt, kathialik, et Mabadatt.
4,895 MILLIARDS POUR LES VILLAGES
L?ensemble des activités de déplacement et de réinstallation des populations de Kessokatt, Kathialik et Mabadatt est estimé à environ 4,895 milliards FCFA. Des coûts qui équivalent à ceux d?une agglomération de type urbain de 200 maisons avec voirie de desserte dotée des équipements de base nécessaire à un fonctionnement correct. Ce chapitre nécessite 3,110 milliards FCFA dont 470 millions FCFA affectés au réseau, 516 millions FCFA pour les équipements sociaux de base et 2,124 milliards FCFA pour les habitations. A cela s?ajoutera 1,785 milliard FCFA représentant le coût estimé du réseau de desserte de la zone de recasement. Toujours dans le cadre de la réinstallation des villageois, il subsiste un chapitre dénommé Plan d?actions prioritaires. Cette phase prévue sur une période d?un an est évaluée à 800 millions FCFA. Elle s?établit comme suit : 100 millions FCFA en ce qui concerne l?indemnisation des impenses (champs), 150 millions FCFA pour l?aménagement, le terrassement la préparation du terrain et le lotissement, alors que 40 autres millions seront réservés à l?édification d?un forage. Enfin, l?aménagement des réseaux VRD, routes internes et la construction de quatre maisons témoins coûteront 510 millions FCFA. Tous ces financements, d?après un document interne à AIBD et détenu par La Gazette, « seront assurés par l?Agence de promotion des investissements et des grands travaux (APIX). Des fonds qui proviendront des res – sources de l?Etat, avec l?appui des partenaires au développement ».
A QUEL BUDGET SE FIER ?
Pour en revenir au coup global de l?aéro- port, il est à préciser qu?aussi bien AIBD, SBG que les autorités étatiques ont des difficultés à s?accorder. Des chiffres contradictoires sont relevés à tous les niveaux. Quand le Président Abdoulaye Wade annonce que le financement a été bouclé et sécurisé en plus de renseigner que le coût global du projet s?élève à 237 milliards, le directeur d?AIBD, Modou Khaya, avance des chiffres différents. « Le budget de la construction est de 430 millions d?euros, c’est-à-dire environ un peu moins de 300 milliards de francs Cfa. Au départ, nous avions annoncé près de 230 milliards. Mais des rajouts ont été demandés volontaire – ment pour l?élargissement de l?aéroport. La redevance que nous devons percevoir des passagers a permis de financer plus qu?on avait envisagé » dit-il. Pendant ce temps, la Banque africaine de développement (BAD) renseigne, dans un communiqué, qu?elle a « approuvé, le 17 Décembre dernier, l?octroi d?un prêt de 70 millions d?euros, destiné à financer le projet de construction du nouvel aéroport ». La BAD ajoute que « le coût total du projet est d?environ 525 millions d?euros dont 379 millions d?euros sous forme de financement par prêt privilégié ». Ce qui équivaut à environ 345 milliards de FCFA.
LA REDEVANCE EN QUESTION
Au départ, pour financer la construction de l?aéroport, l?Etat du Sénégal a travaillé avec la BNP PARIBAS (banque française) et la BMCE (Banque Marocaine pour le Commerce Extérieure) pour obtenir des emprunts internationaux. Lesquels emprunts sont garantis par un compte séquestre logé à la BMCE destiné à recevoir la redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (RDIA) collectée sur les billets des passagers en par- tance du Sénégal ou à destination du Sénégal. Dans une contribution publiée par le journal Le Quotidien, l?auteur, bien au fait de ce qui se passe à l?AIBD déclare que « ce procédé qui a consisté à faire d?une banque marocaine le dépositaire de ressources fis – cales publiques sénégalaises est choquante et porte atteinte à notre indépendance ». Pour le remboursement de l?emprunt, la RDIA a été instituée par un décret d?avril 2005 pour un montant par billet d?un euro (environ 656 F CFA) sur un vol national et de 30 euros (environ 20 000 F CFA) sur un vol international.
En novembre 2010, le ministère de l?Economie et des Finances avait dressé un tableau qui montre un énorme manque à gagner pour le Trésor public en ce qui concerne la collecte de cette RDIA. Car, à la lecture de ce tableau, on se rend compte qu?entre le montant qui aurait dû être collecté (115 milliards) et celui qui a été effective- ment collecté par le Trésor (104 milliards), il subsiste une déperdition de 11 milliards FCFA.
Ainsi, résume l?expert, auteur de la contribution, « il ne peut y avoir que deux éventualités : soit une partie de la somme a été retenue par les organismes collecteurs (IATA et AANS), ce qui serait très cher payé pour le service rendu, soit plus grave encore, elle est tout simplement détournée par les différentes entités et personnes intervenant dans le processus de collecte ». Quoiqu?il en soit, entre le montant facturé (montant cal- culé) et le montant versé, 11 milliards FCFA ont été « perdus » en chemin. Au profit de qui ? Pendant ce temps, un rapport d?audit sur la « Revue du processus de facturation et de collecte de la RDIA » produit par un cabinet indépendant, relaté par la presse, a fait état entre autres malversations de factures annulées, de chèques non reversés et d?absence de pièces physiques et de contrôles.
Par ailleurs, le chef de l?Etat, en signant le Décret n° 2008-1345, du 21 novembre 2008, fixant les taux et modalités d?utilisation de la redevance pour l?utilisation des ouvrages et locaux d?usage commun servant à l?embarquement, au débarquement et à accueil des passagers sur les aérodromes du Sénégal a décidé qu?une taxe aéroportuaire de 6 000 FCFA. Anciennement affectée au financement des investissements réalisés par les Aéroports du Sénégal et au remboursement des dettes contractées pour les investissements sur l?actuel Aéroport de Dakar, elle a continué à être perçue sur les passagers malgré la perte d?affectation initiale. « Ce procédé rappelle celui des fameux vases communiquant occasionnés par la gestion de l?ANOCI à l?origine des dépassements budgétaires ministériels que l?on a connu dans un passé récent » conclut le contributeur anonyme.
Alioune Badara COULIBALY, lagazette.sn