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Main de maître

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KHADY FALL TALL, 55 ANS, PRÉSIDENTE DE LA RENAISSANCE AFRICAINE DES FEMMES DE L?AFRIQUE DE L?OUEST(RAFAO)

Cette militante de la cause féminine se bat pour l?amélioration du statut de la femme au Sénégal et dans la sous région. Portrait.

Quand elle prend vie et chiffonne le papier glacé des images fixes, Khady Fall Tall, 55 ans, serait plutôt une énergie qui va, une jovialité qui tam- bourine, lestée d?un conformisme assez décon- tracté. A grand débit, elle justifie sa façon d?être : « je me définis comme une femme caractériel – le, volontariste, et qui aime relever les défis. » Ses trois portables en veille, elle répond systé- matiquement aux questions, ne cessant de vous interpeller par votre prénom. Au nord, des orbites pétillants d?une intense lueur juvénile, tandis qu?en ouest s?agitent deux mains lestes avec au bout des ongles rouges pétarades. On lui serre la droite, dont elle se sert pour écrire un projet régional de renforcement de capacités des femmes de la Renaissance africaine des femmes de l?Afrique de l?ouest (Rafao), le projet régional de vulgarisation du traité de la Cedeao sur la libre circulation des personnes et des biens, le projet régional de lutte contre la migra- tion clandestine dans l?espace Cedeao, le projet national de transformation des produits agri- coles, le programme de lutte contre la féminisa- tion du Vih Sida. Financement obtenu grâce à sa capacité de négociation et son statut de pré- sidente de la cellule régionale de l?Afao, qu?elle dirige, depuis 2005. Et tout coule, dans ce français impeccable que perturbe un accent saccadé fardé d?une voix de stentor. Elle se justifie : « on me dit souvent au téléphone que j?ai une voix d?homme. Je ne sais pas si vous l?avez remarqué à votre tour ? » Cette question est accompagnée d?une gène apparente qu?elle essaie de dissimuler sous un tic consistant à faire de grands gestes avec ses mains. Nous reviennent alors ces mots chipés au détour d?un passionnant bou- quin : « La main a sa propre intelligence. L?homme se distingue des animaux par la paro – le et la main. »

Concentrons-nous sur sa main, elle qui a cloué le bec, en 2006, à un ministre de la République qui a voulu dissoudre l?Afao, sous prétexte que c?est un doublon du département genre et développement humain de la Cedeao dont le bureau se trouve à Dakar. Elle revient sur cette affaire : « suite à une décision de la Cedeao de changer le secrétariat général en centre genre, le ministre de la famille de l?époque avait décidé de dissoudre l?Afao. Cela a été un très long combat. Ce qu?elle ignore c?est qu?une association ne se dissout ni par décret ni par arrêté ministériel. On a rajouté le « R » et changé l?Afao en Rafao afin d?éviter toute équivoque qui pourrait nuire à l?organisation. » Elle a serré, entre autres, celles des militants du Parti socialiste. « C?est le seul parti où j?ai milité », dit elle. Elle a également serré celles du leader du Parti démocratique sénégalais (Pds). « J?ai rencontré le président de la République dans le cadre de mes activités en tant que présidente de l?Afao », précise-t-elle. Tout se tient. Paume. Lorsqu?elle s?ouvre, sa paume découvre une ligne de vie étirée, finissant par tracer une courbe étonnamment rectiligne dont les micro zigzags sont voisins du caractère cha- marré de la province de Lambaye, bourgade se situant dans la région du Baol, où elle a passé les premières années de sa vie. Vie qui lui a ôté son père en 1986, son mari en 2001. Le flot de ses souvenirs macabres qui défilaient sur l?écran noir de ses nuits blanches revient au galop et durcissent les traits de cette femme propulsée au devant de la scène médiatique par ses prouesses dans le cadre de l?améliora- tion du statut de la femme au Sénégal et dans la sous région à travers des projets et pro- grammes de développement stratégiques. Pensive, elle se souvient : « je me suis mariée à 18 ans avec un homme extraordinaire, je lui dois tout ; car c?est lui qui a financé toutes mes études. On a eu trois enfants et il est mort dans mes bras. » Elle baisse ses yeux en forme d?amande redessinés au khôl. D?une voix trem- blotante, elle poursuit : « Je me vois mal me remarier, ce serait trahir sa mémoire ». Vous l?aurez compris, dix ans après le décès de son époux, Khady Fall Tall, lui est encore fidèle…mais jusqu’à quand ?

Son histoire, commence comme un conte pour enfants. Khady est née avec une cuillère d?argent dans la bouche. Son père est chef de canton. Elle doit son patronyme à la lignée royale des Fall : elle s?enorgueillit à cet instant de ce sang royal et dit  : « on a eu à régner sur le Baol, pendant plusieurs siècles. » Sa mère, ménagère, se consacre à ses enfants. Soucieuse de la scolarité de ceux-ci, la famille quitte le village en 1970 et s?installe à Rufisque. A 10 ans, une gamine « caractérielle et rigoureuse » se retrouve à l?école publique de Rufisque. Le collège Matar Seck prend le relais et une ado garçon manqué avec chaussures en plastique et crane à demi-ras, s?épanouit autour d?une bande de garçons au moment où ses paires jouaient à la poupée. Avant, c?était gasconnade et grosse rigolade, un ballon de foot au pied. Jusqu’à ce qu?elle rencontre, à 18 ans, un homme de 15 ans son ainée, qui lui jette la corde au cou et la remet sur les rails. Les choses sérieuses commencent : elle devient une vraie femme et connait sa première grossesse alors qu?elle était en classe de troisième. Elle se souvient : « A 7 mois de grossesse, j?avais le ventre tellement rond que je n?arrivais pas à m?asseoir sur les bancs et cela provoquait des railleries de la part de ma voisine de table. J?ai été à l?école jusqu?au vendredi et j?ai accouché le dimanche. Moi je ne connais pas le découragement sinon j?allais abandonner l?école. » Cette grossesse lui évite le cycle classique, Khady fait une forma- tion de secrétariat aux cours Pigier, qui sera soldée après trois années par un Brevet d?étude technique en 1978. Clouée à la maison par une autre grossesse, elle se retrouve au chômage après l?obtention de son diplôme et n?aura son premier emploi qu?en 1983. Elle sera institutrice à l?école Médina. Elle concourt et obtient la même année le Certificat élémentaire d?aptitude pédagogique (Ceap). En 1995, le certificat d?ap- titude pédagogique (Cap) vient renforcer son Cv, il en sera ainsi en 1999 et en 2002 avec respectivement un Diplôme supérieur de manage- ment (Dsm) option gestion des ressources humaines et communication a l?Enam (sic), et un DEES en relations internationales, Ceds obtenu à Paris.

La paume de Khady se balade maintenant au volant d?une grosse cylindrée : à force d?abné- gation, cette battante a réussi hors des sentiers battus avec un cursus singulier du diplôme de secrétaire à celui de diplomate. Le garçon man- qué est devenu une dame raffinée dont le chic se trimballe au bras de son élégance, habillée tenue traditionnelle couleur charbon. Majeur. Ses galons de « militante majeure des femmes », Khady les a définitivement acquis avec l?Afao, créée en 1983 lors du sommet des chefs d?Etat et de gouvernement à Conakry. Elle se rappelle  : « M Sékou Touré avait estimé que, comme l?intégration africaine à été signée et proclamée depuis 1975 et battait de l?aile, il était opportun de mettre en place un mécanisme de femme. Pour lui, cela allait encourager les actrices des différentes frontières et l?ensemble des activités de coopération et d?échanges. » En 1998, lors d?une assemblée générale tenue à Abidjan, les 16 pays de l?Afrique de l?ouest membre de l?Afao ont repensé l?organisation. Ils ont jugé qu?elle était utilisée à des fins politiques par les ministres des Femmes qui en assuraient la tutelle. Un centre de formation pour pallier le manque d?instruction des femmes a été mis en place, et le centre genre a vu le jour à partir de cette assemblée générale. En 2005, les militantes des différentes cellules se sont réunies pour mettre en place l?Afao régionale et puis en faire une Ong. Depuis cette date, l?Afao lutte pour l?amélioration du statut de la femme au niveau régional. Et en 2010, soixante femmes sont formées aux techniques de transformation de fruits, légumes et céréales locales. Bénéficiant d?un financement de 400 000 dollars US de l?Agence des Etats Unis pour le développement international (Usaid), pour une période de trois ans, la Rafao Sénégal a mis en place une unité de transformation de fruits, légumes et céréales locales à Rufisque.

Index et auriculaire. Prudente, elle rechigne, en effet, à commenter le dernier remaniement de Wade. Qui a vu saucissonner le ministère de la Famille en quatre parts. Une part belle à la Femme ? Elle dit :« je me garde de me prononcer sur les choses qui sont régies par décret et qui dépendent du pouvoir discrétionnaire du président de la République. » Soit, en langage manuel, un dialogue fécond entre son petit doigt, qui lui dit beaucoup de choses, et son index. Le premier chuchote, doute, à l?affût d?un éventuel poste ministériel, le second fait vibrer sa fibre de militante engagée. Elle rectifie le tir : « en tant que militantes, nous avons un droit de regard dans le domaine des femmes. Pour moi, la posture d?un ministre devait être une consécration dans le domaine pour lequel il a été identifié (…). Il y a des efforts à faire pour valoriser la cause de la femme à travers cer – taines postures. » Ce travail intuitif du petit doigt est complété par l?action, plus didactique, de l?index, pointant ici un appel du pied…mais à qui ? Dommage Madame Tall, car au pays de la téranga le mérite n?est pas toujours récompensé.

Pouce et annulaire. Non  ! Pas pouce. Mais le modèle étant imposant, le portrait est nécessairement lacunaire et assumé comme telle. Dans sa villa, il n?y a ni homme à la maison ni mère à la cuisine. Khady Fall Tall rentre tard, grappille ses nuits à potasser dans son bureau situé à Castors. Ses trois enfants sont devenus grands, son époux est décédé, elle refuse de se remarier…Khady est bien seule en rentrant le soir. Elle se refugie derrière la Rafao pour ne pas sentir cette solitude. A l?heure de passer la main, en guise d?au-revoir, elle se rappelle cette phrase de sa mère qui trotte souvent dans sa tête bien faite. Elle dit : « ma mère me dit sou- vent que je suis mariée à la Rafao, tellement je passe tout mon temps ici. » Et le dialogue conti- nue de plus belle, sur les vertus de cette mère dont elle ne cesse de chanter les louanges. Pouce…sinon nous allons y passer la soirée.

Aïssatou LAYE, lagazette.sn


 

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