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L’immense dette du Sénégal envers ses jeunes (Par Adji Bousso Dieng)

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Le Sénégal doit beaucoup à sa jeunesse dynamique, qui défend fermement sa liberté et sa démocratie. Cependant, cette détermination a un coût élevé. La jeunesse est confrontée à des défis socio-économiques importants. Pour progresser, le Sénégal doit prioriser l’éducation, l’emploi, l’entrepreneuriat et la recherche pour les jeunes, tout en garantissant leur protection et leur bien-être. Ces investissements sont essentiels pour l’émancipation des jeunes Sénégalais et pour le développement de la nation.

Une jeunesse engagée. La jeunesse sénégalaise a toujours été un ferme défenseur de la liberté et de la démocratie. Avant l’indépendance, Aline Sitoe Diatta, une jeune femme sénégalaise, a courageusement défié l’autorité coloniale. Plus tard, en mai 1968, les étudiants universitaires ont confronté Léopold Sédar Senghor, exigeant des réformes politiques. Sous la présidence d’Abdou Diouf, les jeunes ont à nouveau pris la tête des manifestations en 1988 et 1993, arborant le slogan « Sopi » pour réclamer le changement. En 2012, le mouvement « Y’en a Marre », mené par des artistes de hip-hop, a galvanisé la jeunesse sénégalaise contre la tentative de troisième mandat d’Abdoulaye Wade. Les manifestations se sont poursuivies sous le mandat de Macky Sall, notamment en mars 2021, juin 2023 et février 2024. Faisant usage du hashtag #FreeSenegal sur les réseaux sociaux, les jeunes ont pu exprimer leurs demandes de justice et d’élections équitables tant dans les rues que sur internet. Ces mobilisations illustrent l’engagement indéfectible et la résilience de la jeunesse sénégalaise en faveur des valeurs démocratiques et de la justice sociale.

Une jeunesse en détresse. L’engagement de la jeunesse sénégalaise n’est pas sans conséquence. Plusieurs indicateurs clés dressent un tableau préoccupant de la situation des jeunes au Sénégal.

Malgré l’augmentation des dépenses gouvernementales en matière d’éducation, le Sénégal accuse toujours un retard sur plusieurs indicateurs éducatifs. Par exemple, le taux d’alphabétisation des jeunes en 2021, selon les données de l’Institut de statistique de l’UNESCO, s’élevait à 76,4 %, bien en deçà de la moyenne des pays de même niveau de revenu, qui était de 90,3 %. Comme le rapporte toujours l’UNESCO, en 2020, le taux d’achèvement de l’école primaire au Sénégal était de 50,8 %, soit plus de 12 points de pourcentage de moins que la moyenne de l’Afrique subsaharienne de 63,2 %. De même, les taux d’achèvement pour le premier cycle et le second cycle du secondaire en 2020 étaient respectivement de 28,4 % et 10,5 %, nettement inférieurs aux moyennes correspondantes de l’Afrique subsaharienne, qui étaient de 44,5 % et 26,7 %. En outre, selon un rapport sur le Sénégal publié en juin 2023 par l’Organisation Internationale du Travail, plus de 95 % des jeunes travailleurs occupent des emplois informels, ce qui signale un manque d’opportunités de travail adéquates pour les jeunes.

Les réalités actuelles exacerbent la situation difficile des jeunes sénégalais. La fermeture de certains établissements d’enseignement, particulièrement celle de l’Université Cheikh Anta Diop, la plus grande université du pays, depuis juin 2023, prive de nombreux jeunes Sénégalais de leur droit à l’éducation. À travers le pays, les écoles et les universités sont devenues des champs de bataille où les étudiants font face aux forces de police qui les brutalisent et les tuent. Confrontés à ces perspectives sombres chez eux, de nombreux jeunes Sénégalais ont été poussés à des mesures désespérées, y compris la migration illégale à travers les eaux périlleuses de la Méditerranée à la recherche d’opportunités à l’étranger. Tragiquement, beaucoup perdent la vie en mer, tandis que ceux qui restent font face à la tentation et les effets nocifs des jeux de hasard.

Face à ces défis multiples, une action urgente est nécessaire pour autonomiser la jeunesse sénégalaise et garantir leur participation significative à l’agenda de développement national.

Quelques recommandations pour les leaders politiques. Le développement du Sénégal repose sur sa jeunesse. Des réformes critiques dans divers secteurs sont indispensables. Voici quelques recommandations adressées aux leaders sénégalais.

L’éducation: En premier lieu, l’introduction de l’anglais et de l’informatique, avec un accent particulier sur la programmation, au niveau primaire, doit constituer un pilier fondamental de l’agenda de réforme. Cette initiative vise à renforcer la culture numérique des élèves dès leur plus jeune âge, les préparant ainsi à mieux répondre aux exigences du marché de l’emploi. De plus, il est essentiel d’adapter le programme scolaire aux objectifs de développement nationaux afin d’assurer une étroite correspondance entre les compétences acquises à la sortie de l’école et les besoins de l’économie et de la société. Ceci contribuera à réduire le taux de chômage des jeunes diplômés. En plus de ces considérations, le bien-être des enseignants doit être priorisé pour favoriser un environnement d’apprentissage propice. Cela implique de garantir le paiement en temps voulu des salaires et d’investir dans la formation pédagogique continue pour améliorer la qualité de l’enseignement. Le gouvernement devrait également mettre en place des mesures réglementaires pour protéger contre la prolifération des établissements de formation privés qui délivrent des diplômes et certifications sans valeur en échange de sommes d’argent considérables. De plus, les efforts de réforme du secteur de l’éducation doivent s’étendre à la formalisation des Daaras, ou écoles coraniques, pour garantir une éducation de qualité tout en priorisant la protection de l’enfance. L’intégration des jeunes qui passent par le système des écoles coraniques dans la main-d’œuvre sénégalaise est impérative. Pour cela, les programmes de formation professionnelle doivent être étendus au-delà des secteurs traditionnels tels que l’agriculture et le commerce. Parallèlement, il est impératif de construire de nouvelles écoles et universités pour répondre à l’augmentation des effectifs étudiants et résoudre les défis logistiques. L’introduction de cantines gratuites dans des écoles situées dans des milieux défavorisés peut jouer un rôle vital dans la réduction de l’insécurité alimentaire. De plus, cette mesure peut contribuer à augmenter les effectifs scolaires et à encourager les élèves à rester à l’école, favorisant ainsi leur épanouissement académique et social.

L’emploi: Pour encourager la création d’emplois locaux et la croissance économique, il est essentiel de mandater que toutes les entreprises, en particulier les entreprises étrangères, donnent la priorité à l’embauche de travailleurs sénégalais. Des lois solides doivent être adoptées pour protéger les droits des travailleurs, garantir des salaires justes, surtout pour les jeunes. Avec les progrès de l’IA et la demande croissante en étiquetage de données à travers le monde, il est crucial de s’attaquer aux violations potentielles des droits du travail, comme cela a été observé dans des pays comme le Kenya, où des jeunes travailleurs ont été exploités économiquement et psychologiquement en raison des pratiques d’étiquetage de données par des entreprises telles qu’OpenAI.

L’entrepreneuriat: Soutenir les jeunes entrepreneurs est essentiel pour stimuler l’innovation et la croissance économique. Pour ce faire, le gouvernement devrait offrir une assistance financière et des subventions pour soutenir le lancement et l’expansion des startups. De plus, simplifier le processus d’immatriculation des entreprises et réduire significativement les taxes pour les jeunes entrepreneurs peut considérablement abaisser les barrières à l’entrée sur le marché, encourageant ainsi davantage d’entrepreneurs en herbe à se lancer. En outre, fournir aux jeunes entrepreneurs une formation et des ressources dans les technologies émergentes, telles que l’IA, est essentiel pour favoriser l’innovation et renforcer la compétitivité sur le marché mondial.

La recherche: Pour stimuler la recherche scientifique et encourager l’innovation, il est essentiel de mettre à la disposition des jeunes chercheurs des infrastructures et des outils de pointe, de financer les étudiants et les chercheurs postdoctoraux, et de mettre en place des programmes permettant aux lycéens et aux étudiants d’acquérir une expérience en recherche. Enfin, en s’inspirant de la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis, le gouvernement devrait régulièrement identifier les défis urgents auxquels le pays est confronté, tels que l’énergie, la santé et le climat, et charger des comités scientifiques de formuler des projets concrets et de sélectionner les propositions à financer.

Le Sénégal a une dette immense envers ses jeunes. J’exhorte celui ou celle qui aura l’honneur de diriger ce pays à partir du 3 avril 2024, et les autres qui lui succèderont, à faire de la jeunesse une priorité, afin qu’elle puisse bâtir le Sénégal que nous voulons, un Sénégal prospère, résilient et porteur d’espoir en Afrique et dans le monde.

Adji Bousso Dieng
Professeur à Princeton
Chercheur en IA à Google DeepMind
Fondatrice et Présidente de The Africa I Know
Jeune Sénégalaise de la diaspora

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