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« Les 12 travaux d’ Hercule du prochain président de la République » (suite) (Par Alioune Diawara*)

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La campagne électorale présidentielle bat son plein et les caravanes des candidats sillonnent le pays pour dérouler leurs programmes (plutôt promesses ) ; campagne d’ailleurs redynamisée par l’arrivée tant attendue par les supporters et militants de Pasteef de leur champion, Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, que certains appellent déjà « Président Diomaye » en commençant par son mentor lui-même Ousmane SONKO. Est-ce une prémonition ?

Disons-le tout net : la libération du candidat Diomaye FAYE et du leader politique sénégalais le plus populaire de ces 50 dernières (certainement avec Abdoulaye WADE), Ousmane SONKO, est une grande victoire pour le peuple sénégalais, qui témoigne, si besoin est, de la vitalité de notre démocratie. En effet, beaucoup d’occidentaux, servis par les dernières turpitudes du Président en fonction jusqu’au 2 avril 2024, Macky SALL, avaient vite fait de réserver un enterrement de première classe à notre jeune démocratie. Mais la résilience du peuple sénégalais, soutenue par la communauté internationale (c’est important de le signaler), a fini par obtenir gain de cause par la sagesse retrouvée d’un Conseil Constitutionnel que Macky Sall avait cru taillé à sa mesure.

Aujour’hui, tout semble rentré dans l’ordre avec le dernier coup de semonce donné par une autre Haute juridiction, à la « bande » à Karim Meissa Wade , anéantissant par ailleurs les derniers espoirs de ceux qu’il convient d’appeler « consorts recalés » plutôt que « spoliés » (les mots ont un sens) et qui souhaitaient vivement la reprise intégrale du processus électoral. En effet, ce vendredi 15 mars 2024, la Cour Suprême du Sénégal, dans un considérant cinglant a déclaré que « conformément à l’article 90 de la Constitution, les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent à la fois aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires y compris à notre haute juridiction» ; ce qu’un juriste en herbe de l’UCAD aurait pu souffler aux récalcitrants….ite missa es (allez, la messe est dite) ; rendez-vous pour les « recalés » et autres « décalés » en 2029 pour d’autres péripéties électorales présidentielles.

Nous avons annoncé dans notre récente chronique que jamais une élection n’aura été aussi ouverte et aussi inédite. Nous devons y a jouter, aussi incertaine, car nul ne sait quel nom sortira de la mêlée au soir du dimanche 24 mars, à l’heure du « ndogou » de Ramadan (rupture du jeune). Il est vrai que les sondages de la « rue publique » – celle qui va des marchés populaires en passant par les mosquées, les églises, les grand-places, les stades de football jusqu’à la place Washington où trône fièrement le Ministère de l’Intérieur – donnent un avantage massif au candidat Diomaye ; ce qui a fait dire à Ousmane SONKO lors de sa première apparition publique que « si les élections se déroulent normalement, nous gagnerons par 60% dès le premier tour ». De nombreux Sénégalais souhaitent que le prochain président de la République soit rapidement élu pour lui livrer leurs doléances, ô combien nombreuses et difficiles qu’ils s’apparentent aux « 12 travaux d’ Hercule » de la mythologie gréco-romaine. Nous avons évoqué récemment la sécurité et l’emploi des jeunes. Que dire de la condition des femmes, de l’éducation ?

III – La place de la femme dans notre société

Que nos épouses et mamans aient un rôle important à jouer dans nos foyers, cela ne se discute pas. Pourquoi n’arrivent t-elles pas à crever ce plafond de verre suspendu au-dessus de leurs têtes dès lors qu’il est question d’égalité dans l’administration des affaires du pays : égalité salariale, égalité politique et égalité hommes-femmes tout court ?

Les « Sunugaliens » attendent du prochain président qu’il lève les obstacles et les tabous qui obèrent la condition féminine dans notre pays. En plus des obstacles socio-culturels, la législation et la codification de ces inégalités (code de la famille, droit du travail…) sont les principaux problèmes auxquels se heurtent les femmes pour réhabiliter leur statut au sein d’une société où la religion et la culture maintiennent le système social patriarcal aussi bien dans l’espace public (les instances de décisions politiques, administratives que les hommes tendent toujours à dominer) que celui privé (familles, mariages…). Mais avec le temps, des voix de femmes se sont levées ça et là pour faire face à cette injustice qui ne disait pas son nom.

En effet, dans les années 1980, « des associations comme Yêwu Yéwi, ou l’Association des juristes sénégalaises ont jeté les bases d’une protestation féminine durement réprimée par la société sénégalaise (insultes, stigmatisations, intimidations, agressions, etc…). Ces associations ont permis aux femmes de se doter de cercles de réflexion pour mettre en place des stratégies de lutte contre les violences basées sur le genre qui, jusque-là, étaient cantonnées dans le mot discrimination . A force de courage et d’abnégation, ces associations ont obtenu des avancées notables qui ont abouti à des modifications substantielles du code de la famille. Malgré ces modifications, le code de la famille comporte encore des dispositions hostiles aux femmes. Il s’agit par exemple de la polygamie, de l’homme désigné comme chef de famille, de l’interdiction à une femme d’entamer une action en recherche de paternité, du choix de la résidence conjugale consacré à l’époux, etc ». (Fatou Faye, juriste en droit public et chargée de programme à la Fondation Rosa Luxembourg au Bureau de l’Afrique de l’ Ouest- juin 2021).

Les « féministes » sénégalaises ont compris très tôt qu’il fallait politiser ces inégalités de sexe et discrimination pour que la préoccupation des femmes soit prise en compte sur le plan politico- juridique. Et cela a bien porté ses fruits après des années de lutte, avec des succès-phares qui sont notamment : l’interdiction des mutilations génitales des femmes, l’adoption de la loi sur la parité absolue homme-femme dans les instances électives et semi-électives depuis 2010, la criminalisation du viol, l’intégration des femmes dans les services militaires et paramilitaires, l’égalité de salaire, la création d’une direction de genre dans tous les ministères, etc….Plusieurs conventions internationales ratifiées par notre pays sont venues également appuyer les femmes dans leurs combats pour la promotion et le respect de leurs droits. Bien des combats ont été couronnés de succès, grâce aux partenaires internationaux qui ont contribué à la matérialisation de la vision du mouvement féminin comme projet de société.

Mais, il s’agit d’un projet de société de longue haleine, à l’image de ce qui se passe à l’échelle mondiale. Dans un pays où le taux d’analphabétisme est élevé et où les femmes représentent moins de 10% de la main-d’oeuvre formelle, le prochain PR aura à convaincre les « goorgorlou » que l’émancipation de la femme sénégalaise doit se faire à marche forcée, pour hisser le pays au rang des nations modernes. Il est évident que l’engagement des femmes pour leur propre émancipation dépasse de très loin la protection politique et juridique de leur statut. Actuellement, il est regrettable que les les lois spécifiques votées pour corriger le mutisme juridique de la violence à l’égard des femmes souffrent d’ ineffectivité . Leur application fait défaut et ce sont les décideurs politiques qui sont à l’origine de leur violation. Ce qui rend la lutte encore plus difficile. Mais les femmes activistes (féministes) s’activent à faire rompre le silence et encouragent les femmes à dénoncer les violences par tous les moyens. Ainsi les réseaux sociaux aident beaucoup pour atteindre cet objectif. Ils permettent aux femmes de dénoncer les violences dont les femmes sont victimes dans leurs propres terroirs (violences physiques, féminicides, viols, non-respect de la loi sur la parité, etc).Maintenant, les faits se dénoncent en un rien de temps et ceci est une forme de lutte que la nouvelle génération de femmes – les « girl power » – a développé partout à travers le monde.

Il faut reconnaître que certains combats d’antan n’étaient portés que dans des séminaires, salles de conférence et panels par des femmes « intellectuelles » comme Annette Mbaye Derneville, Marie-

Angélique Savané, Dior FALL, Mariama BA, Aminata Sow Fall, Penda Mbow et autres . De nos jours, grâce à l’internet, les jeunes activistes donnent la parole à toutes les femmes et surtout celles du monde rural qui, à défaut d’écrire des textes, publient des vidéos directement pour parler des faits. Les NTIC ont permis aux jeunes femmes illettrées résidant dans les coins reculés du pays de se faire entendre en portant les combats liés à leur communauté tels que l’accès à la terre, la lutte contre les mariages précoces, etc…

Monsieur le prochain président, les esprits s’ouvrent et les Sénégalais aspirent à un changement radical de société, oserez-vous aller jusqu’à ouvrir un débat sur l’ IVG (interruption volontaire de grossesse) et éviter ainsi que des centaines de jeunes femmes meurent chaque année à l’occasion d’avortements clandestins, pratiqués par des gourous dans des endroits glauques et insalubres, sans hygiène minimale, ou alors encourager les avortements « médicalisés » qui sont opérés dans le secret de plusieurs cliniques de la place de Dakar au bénéfice des femmes provenant de milieux aisés? Serez-vous assez courageux pour affronter les barbus et autres salafistes de la République de « Ndoumbêlane» , qui sont toujours prêts à délivrer une « fatwa » dès qu’on parle du corps de la femme ?

Et pourtant, si l’émancipation de la femme devrait être un projet social pour notre pays, cela pose la nécessité de s’interroger sur la forme de gouvernance qui pourrait être accordée à la femme, la place qu’il lui faut pour sa participation effective dans la gestion de la chose publique et pour son propre épanouissement. Le débat actuel sur la parentalité de la femme vient à point nommé et devrait aboutir à donner à la « femme-papa », c’est à dire celle qui élève toute seule un enfant (désiré ou pas) dont le père a abandonné ses responsabilités élémentaires, un statut social respecté et respectable.

Le prochain PR doit, à l’issue de son mandat de 5 ans, s’enorgueillir d’avoir promu dans la Haute fonction publique des milliers de cadres féminins et encouragé des milliers de femmes à s’engager dans le monde des affaires, pour y occuper des emplois de cadres ou de cadres supérieures et accroître ainsi la représentativité des femmes dans la sphère sociétale toute entière. Il doit aussi revendiquer le fait que si la libération de la femme est un objectif, celui-ci ne peut être atteint qu’à la condition de décréter que la femme sénégalaise a le droit de disposer librement de son corps. C’est le combat actuel des « girl power » qui n’ont pas froid aux yeux et ne demandent qu’à s’affranchir de tous les carcans qui enserrent les femmes dans un univers de domination masculine sans partage.

IV – L’éducation et la formation des jeunes

La jeunesse universitaire est vraisemblablement l’élite de demain, dans un pays soucieux de la transmission des savoirs entre générations. Or, l’Université sénégalaise est en pleine déliquescence, car devenue le réceptacle de toutes les crispations au sein de la société sénégalaise. La doyenne de nos universités a été incendiée avant de fermer ses portes pendant plusieurs mois et peine à retrouver ses esprits depuis sa réouverture il y a quelques semaines. La faute à tous ceux qui ont transformé l’ UCAD en creuset de luttes politico-syndicales ou religieuses, oubliant que cette institution est un sanctuaire de savoirs qui mènent à la libération et à l’indépendance d’esprit de ceux qui sont appelés à gouverner le pays demain. Il ne s’agit pas de former des leaders politiques ou syndicaux uniquement, mais surtout de préparer nos enfants à leurs futures responsabilités à tous les échelons de la Nation.

A force de grèves à répétitions et de luttes politico-syndicales ou religieuses, l’ université sénégalaise est devenue une fabrique de chômeurs, en raison d’années académiques incomplètes ou tronquées, délivrant des diplômes au rabais. Interdire les associations politiques, syndicales, ethniques, communautaires ou religieuses au sein de l’université n’est sans doute pas la solution

pour remettre l’église au milieu du village, mais tout de même, il doit y avoir une sorte de modus vivendi pour éviter que notre haut lieu d’enseignement du savoir ne se transforme en ring de combat MMA où tous les coups sont permis, surtout pour nuire à l’action du Gouvernement de la République. L’université doit devenir un sanctuaire pour continuer à former les talents et les élites de demain. Voir l’UCAD par exemple transformée en QHS (quartier de haute sécurité) avec des militaires partout, cela renvoie à des images que l’on croyait uniquement dévolues aux régimes autocratiques de pays d’ Amérique latine il y a 30-40 ans (Chili, Argentine, Cuba, etc…)

Le prochain président de la République doit avoir comme projet de redynamiser l’université, en faisant la part belle aux chercheurs dont on a besoin dans tous les domaines. Le général De GAULLE disait que « des chercheurs qui cherchent on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche ». Ceci est aussi vrai pour notre pays. La priorité doit être donnée à la formation des jeunes dans les domaines de la haute technologie pour nous permettre de faire un bond capital dans le concert des nations productrices et transformatrices de leurs matières premières. Ceci mettra ainsi fin aux contrats léonins que nous imposent les pays occidentaux dans la mesure où ils possèdent la technologie pour exploiter et transformer nos ressources, qu’ils nous revendent à des prix inadmissibles.

Le régime actuel a entr’ouvert la porte aux universités et instituts privés par nécessité. En effet, dans l’incapacité de les caser tous, une bonne partie de nos bacheliers échappent à l’université publique et sont orientés dans le privé. L’idée n’est pas en elle-même critiquable, mais encore faut-il que l’Etat qui les oriente et qui, pour certains, paye leurs études en tire des résultats positifs en terme de qualité. Dans les contrats signés entre l’ Etat et les structures privées y a t-il une obligation de moyens ou de résultats ? Y a t-il une évaluation régulière de ces structures pour savoir si leurs formations sont en adéquation avec les besoins de la société ? Ces structures dispensent t-elles un enseignement en corrélation avec les programmes des ministères de l’Education nationale et de la Recherche scientifique ? Ne doit-on pas financer en priorité les formations d’ingénieurs, de techniciens supérieurs, de médecins, d’informaticiens, pharmaciens, architectes, experts financiers, professeurs scientifiques, etc ? Comment faire pour que l’ascenseur social fonctionne correctement et que des étudiants issus de milieux modestes ou défavorisés accèdent à des formations haut de gamme pour ne pas dire élitistes?

Les entreprises ont besoin de main-d’oeuvre opérationnelle dès la sortie de l’université, car elles n’ont pas le temps ni l’envie de former des cadres pour les voir partir à la concurrence dès la première occasion. Elles ont besoin d’employés adaptables pour prendre en charge des emplois actuels et futurs dans la logique d’émergence sur laquelle le pays est engagé.

Pour les sophomores et les étudiants les plus doués ou les plus précoces, l’ Etat doit créer une sorte de « Silicon Valley » expérimentale, lieu d’incubation de « start-up » dans tous les domaines (agriculture, informatique, électronique, biotechnologie, médecine, aéronautique, recherche et développement, etc). On pourrait l’utiliser également pour attirer les entreprises nationales et internationales de prestige à fort potentiel, dans une perspective de gagnant-gagnant : des aides à l’implantation contre une embauche massive de jeunes en quête d’un premier emploi pour se faire les dents. Ce serait une bonne chose pour faire reculer le chômage des jeunes et créer les emplois de demain. Cette « Silicon Valley » à la sénégalaise nous éviterait sans doute le phénomène du « brain drain » (fuite de cerveaux) qui gangrène le pays depuis si longtemps.

Mais, il n’y a pas que l’université qui est malade ; notre Ecole publique aussi souffre des symptômes de décrépitude, laissant la part belle à l’ Ecole privée. Il fut un temps où les enfants de

« goorgorlou » pouvaient, par le système scolaire, gravir les marches et finir en haut de l’ascenseur social de notre société. Les familles se bousculaient pour avoir le droit d’inscrire leurs enfants à l’école publique ; le domaine privé n’étant réservé qu’aux chérubins des familles les plus aisées ou  installées dans la société. De nos jours, les parents de tous horizons y compris les moins fortunés se saignent pour envoyer leurs enfants dans les écoles privées les plus renommées pour ne pas dire les plus huppées (entendez par là les plus chères) du pays. De ce fait, on peut penser que le privé est progressivement entrain de se rapprocher du public, quand on sait que, selon les chiffres du dernier forum sur l’enseignement privé, celui-ci représente 30% de l’offre globale (tous secteurs confondus) et 40% dans le secondaire (lycées et collèges). Pour le régime finissant de Macky Sall, il est urgent de ne pas inverser la tendance d’autant plus que l’ Etat doit des milliards d’arriérés de frais d’inscription et de prise en charge, semble t-il, à l’enseignement privé.

L’éducation n’est pas un luxe, c’est une nécessité et un droit à la connaissance et au savoir. Il est du ressort de l’Etat de fournir à chaque enfant la possibilité de se réaliser en tant que citoyen dans une société éprise de justice et d’équité. Libre au citoyen bien formé d’embrasser le métier de ses rêves : footballeur professionnel, artisan, commerçant, fonctionnaire, capitaine d’industrie, médecin, kinésithérapeute, logisticien, coiffeur, chauffeur, conducteur de grue, restaurateur,etc…et pourquoi pas devenir un jour président de la République ! Comme le dit si bien un des 19 candidats à qui il est reproché de ne pas être instruit (S.Mb), « on ne naît pas président, mais c’est Dieu qui vous désigne comme tel » (sic!). Il n’a peut-être pas tort, mais un niveau d’instruction minimale (de l’école primaire au secondaire) peut aider à se hisser dans l’échelle sociale plus facilement.

Le prochain président de la République de « Ndoumbêlane » doit prendre conscience que c’est aussi un des chantiers les plus clivants de notre société et trouver des solutions au marasme de l’enseignement dans un pays où il y a autant de mosquées que d’écoles. Au fait, aura t-il la panacée pour endiguer le fléau de la mendicité de rue à laquelle se livrent des milliers d’enfants en âge d’aller à l’école ? Affaire à suivre.

Prochaine chronique : la santé, la justice et les libertés individuelles.

(*) juriste et militant syndical à Bordeaux, enfant de « Ndoumbêlane

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