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Pourquoi sortir du FCFA ? (Par Souleymane Gueye et Abdoulaye Cissé) Seconde partie

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Pourquoi sortir du FCFA ? Le débat sur la monnaie revient toujours au cœur du débat économique. Si les pays de l’Alliance des Etats du Sahel pensent sortir du FCFA, au Sénégal, un des candidats favoris à l’élection présidentielle propose aussi cette piste. Pourtant pour certains économistes, il n’y a pas péril en la demeure puisque le FCFA est stabile et solidité, tandis que pour d’autres, il y  a urgence d’en sortir pour retrouver une souveraineté et une autonomie afin d’aller vers un développement cohérent. Deux spécialistes de la question: Souleymane Gueye, Professeur d’Économie, San Francisco Collège, et Abdoulaye Cissé, PhD. Candidat, Département d’Agriculture et d’économie des ressources, Université de Californie, Berkeley, proposent ce long mais intéressant article, pour expliquer comment « la sortie (Abandon) du franc CFA pour une souveraineté monétaire réelle est une demande économique et sociale pour retrouver une souveraineté économique et une grande autonomie politique. »

III       L’usage du franc CFA : Obstacles au Développement Économique et à la Reduction de la pauvreté

Bien qu’il n’y ait pas de lien de causalité direct entre ces dispositions financières monétaires et les résultats en matière de développement, les indicateurs structurels des pays de la zone franc CFA, tels que l’Indice de développement humain (IDH) et l’Indice de perception de la corruption, sont parmi les plus bas au monde ; ce qui suggère une certaine corrélation entre les accords et les performances économiques (indicateurs de développement) des pays de la zone francs CFA (7). A titre d’exemple, l’IDH du Sénégal en 2023 est de 0,512, en baisse de 0,39% par rapport à l’année précédente avec un rang de 170 alors que la moyenne de l’UEMOA est de 0,544. Ces valeurs d’IDH sont inférieures aux valeurs d’IDH de pays en développement similaires et aucun des membres de la zone n’est classé dans les catégories d’IDH élevé ou moyen en Afrique. Le taux d’extrême pauvreté est de 27,5 % (rang 32) et le PIB par habitant est de 1 606 dollars (rang 143).

Comme l’illustre le tableau 1 ci-dessous, la région de l’UEMOA se classe au dernier rang pour les principaux indicateurs de développement, notamment l’espérance de vie, les revenus et la scolarité. Même si ces chiffres n’impliquent aucun lien de causalité entre la monnaie utilisée par les régions et leurs indicateurs économiques, le tableau reste le même : les pays de l’UEMOA comptent parmi les pays les moins avancés selon les normes conventionnelles.

Tableau 5 : Indicateurs de développement pour différentes régions du monde

IDHEspérance de vieAnnées d’écolesRNB par habitant
États arabes0,70870,98.013 501
Asie de l’Est et Pacifique0,74975,67.815 580
Europe et Asie centrale0,79672,910.619 352
Amérique latine et Caraïbes0,75472.19.014 521
Asie du sud0,63267,96.76 481
Afrique sub-saharienne0,54760,16.03 699
UEMOA0,48660,83.42 692

Notes : Ce tableau présente quelques indicateurs économiques clés pour différentes régions du monde. Chaque valeur affichée est la moyenne de la variable de la première ligne pour la région indiquée dans la première colonne. L’Indice de développement humain (IDH) est un indice composite mesurant les résultats moyens dans trois dimensions fondamentales du développement humain : une vie longue et en bonne santé, des connaissances et un niveau de vie décent. L’espérance de vie à la naissance est le nombre d’années qu’un nouveau-né pourrait espérer vivre si les tendances dominantes des taux de mortalité par âge au moment de la naissance restaient les mêmes tout au long de la vie du nourrisson. La durée moyenne de scolarité donne le nombre moyen d’années d’éducation reçues par les personnes âgées de 25 ans et plus, converti à partir des niveaux d’éducation atteints en utilisant les durées officielles de chaque niveau. Le revenu national brut (RNB) par habitant est le revenu global d’une économie généré par sa production et sa propriété de facteurs de production, moins les revenus payés pour l’utilisation de facteurs de production appartenant au reste du monde, convertis en dollars internationaux en utilisant les taux PPA, divisés par la population en milieu d’année. Toutes les données concernent l’année 2021. Toutes les données brutes proviennent du site Web du PNUD.

La persistance des relations monétaires et financières n’a favorisé ni la transformation structurelle des économies(transformation des ressources naturelles sur place et investissement productif dans le secteur primaire qui emploie presque 85% de la population active)  ni l’intégration régionale( échanges commerciaux entre les membres sont très faibles à cause d’une manque de diversification du secteur industriel et de l’absence d’un tissu industriel dense), et a encore moins contribué au développement économique des pays de la zone CFA. Par exemple, 9 des 14 pays des zones UEMOA et CEMAC font partie des pays les moins avancés. En matière de santé et d’éducation, les pays utilisant le franc CFA occupent les rangs les plus bas au monde, comme le montre le tableau 5.

Dans une perspective à long terme, les revenus réels moyens ont stagné ou diminué dans cinq des plus grandes économies utilisatrices de francs CFA : la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Gabon, le Sénégal (4,1 % en 2022) et la République du Congo. L’extrême pauvreté a augmenté de 3 % depuis le COVID-19. Les pays de la zone franc CFA sont les plus pauvres d’Afrique Subsaharienne malgré des prix stables (en raison de leur taux d’inflation plus faible que les autres pays d’Afrique subsaharienne). Le taux de pauvreté moyen des pays CFA s’élève à 40 %. Le coût d’opportunité d’une inflation plus faible s’est donc traduite par un ralentissement du PIB par habitant et une diminution de la réduction de la pauvreté. Tous les pays du franc CFA – y compris le Sénégal – sont accablés par des dettes excessives (8) et entrent dans la catégorie des pays très pauvres et endettés (PPTE).

Le tableau 5a ci-dessus montre l’évolution de la dette publique des pays de la zone UEMOA relative à celle des autres pays de l’Afrique de l’Ouest et du reste de l’Afrique sub-saharienne. Alors que le niveau de la dette du continent africains est relativement faible compare aux pays développés, nous pouvons noter un taux d’endettement plus élevé pour les pays de la zone UEMOA. En 2022, la dette de la zone UEMOA s’élevait à presque 60% des richesses de la zone, alors que le chiffre équivalent était de 42,5% pour les autres pays de l’Afrique de l’Ouest et de 33,1% pour le reste du continent. Pour ce qui est du Sénégal, le tableau 5b montre que l’évolution de la dette suit une tendance croissante et est actuellement au-delà du seuil de convergence de 70% fixe pour la zone UEMOA.

Tableau 5a : Évolution de la Dette Publique des Pays de l’UEMOA et des Autres Pays Africains

Dette Publique (% du PIB)
AnnéeZone UEMOAReste de l’ Afrique de l’OuestReste de l’Afrique Sub-Saharienne
201034,135,416,1
201134,031,415,0
201225,919,715,2
201326,721,817,1
201429,422,619,0
201533,627,822,8
201636,730,824,9
201739,832,624,9
201842,136,126,6
201943,937,029,1
202050,543,434,7
202154,841,533,3
202258,742,533,1

Notes : Ce tableau montre la taux de la dette publique (en termes du PIB) de trois groupes de pays : (i) les pays de la zone UEMOA utilisant actuellement le Franc CFA, c’est-à-dire le Benin, le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, (ii) les pays de l’Afrique de l’Ouest n’utilisant pas le Franc CFA, c’est-à-dire le Cap-Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, la Mauritanie, le Nigeria, et la Sierra Leone, et (iii) les autres pays de l’Afrique sub-Saharienne, c’est-à-dire celle de l’Afrique australe, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’est. Pour chaque zone et chaque année, le taux de la dette est calculé comme étant le ratio du total de la dette publique de la zone et de la valeur nominale de PIB de la même zone. Les calculs sont effectués par les auteurs. Les données proviennent du portail de données du Fonds Monétaire International (FMI).

Tableau 5b : Principaux Indicateurs Macroéconomiques du Sénégal 

2020202120222023
Croissance du PIB (%)1,35,14,154,1
Inflation (moyenne annuelle, %)2,52.19,76,5
Solde budgétaire (% PIB)-6,4-6,3-6,2-4,9
Solde du compte courant (% PIB)-10,9-13,3-13,2-14,5
Dette publique (% PIB)69,273,275,072,4

Notes : Ce tableau montre quelques indicateurs macroéconomiques pour le Sénégal. Les données proviennent du portail de données du Fonds Monétaire International (FMI).

Ces constats ne sont pas surprenants puisque ces pays ont un ratio moyen crédit/PIB de 25% contre une moyenne de 60% pour le reste des pays d’Afrique subsaharienne et 148,5% pour la France. De plus, le montant des crédits distribués aux économies des pays CFA reste exceptionnellement faible avec des taux d’intérêt prohibitifs. La plupart des prêts sont orientés vers le secteur des exportations et celui des services au détriment des investissements dans les secteurs primaire et secondaire qui emploient plus des trois quarts de la population active. Ces pays sont confrontés à des contraintes de crédit et à la répression financière et ne peuvent pas utiliser effectivement les taux d’intérêt et les taux de réserves obligatoires pour affecter la masse monétaire (9) afin de stimuler le développement des petites et moyennes entreprises et l’investissement productif car leur politique monétaire est sérieusement contrainte.

En plus, l’ancrage à l’euro qui rend le CFA relativement surévaluée diminue les coûts de transaction dans la zone et isole les entreprises françaises (et toutes les entreprises étrangères opérant en euro ) du risque de change. Parallèlement, cela nuit au niveau de compétitivité du secteur privé national dans la zone en agissant effectivement comme une subvention aux importations. En conséquence, la plupart des pays de la zone CFA enregistrent d’importants déficits commerciaux. Par exemple, le déficit commercial du Sénégal s’élève à 10% de son PIB. Ainsi, cette surévaluation structurelle du franc CFA – en 2020 le franc CFA dans l’UEMOA était surévalué de 20 % –, tend à favoriser les importations, y compris les produits de luxe, au détriment des exportations. C’est une des raisons pour lesquelles les élites politiques ne veulent pas prendre les mesures nécessaires pour changer le cadre de la zone franc CFA.

En plus de contribuer efficacement à subventionner les importations, la parité fixe fait également office de préférence commerciale accordée à la zone euro, puisque les pays de la zone franc ne peuvent pas déprécier le taux de change pour affecter le niveau de compétitivité de leurs exportations ou pour absorber des chocs extérieurs comme le Covid. 19 ou la guerre en Ukraine. Ainsi, face à des chocs ou des crises commerciales, la seule façon de défendre l’ancrage à l’euro est d’adopter une politique fiscale et monétaire restrictive : une réduction des dépenses publiques (politique budgétaire) et des crédits à l’économie (politique monétaire), ainsi qu’un recours aux flux de financement extérieurs (plus d’accumulation de dettes). Au Sénégal, la dette publique a augmenté à un rythme exponentiel, atteignant 77 % du PIB, en raison des emprunts excessifs du gouvernement et des entreprises publiques pour financer le budget et investir dans le secteur pétrolier et gazier. Le service de la dette publique représente plus de 50 % des recettes fiscales (1 772 milliards de francs CFA, avec des intérêts et dépréciations s’élevant à 502 milliards et l’amortissement de la dette à 1 070 milliards). Les indicateurs de soutenabilité de la dette sont très proches de leur seuil (Rapport FMI, 2023).

Le ratio service de la dette extérieure/recettes d’exportation est de 19,1% pour un seuil de 21% et le ratio service de la dette extérieure/recettes du secteur public est de 18,8% pour un seuil fixé à 23%. Ceci est très inquiétant car cela témoigne d’une grave contrainte dans la capacité d’emprunter de l’argent face à des chocs externes. La position de risque du Sénégal s’est détériorée (passant d’une dette à risque faible à modéré pouvant facilement évoluer vers une dette à haut risque).

En plus des handicaps d’un taux de change surévalué et des sorties de capitaux dues au transfert vers l’extérieur des excédents économiques locaux (massive fuite des capitaux), le comportement du secteur bancaire conserve ses aspects coloniaux. La plupart des établissements financiers sont des filiales d’établissements financiers français malgré l’implantation timide d’autres entités étrangères (pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord)

Les prêts bancaires s’adressent principalement aux grandes entreprises et aux États, au détriment des PME en général. Cette tendance se poursuit malgré la perte de parts de marché de nombreuses institutions financières françaises dans les pays CFA et la domination des banques étrangères. Au Sénégal, les banques étrangères contrôlent plus de 90 pour cent des actifs bancaires (Rapport Économique de la Banque Centrale).

Cette situation explique le faible niveau et l’insuffisance des crédits aux secteurs privé et public qui entravent la production nationale dans le secteur primaire et manufacturier (faible ratio des crédits à l’économie rapportées au PIB moins de 25% pour la Zone Franc contre plus de 80% pour le Maroc et plus de 110% pour l’Afrique du Sud).

Enfin, le système actuel aggrave les inégalités entre les élites urbaines et les ruraux pauvres en limitant les incitations à l’agriculture commerciale et à l’agriculture de subsistance. En outre, il n’a pas réussi à accélérer la croissance économique – une croissance extravertie- pour les membres les plus pauvres (11)

Ce système qui peut être considéré comme une « prime à la paresse » aux responsables politiques et aux dirigeants de la BCEAO a contribué à l’implémentation de régimes politiques centralisés, plus réactifs aux priorités de l’État français, des entreprises françaises, d’autres pays étrangers (Chine, Turquie, Maroc, Inde), et aux investisseurs étrangers que pour les intérêts de leurs citoyens. Par exemple, dans les pays exportateurs de pétrole de la zone CFA, comme le Tchad, le Gabon, la République du Congo et la Guinée équatoriale, le modèle du « président à vie » ou le président cherchant à prolonger son mandat en violant la constitution de son pays restent la norme malgré l’organisation fréquente d’élections formelles dont la conclusion est courue d’avance (12). Malheureusement, le Sénégal s’engage dans cette voie avec la détermination de l’actuel président à choisir son successeur en empêchant le principal leader de l’opposition de participer aux prochaines élections après avoir attribué tous les principaux projets publics et l’exploitation des principales ressources naturelles à des entreprises françaises et à d’autres entités étrangères. (Turcs, Chinois, Indiens et du Moyen-Orient ainsi qu’aux entreprises nord-africaines).

Autrement dit, l’existence du franc CFA favorise une « servitude monétaire » et un type particulier de leadership politique. « Ceux qui peuvent aspirer à diriger les pays de la CFA sont ceux qui ne remettront pas en question ses limites, tandis que ceux qui remettent en question les fondements du cadre de la CFA seront emprisonnés, exilés ou tués » (Sylvanus Olympio, premier président du Togo, Thomas Sankara du Burkina Faso). Les dirigeants de la République de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Bénin et du Togo ont bénéficié de la solidarité active et du soutien du gouvernement français et du secteur privé français depuis l’indépendance de ces états.

Face aux protestations croissantes contre cette relique néocoloniale menées par des panafricanistes, des mouvements sociaux, des patriotes, des hommes politiques nationalistes et des académiciens, et pour sortir de cette situation, la France, en alliance avec la Côte d’Ivoire, a décidé en décembre 2019 d’assouplir sa position à l’égard du Franc CFA de l’Afrique de L’Ouest. Cette réforme proposée n’a aucun sens car sa portée est extrêmement limitée. Son principal objectif est d’amoindrir les critiques en renommant la monnaie, en réorganisant la représentation française au sein de la Banque centrale de l’UEMOA et en modifiant le contrôle du Trésor français sur les réserves de change de ces États.

Ces propositions ignorent totalement les aspects essentiels du dispositif financier et monétaire que critiquent de nombreux économistes : l’existence d’un lien formel de subordination monétaire entre la France et les pays CFA, la parité fixe avec l’euro, la liberté des transferts et l’existence de deux unions monétaires qui n’ont d’autre fondement que l’histoire coloniale (13)

Si l’abandon du franc CFA ne garantit pas que ces pays membres se développeront rapidement avec une croissance économique inclusive, une répartition équitable des revenus et une réduction de la pauvreté, l’allongement de son espérance de vie peut entraver toute perspective de souveraineté politique et économique de ces pays. Il est temps d’abandonner ce système en changeant la donne.

III Réforme de la Zone CFA

Dans ce contexte et compte tenu de l’analyse économique des coûts et des avantages des économies de l’UEMOA en général et du Sénégal en particulier, un débat sur le démantèlement de la zone CFA est toujours en cours parmi les économistes et les décideurs politiques. Le débat porte sur l’opportunité de s’en tenir au cadre existant du franc CFA et de modifier certaines caractéristiques clés ou de quitter la zone franc CFA. L’abandon du franc CFA pour choisir un nouveau régime de change s’appuiera sur les enseignements tirés de l’expérience de la performance économique des flotteurs (pays qui laissent fluctuer leur monnaie en fonction des forces du marché) et les pays qui fixent leur monnaie par rapport à une monnaie majeure – USD, Euro ou un panier de devises). Le Sénégal devrait-il plaider en faveur d’une réforme du franc CFA (opter pour une rupture avec l’ancrage et envisager un système semi-flexible ou flexible) ou sortir de la zone et adopter sa monnaie nationale pour retrouver sa souveraineté sur la politique monétaire et la politique de change ?  Quel est le meilleur choix pour le Sénégal ?

Court terme Refonte du cadre de change.

Alors que les pays membres de la Zone franc CFA en général et le Sénégal en particulier planifient une période post-COVID-19 pour développer leur économie et réduire la pauvreté, une réforme significative de la zone franc CFA devrait être à leur ordre du jour au lieu de ce que les présidents français et ivoirien ont proposé en décembre 2019 (révision de l’accord de coopération monétaire avec la France comme ce fut le cas en 1973 après les critiques du président Eyadema et le changement de nom de la monnaie du franc CFA en Eco pour prendre en compte la dimension politique et identitaire de la monnaie ; la fin de la centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor français (d’où la clôture du compte d’opération) et du retrait de la France du conseil d’administration, du comité de politique monétaire de la BCEAO et de la commission bancaire de l’UEMOA. Cette réforme proposée n’est pas suffisante Par conséquent, on peut envisager une réforme approfondie de la Zone puisque le régime monétaire et de change rigide du franc CFA est un contributeur majeur aux performances économiques en retard (croissance du PIB réel plus faible, PIB réel par habitant plus faible, IDH plus faible, déficit de la balance commerciale plus élevé moins d’IDE ( investissements direct étranger) des pays comme le Sénégal, sans compter d’autres facteurs tels que la mauvaise gouvernance, la corruption systémique, un environnement réglementaire inadéquat pour les entreprises, le renforcement du capital humain et le manque d’investissement dans les infrastructures.

Le cadre actuel du taux de change devrait être modifié pour refléter une plus grande flexibilité monétaire, la possibilité d’améliorer la compétitivité, d’adopter une croissance tirée par les exportations et de réaligner les incitations pour les producteurs agricoles. Pour atteindre ces objectifs, le régime de change devrait évoluer d’un arrimage à l’euro car l’ancrage du CFA à l’euro n’a plus le même sens et ne sert plus le même intérêt qu’au moment de la mise en place du système – exportation vers la zone euro a diminué de plus de 50 % et se situe actuellement à environ moins de 20 %. Ce rééquilibrage des échanges commerciaux en faveur de la Chine, de l’Inde, de la Thaïlande et du Nigeria justifie un nouvel ancrage du CFA à un panier de devises, notamment l’euro, le dollar et le renminbi, reflétant l’évolution des échanges commerciaux de l’UEMOA avec le reste du monde. Le prix du pétrole brut peut être inclus dans le panier pour déterminer la valeur du taux de change dans une bande prédéfinie. Les bénéfices en termes de stabilité du taux de change avec l’euro sont donc moins efficaces en raison de la diminution des échanges commerciaux entre les deux zones.

De plus, il existe une probabilité de diminution de la valeur en termes de recettes d’exportation, car les recettes sont déclarées en USD, qui doivent être converties en euros. Ainsi, une appréciation de l’euro entraînera une diminution de la valeur des recettes d’exportation. Elle est également préjudiciable au niveau de compétitivité du fait de l’appréciation du taux de change réel [1], et la seule manière de compenser cet impact négatif sur le niveau de compétitivité est d’améliorer les termes de l’échange en augmentant le prix des matières premières que ces pays ne contrôlent pas. Cette situation a conduit à un déficit structurel du compte courant depuis l’introduction de l’euro. Il convient également de noter que l’ancrage à l’euro crée un sentiment « d’abandon de la souveraineté monétaire » en raison de la nécessité de suivre les politiques fixées par la BCE pour maintenir la parité. Ainsi, les politiques restrictives de la Banque Centrale de l’UEMOA qui expliquent le sous-financement de ces pays sont le résultat de l’arrimage. En effet, le ratio M2/PIB n’est que de 16%, ce qui dénote un très faible niveau de financement des activités économiques.

Une autre raison de s’éloigner de l’ancrage est liée au concept de zone monétaire « optimale » : la région géographique de la zone CFA est loin d’être optimale en raison de trois facteurs : (i) la faiblesse des échanges intrarégionaux au sein de l’UEMOA (il est inférieur à 12 % du commerce total et bien en deçà de l’objectif de 25 %), (ii) une moindre intégration financière entre les économies de l’UEMOA, et (iii) des capacités diverses à faire face aux chocs asymétriques (chocs d’offre tels que les chocs pétroliers, la pandémie de COVID – 19 ou la guerre de L’ Ukraine/ Russie

Par ailleurs si on utilise le désalignement des taux de change pour mesurer le niveau de compétitivité des pays de la zone CFA,  il existe une différence importante entre les pays de la zone, rendant impossible la mise en place d’une politique monétaire consensuelle unique.

Enfin, l’objectif d’équilibrer stabilité et flexibilité devrait rendre la monnaie davantage axée sur les forces du marché des taux de change afin de soutenir les exportateurs et les entrepreneurs dans l’ajustement du taux de change. D’un autre côté, retrouver la souveraineté monétaire peut élargir les options de gestion budgétaire et monétaire dans un monde postpandémique.

Long terme : Adopter une monnaie nationale et mettre en place les conditions requises pour une banque centrale indépendante du Sénégal.

Comme indiqué ci-dessus, le dispositif financier et monétaire actuel du franc CFA n’est pas propice à la croissance économique et au développement car il entrave les exportations, entrave l’investissement et l’industrialisation et crée des pressions inflationnistes en raison des prix élevés des intrants et des matières premières. Plus de soixante ans après leur indépendance politique ou leur souveraineté, des pays comme le Sénégal n’ont plus besoin de garanties néocoloniales en matière de gestion monétaire et budgétaire dans la conduite de leurs politiques monétaires et de taux de change. Globalement, par rapport aux autres pays africains, en termes de croissance économique et de réduction de la pauvreté, l’indice de développement humain de la zone franc CFA est plus faible depuis les années 1990 en raison du coût prohibitif des affaires dans une monnaie rattachée à l’euro et des restrictions monétaires (politiques de crédit serrées) dans la zone.

Cet arrangement monétaire empêche la possibilité de recourir à des investissements massifs pour transformer les économies des pays CFA, en raison de la peur qui a été créée dans l’esprit des dirigeants politiques, des décideurs et des gestionnaires économiques de la zone en soulignant les risques et les inconvénients de sortir de la zone franc CFA. Mais les leçons des « Tigres asiatiques » et de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique qui gèrent leurs monnaies devraient convaincre le Sénégal qu’il est possible de surmonter les difficultés liées à la possession de sa monnaie et de gérer correctement la politique monétaire et la politique des taux de change pour atteindre les objectifs économiques affichés de croissance économique inclusive, de stabilité des prix, de création d’emplois et de réduction de la pauvreté.

Notre conseil au futur gouvernement sénégalais est de commencer à surmonter le fardeau de cet arrangement financier et monétaire et de commencer à établir les conditions préalables d’une banque centrale indépendante (une telle banque pourrait être calquée sur le système de la Réserve fédérale (Banque Centrale Américaine) et les institutions chargées de gérer la nouvelle monnaie et l’économie sénégalaise). Il est temps de retrouver notre souveraineté économique et monétaire. Le Sénégal dispose des ressources humaines nécessaires pour gérer avec succès une monnaie nationale. 

Les références

  1. Annonce publique de Macron/Ouattara juillet 2019
  2. Souleymane Gueye. « La dévaluation du franc CFA : Mesure inévitable ou imputable à l’intersyndicale » publié dans Walf Quotidien 1993
  3. Les nouveaux termes des accords entre les pays de la zone franc CFA et la France restent opaques et largement confidentiels. Si le dernier rapport annuel indique que le compte d’exploitation qui se trouvait auparavant au Trésor français est désormais clôturé depuis avril 2021, il ne révèle pas les détails des nouvelles modalités par lesquelles le franc CFA est toujours garanti par l’euro maintenant des lors que les réserves ne sont plus déposées au Trésor français.
  4. Paul R. Mason et Catherine Pattillo. La géographie monétaire de l’Afrique Brookings Institution Press
  5. L’opinion tend à être mercantiliste et monopolistique en faveur des multinationales privées soutenues par l’État français qui opèrent dans la zone UEMOA.
  6. De nombreux pays africains – Sierra Leone (44,8 %), Ghana (43,1 %), Gambie (17,8 %) et Nigéria (24,08 %) – ont connu des périodes prolongées d’inflation. Ces taux sont bien supérieurs au taux d’inflation de la zone CFA en général et du Sénégal (14,1%) en particulier. Ce taux devrait ralentir à 9 % en 2023. Ces taux d’inflation élevés résultent de perturbations de la chaîne d’approvisionnement, des fluctuations mondiales des prix des matières premières, de la hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie, de l’instabilité politique et de la dévaluation de la monnaie dans les pays à taux de change flexibles. (Banque Mondiale 2022)
  7. Souleymane Gueye. Sénégal : Corruption, mauvaise gouvernance et résultats en matière de développement. L’Afrique des idées. 2023.
  8. Indicateurs de développement de la Banque mondiale et du FMI : dette, déficit commercial et autres indicateurs économiques
  9. La politique monétaire de la Banque centrale a évolué depuis la libéralisation du secteur financier à la suite des recommandations de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International (notes de la BCEAO)
  10. Souleymane Gueye. Les déterminants de la fuite des capitaux dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Document de travail mis à jour. Berkeley 2021.
  11. La France et son Pre carre : Le franc CFA K. Bush 2009
  12. « La dernière monnaie coloniale d’Afrique : L’histoire du franc CFA » par N’dongo Sylla et Fanny Pigeaux

[1]Ce taux de change réel est le Taux de change Nominal* (prix intérieur/prix étranger).

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