Le Prix de l’Innovation pour l’Afrique (PIA) est depuis 6 années dans un coma profond ; Il est en effet à l’arrêt depuis 2018, après six éditions très réussies. Ce qu’il en reste, c’est une page Facebook (https://www.facebook.com/InnovationPrizeforAfrica/); tout le reste est à l’arrêt : le site web (http://innovationprizeforafrica.org) n’existe plus, la fondation (African Innovation Fondation) qui organisait et finançait l’ensemble du dispositif (présélection des candidats, processus rigoureux d’évaluation par des professionnels et des scientifiques de haut niveau et expérimentés, choix des membres du jury, entretiens en présentiel et classement des dix candidats arrivés premiers, organisation de la splendide cérémonie de remise des distinctions en présence de plusieurs centaines d’invités et d’officiels de haut niveau).
¨Pour l’histoire, la Fondation pour l’Innovation Africaine (African Innovation Foundation) a été créée par l’entrepreneur philanthrope suisse-angolais Jean Claude Bastos de Morais (https://www.linkedin.com/in/jeanclaudebastosdemorais) en 2009 dans le but de libérer le potentiel de l’innovation et de soutenir des projets durables permettant d’améliorer la vie et le futur des peuples de l’Afrique. Il a fait sa part et mérite que son initiative soit reconnue à sa juste valeur.
Le PIA est l’un des programmes phare de la Fondation. Il a été lancé en 2011 en collaboration de la Commission Economique pour l’Afrique des Nations Unies (UNECA). En 2012, en marge de la remise du premier prix PIA à Addis-Abeba, l’Union Africaine et l’UNECA ont passé une résolution pour promouvoir une société innovante en Afrique.
Le tableau ci-après résume l’impact et l’importance de cette formidable initiative privée adoubée par l’Union Africaine :
Les réalisations primées, avec à la clé un chèque de 100 000 USD pour le lauréat, au cours de ses six éditions du Prix de l’innovation pour l’Afrique corroborent, s’il en est besoin, le sérieux et la qualité de cette initiative africaine pour l’Afrique :
1. 2012 a vu le 1er prix être décerné à l’Egyptien Mohamed Sanad, Professeur à la Faculté d’ingénierie de l’Université du Caire. « Il a développé une antenne de station de base multi-large bande pliable/déployable à faible coût, légère, à faible charge au vent ; utilisant des réflecteurs cylindriques paraboliques doubles avec de nouvelles alimentations résonantes à large bande de petite taille » ;
2. En 2013, la start-up sud-africaine AgriProtein a été primée. Elle a mis au point une méthode surprenante à base de larves de mouches pour produire des aliments pour le bétail. Elle est parvenue à lever 11 millions de dollars (8,2 millions d’euros) début juillet 2013, afin de développer à l’échelle industrielle sa méthode pour produire des aliments pour bétail.
AgriProtein a créé la première opération d’élevage industriel de mouches.
Le Sénégalais Sanoussi Diakité avait remporté la même année, avec sa machine à décortiquer le fonio, le Prix de l’innovation sociale.
3. Dr Nicolaas Duneas et M. Nuno Peres d’Afrique du Sud ont été désignés vainqueurs de l’édition 2014. Ils ont créé le premier substitut de greffon osseux régénérant et injectable au monde. Il s’agit « du premier composé médical injectable à base de protéines morphogénétiques osseuses d’origine porcine, un produit innovant qui fait appel à un implant biologique régénérateur dans le cadre du traitement des lésions et carences osseuses ».
4. L’édition 2015 a plébiscité mon ami Adnane Remmal, enseignant-chercheur marocain, professeur à la faculté des sciences de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès. Il est l’inventeur « d‘une alternative aux antibiotiques destinés au bétail et à la volaille. Cette composition brevetée « réduit les risques sanitaires pour les animaux et les êtres humains et empêche la transmission de germes multi-résistants et d’éventuels agents cancérigènes […] à l’être humain, et ce, sans frais supplémentaires pour les agriculteurs. Il a grandement contribué à la lutte contre « la montée des bactéries multirésistantes qui est un problème mondial à gravité croissante, en « dopant » les antibiotiques par l’utilisation des propriétés médicinales du monde végétal ».
Le Professeur Adnane Remmal est également lauréat du Prix de l’inventeur européen 2017 dans la catégorie Prix du public.
5. Le PIA a récompensé en 2016 le Béninois Valentin Agon, docteur en médecine douce (option phytothérapie) pour son produit Api Palu, un antipaludique développé à partir d’extraits de plantes naturelles. « Le médicament permet un taux rapide de diminution des parasites du paludisme dans le sang après un traitement à court terme, avec des doses relativement plus faibles. Il est disponible sous forme de comprimés, de capsules ou de sirop ».
6. C’est l’Egyptien Aly El-Shafei qui a remporté le grand prix 2017. Il a apporté une solution innovante « aux nombreux obstacles liés à l’augmentation de la capacité de production d’électricité en Afrique et le coût élevé de la production ». Il a inventé et mis au point un dispositif électromagnétique intelligent intégré au palier d’essieu ou SEMAJIB(Smart Electro-Magnetic Actuator Journal Integrated Bearing). C’est «une solution de classe mondiale qui supporte les turbines génératrices d’énergie et peut être utilisée pour améliorer l’efficacité et réduire les coûts de production d’énergie en Afrique ». C’est une aubaine pour les gouvernements qui rêvent de faire baisser substantiellement le prix au kWh sans subventions.
Le 2ème prix de cette année mérite d’être cité – au même titre que ceux des autres années qui sont toujours d’une très grande valeur – pour deux raisons : premièrement, il concerne un domaine essentiel et prioritaire, la santé ; deuxièmement, la lauréate est une femme et elles ne sont pas légion parmi les vainqueurs, voire les nominés de ces 6 éditions. L’Ougandaise Philippa Ngaju Makobore a inventé la perfusion à commande électronique. « Son dispositif a été conçu pour administrer avec précision des fluides intraveineux et des médicaments, en contrôlant le taux d’écoulement sur la base des indications fournies par un capteur de chute. La pertinence de cette innovation s’explique par le fait que plus de 10% des enfants admis dans les hôpitaux d’Afrique de l’Est ont un besoin immédiat de traitements par perfusion ».
L’édition de 2018 semble n’avoir jamais connu son épilogue : aucune trace du vainqueur, même si les 10 nominés ont été dévoilés avec des inventions prometteuses comme :
• Le diffuseur enterré du Tunisie Wassim Chahbani : « c’est un système d’irrigation qui injecte l’eau directement dans les racines, ce qui réduit radicalement la consommation d’eau utilisée pour l’irrigation. Avec ce système, il n’y a pas de perte d’eau par évaporation et l’agriculteur réalise des économies en intrants agricoles ».
• La détection efficace de la tuberculose et de l’hépatite C des Marocains Professeur Abdeladim Moumen et Dr Hassan Ait Benhassou. « Cette innovation comprend deux tests moléculaires pour la détection rapide, précise, efficace et la quantification de la charge des deux maladies. La technologie permet la détection spécifique du génome de l’hépatite C ou de la tuberculose dans des échantillons de sang ou de crachats. Cedispositif cliniquement validé apporte des solutions simples, précises et peu coûteuses dans le diagnostic de ces deux maladies ».
• Les solutions naturelles pour la régénération et la réparation du squelette de la Sud-africaine, Prof. Keolebogile Shirley Motaung. « Il s’agit d’une approche multi-méthode utilisant des produits naturels pour la régénération et la réparation du squelette. L’innovation comprend deux produits : La-Africa Soother (LAS), une crème anti-inflammatoire naturelle pour traiter la douleur et l’inflammation et le PBMF, un implant morphogénétique à base de plantes qui induit la formation d’os et de cartilage. Ce dernier produit offre des résultats rapides, sans période d’attente et sans prélèvement de tissu pour les patients, contrairement aux méthodes de traitement actuels en orthopédie. Ces produits permettent de révolutionner le traitement des fractures par le corps médical en général et les chirurgiens orthopédistes en particulier ».
A chaque édition, les candidats se comptaient par centaines, voire par milliers, culminant à 3000 en 2018. Cela montre à quel point le PIA est un dispositif attractif pour les chercheurs, inventeurs et innovateurs Africains pour l’Afrique. Il permet plusieurs choses en même temps : la mise en visibilité de résultats de recherche prometteurs, l’accélération de leur valorisation et la mise à l’échelle d’innovations naissantes.
Est-il dès lors concevable qu’un dispositif aussi important soit resté aussi confidentiel, jusqu’à ce que sa disparition n’émeuve personne en Afrique ? ,
Est-il acceptable, imaginable de laisser disparaître une telle initiative sans rien tenter ?
Est-il raisonnable d’abandonner les milliers de projets potentiellement innovants collectés entre 2012 et 2018, ainsi que le réseau de 9400 innovateurs africains constitué durant cette période ?
N’y aurait-il pas en Afrique des hommes ou femmes d’Etat, des entrepreneurs assez prospères, des chercheurs et innovateurs, des hommes et femmes de bonne volonté assez soucieux du développement et du devenir du continent pour reprendre le flambeau et relancer le Prix de l’innovation pour l’Afrique ?
Cette expérience mérite d’être reprise et poursuivie : l’Etat, l’organisation, l’entreprise ou la personnalité qui prendrait l’initiative de relancer le PIA rendrait un immense service à l’ensemble du continent en contribuant à son développement endogène.
Je garde intacte ma forte et ferme conviction que l’innovation tous azimuts est la clé pour le développement durable de l’Afrique.
Il est temps que l’Afrique assume concrètement la responsabilité de son développement !
Une aube nouvelle se lève, marchons vers la lumière et maintenons vivace la flamme.
Samba SENE
Africain soucieux du développement du continent