Ce dossier consacré au « populisme » n’a rien d’un traité de science politique ni de sociologie, encore moins d’anthropologie, à l’échelle des analyses de chercheurs chevronnés en sciences politiques et politologues confirmés. La présente réflexion est une contribution modeste d’un citoyen qui, à l’épreuve de schémas réducteurs d’explications d’un phénomène historique, le populisme, voudrait prendre part au débat en cours au Sénégal.
Face à la difficulté à s’accorder préalablement sur une définition précise du populisme, acceptée de tous, il nous semble nécessaire de clarifier ce mot, utilisé dans une confusion idéologique grandissante. Du latin « populus », le peuple, le « populisme » se définit classiquement comme une attitude, un comportement d’un homme ou d’un parti politique contre les élites dirigeantes, la technocratie. Objet de litiges, comme un entrelacé de nœuds à démêler, le populisme présente autant de définitions en apparence divergentes par leurs caractéristiques historiques et géographiques, et son utilisation varie dans différentes trajectoires, extensible d’une communauté à une identité, et parfois même à une culture qui porte des stigmates racistes. Ainsi, le terme « populisme », dans une acception générique, désigne la poursuite radicale d’un mouvement ou d’un parti qui, dans une logique révolutionnaire, s’oppose à l’ordre établi.
La source principale d’inspiration de ce dossier est tributaire d’une période fortement contextualisée par des débats intenses sur les plateaux de télévision et autres sites d’informations virtuelles. Donc, à peine sorti du purgatoire où on l’avait enfermé, le mot « populisme » connaît aujourd’hui une nouvelle jouvence dans le pays où le clivage traditionnel est remplacé par un clivage opposant conservateurs et souverainistes.
Justement, c’est au regard de l’évolution du phénomène, que notre ambition est affichée pour un sujet brûlant d’actualité qu’il importe d’historiciser. Nous osons croire que notre tentative de redessiner les contours du « populisme » n’invalidera pas nos analyses, lesquelles seront articulées autour de chapitres diversifiés, produits de constatations empiriques d’un siècle ou deux de débats politiques.
Le Populisme, un mot chargé
Au Sénégal, le mot populisme est à la mode, comme une tarte à la crème, suspendu au bout des lèvres. Très usité, il est au cœur du débat public, un débat conflictuel, alimenté par les acteurs politiques, les journalistes, des politologues, mais surtout par les pseudo-chroniqueurs, ces tous nouveaux « intellectuels » des médias. Il se dessine là, à deux niveaux, deux visions qui se frottent, non pas de façon harmonieuse ou complémentaire, mais dans le déchirement et le « par par-ló » (contradiction) à la sénégalaise. Du coup, l’histoire politique sénégalaise retrouve son dynamisme discursif, à la seule différence cette fois-ci, des hommes politiques sont indexés unilatéralement d’être des populistes, des démagogues et même des fascistes. Par conséquent, il faut les « anéantir » au plus vite, les exclure résolument du jeu politique, réclament leurs pourfendeurs. A l’inverse, les incriminés – porteurs de nouvelles idées – rejettent cette indexation qu’ils trouvent stigmatisante et péjorative. A leur corps défendant, c’est là un gros mensonge de nos adversaires, se défendent-ils. Telle est la bataille de tranchées entre ces deux camps, une bataille qui a pris la forme d’un dédain symétrique.
Populismes historiques
Selon Michel Brancard (Le Populisme), le premier mouvement populiste s’est manifesté en Russie, dans les années 1850, précisément chez les « narodnicki » qui, s’appuyant sur le peuple, luttèrent contre le tsarisme. Cette lutte s’est poursuivie jusqu’à l’assassinat du Tsar Alexandre II, en 1881, après plusieurs tentatives fomentées par l’association populiste Liberté du peuple. Provenait-il de cercles d’intellectuels, le populisme russe condamnait radicalement les institutions politiques existantes, sous le signe de l’orientation réformiste et « progressiste » d’un socialisme humaniste. Plus tard, entre période étendue – de 1930 à 1950 -, le phénomène s’intensifie avec l’émergence des régimes « nationaux populistes » d’Amérique Latine qui ont fonctionné dans la catégorie de « populisme », avec des connotations négatives (autoritarisme, nationalisme, paternalisme). Dans les années 1940, le populisme référait principalement aux régimes dirigés par des leaders charismatiques tels que Juan Domingo Perón (Argentine) et Getùlo Vargas (Brésil). Dans les années 1950, en Amérique du Nord, le maccarthysme était dénoncé comme une forme de populisme. D’autres mouvements tels le boulangisme et le poujadisme, étaient relativement proches du populisme sur certains aspects existentiels, notamment dans leurs approches stratégiques, discursives, communicationnelles et philosophiques.
Entre 1969 et 1970, la pensée politique populiste s’est retrouvée dans ce qu’on appelait Tiers-monde, chez de nombreux leaders avec quelques différences d’approche apparaissant dans leurs discours non moins qu’à leur style d’exercice du pouvoir ou au mode de légitimation de celui-ci. Nous rappelons ici, selon certains observateurs que le Nassérisme, très proche du castrisme, du protofascisme et même du péronisme (A. James Gregor), était abordé comme une variété de populisme spécifiée par une orientation réformiste, le charisme du leader, l’exploitation symbolique d’un mythe identitaire arabe et un régime militaire. Le leader charismatique, le colonel Kadhafi a été, lui aussi, décrit comme un adepte du « socialisme populiste », tout comme le président tanzanien Nyerere, avec « la troisième voie » définissant la « villagisation ». Plus tard, dans les années 1990, le terme populisme, devenu péjoratif dans le langage médiatique, qualifiait nombre de leaders considérés comme « fascistes » ou démagogues. Ce n’est que tout récemment que des politologues, ayant étudié le caractère moderne de cette idéologie, ont traité de populistes des hommes politiques occidentaux, tels que Boris Eltsine, Jirinovski, le leader de la « Ligue lombarde italienne », Le Pen, Margaret Thatcher etc. D’aucuns considèrent aussi que l’ancien Président du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, pouvait être considéré comme un « populiste », par opportunisme politique.
Typologie des populismes
Dans une intéressante tentative de clarification sur les types de populismes, Margaret CANOVAN ( Populism, 1981), distingue deux grandes catégories : le populisme agraire et le populisme politique.
Le populisme agraire
La critique du capitalisme est liée à un souci réformiste, avec le radicalisme des fermiers des Etats de l’ouest et du sud des États-Unis qui formèrent l’électorat du « People’s Party » (Parti du peuple) créé en 1890. Ce mouvement disparaît de la scène politique après la défaite du candidat démocrate-populiste William J. Bryan à l’élection présidentielle de 1896. Les mouvements paysans de l’Est européen, (les partis populistes en Roumanie). Le socialisme agraire des intellectuels dont le populisme russe est le prototype, fondé sur une idéalisation du communautarisme rural. La concentration des richesses et du pouvoir dans l’économie était insupportable aux yeux d’une masse de paysans appauvris, ébranlés par leur vie et leur culture communautaire.
Le populisme politique
Analysant ce phénomène, Pierre-André TAGUIEFF distingue quatre types de populisme politique : d’abord, il y a la dictature populiste du modèle du péronisme, régime autoritaire national-populaire ; ensuite, la démocratie populiste, incarnée notamment par le modèle suisse, de type référendaire, où la démocratie participative est liée à la structure fédérale de l’État ; ensuite, le populisme réactionnaire dans le style national-raciste illustré, au cours des années 1960 par Georges C. Wallace aux États-Unis et par Enoch Powell en Grande-Bretagne ; puis, le populisme des politiciens, celui-là qui reste lié au rassemblement du peuple par delà les clivages idéologico-politiques. Cette dernière typologie est caractérisée par les mobilisations qui apparaissent, de plus en plus, comme des syncrétismes combinés à des traits empruntés à tel ou tel idéal (Cf. Populisme, Encyclopédie universalis, pp. 457 à 462). Il est significatif de savoir qu’autour du mot « populisme » le langage courant est pétri d’expressions polémiques : « dérive populiste », « tentation populiste », « danger populiste », voire « prurit populiste. Chacun de ces termes, employés pour étiqueter ou désigner des actions ou des discours populistes, a sa propre carence, son propre manque, sa propre limite. Pour désigner l’âge d’or de la « vidéo politique », Giovanni Sartori, caricaturant les individus ayant une sensibilité révolutionnaire ou réactionnaire, considère ce nouveau type de démagogue « télé-populiste » comme le plus gros ramassis de mensonges l’illusion. Il se prête à l’interprétation que cette nouvelle figure « télépopulisme » est adaptée aux exigences de la médiatisation télévisuelle contemporaine
L’aveuglement des « populistes »
Indéniablement, si l’histoire montre que le « populiste » a toujours lutté – à tort ou à raison – contre toutes les forces qui le menacent ou le contredisent, la voie la plus rapide est de se défendre, de faire la révolution immédiate, une révolution exécutée par des « professionnels » aguerris aux méthodes terroristes. S’attachant donc à la matrice culturelle du « populisme », la visée est d’engager la fraction la plus dure d’accomplir l’action demandée contre l’élite des gouvernants accusés, non seulement, d’avoir trahi le peuple, mais d’accaparer égoïstement le pouvoir sans tenir compte des intérêts du plus grand nombre. C’est là, à en croire certains politologues, que le populisme est un danger réel. En effet, il est souvent attribué aux populistes, une sorte de schizophrénie qui s’exécute dramatiquement dans une anarchie organisée contre l’autoritarisme de l’État. Une radicalisation démesurée s’exécute, sous forme de haine viscérale, contre la sûreté de l’État, d’appels à l’insurrection, d’actes de vandalisme envers les symboles de l’État, ou autres manœuvres de nature à créer des troubles graves.
(A suivre)