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Jeunes et changement de régime: L’exception sénégalaise (Par Moustapha SEYE)

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Dans le chantier sempiternel de la République, le Sénégal a toujours su résister au séisme des moments de troubles. Ces évènements qui provoquent des changements de contextes dans le monde entier agressent la stabilité et la tradition des États. Ce confort si habituel, fait de manipulations et des stratégies les plus obscènes, est mis à nu par une génération décomplexée, exigeante et avide de changements réels et inclusifs. Le printemps arabe, même s’il a débouché sur une grande déception, a été un avertissement clair pour les dirigeants qui utilisent leurs peuples comme du bétail électoral pour les exploiter à des fins purement personnelles.
Les rapports entre les Etats africains et l’Occident ont toujours été source d’appauvrissement, de dépendance et de souffrance pour les peuples d’Afrique. Nos dirigeants ont ainsi souvent manqué leur rendez-vous avec l’histoire à cause de leur obsession pour le pouvoir. Les quelques révolutions notées dans certains pays se sont fondées, soit sur des manipulations politiques internes ou externes ; soit sur la passion, la colère ou la vengeance.

La véritable révolution se fonde sur des idées réalistes

Une volonté de changer positivement le destin d’un peuple doit être le socle de toute révolution digne de ce nom. Le Sénégal, malgré les crises souvent liées aux échéances électorales, a réussi, quoi qu’on puisse dire, à maintenir un État. Au demeurant, les récentes crises notées en 2021 et en 2023 nous astreignent à de réelles interrogations. Dans le glissement de la teraanga à la violence, les sénégalais ont été méconnaissables, aussi bien dans le langage que dans les actes.
Les principaux acteurs de ces troubles sont les jeunes, une majorité désemparée qui vit de rêves et promesses électorales.

Des échecs qui n’ont que trop duré !

Depuis les années 60, toutes les politiques mises en place pour répondre aux besoins des jeunes ont quasiment échoué. L’ironie c’est que les différents gouvernements qui se sont succédé continuaient à commettre les mêmes erreurs, sans daigner s’arrêter pour voir en temps réel ce qui bloquait ces politiques. Combien de milliards dépensés ? Combien de structures inventées ? Que de bruit pour des résultats aussi ténus qu’inquiétants. Il me semble important de situer la cause première de ces échecs dans la conception même du terme « jeune » dans la société sénégalaise.

Devons-nous revoir notre imagologie ?

On dit que le jeune symbolise « le futur », mais qu’en est-il donc de son « présent » ? Le jeune n’est pas écouté, on croit connaître ses problèmes mieux que lui, sa réussite est conjuguée à un futur qui refuse de pointer le nez… Dans un monde pressant où l’inflation a rendu l’épanouissement presque impossible, la réussite n’est même plus un luxe mais un moyen de survie pour une jeunesse oubliée dans le tissu économique du pays qui, faudrait-il le rappeler, s’effiloche de jour en jour. Et si l’on se cantonne à être « l’avenir » comme on le prétend, et à attendre sagement son tour chez le coiffeur, comment glaner ces années d’exercice qui viendront consolider l’expérience ? Au lieu de croire en lui et de lui donner sa chance, on doute de ses capacités et de sa maturité. Ce doute qui, comme une épée de Damoclès, plane sur la conscience de la jeunesse africaine et sénégalaise en particulier, est un facteur bloquant pour l’évolution de notre pays. De ce fait, les jeunes restent toujours, à tout point, des « majeurs sous curatelle » qui, semble-t-il, n’ont aucune connaissance des réalités qui les entourent et de ce qui va dans leur propre intérêt. Dans tous les secteurs ce manque de considération de la jeunesse est visible. Pour exemple, remettons au goût du jour la déroute de l’équipe sénégalaise de football de 2002. Dans leur refus d’ouvrir l’équipe aux jeunes, la bande à Fadiga qui a rendu les armes sur la pelouse de Léopold Sédar Senghor face à de jeunes gambiens. L’histoire se répète au moment où l’Espagne a conquis l’Europe grâce à des jeunes de 17 ans, le Sénégal a choisi de snober ses propres talents sous prétexte qu’ils sont jeunes. C’est ce même constat qui est fait dans tous les secteurs.

Et voilà que souffle une énième brise d’espoir…

Le changement de régime au Sénégal qui a consacré l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la tête de l’Etat a ravivé la flemme de l’espoir chez les jeunes. Avec les nominations, une véritable révolution s’est opérée à ce niveau. Des ministres et des directeurs jeunes, on en compte maintenant. Mais attention, ces jeunes qui ont accès aux postes de responsabilité doivent prouver à tout le monde que « la valeur de l’âme n’attend point le nombre des années ». Qu’ils montrent aux anciens politiciens qu’ils ont eu tort de ne pas faire confiance à cette frange de la population. La jeunesse aux affaires tient là une occasion rêvée de changer à jamais les règles du jeu et de dicter la conduite pour les gouvernements à venir.
L’équipe actuelle doit garder en tête les raisons qui ont poussé le peuple, majoritairement jeune, à se mobiliser malgré tous les risques et à élire un jeune au premier tour. Il serait également judicieux d’éviter le guet-apens de la chasse aux sorcières. Faire régner la justice et l’équité suffirait à rétablir l’ordre dans un pays où le favoritisme a quand-même été noté dans toutes les sphères publiques.

Quid des structures pour les jeunes ?

S’il est bien de mettre en place des structures qui prennent en charge les problèmes des jeunes, il n’en demeure pas moins que, sans un contrôle permanent et sévère, cela ne servirait pas à grand-chose. Le dialogue avec le peuple doit être direct et permanent. Programmer la visite d’un ministre, ou du président à un mois garantit aux sorciers politiques le temps de préparer le terrain pour cacher la vérité et empêcher la véritable rencontre avec le peuple. N’a-t-on pas vu, trop souvent, des rues et routes complètement nettoyées et embellies juste parce que la plus haute autorité de ce pays doit passer aux alentours ?
La révolution des jeunes qui a conduit à un changement de régime ne doit aucunement aboutir à un échec, il y va de la stabilité et de l’espoir de tout un pays. Loin de toutes formes de haine, les jeunes sénégalais doivent apprendre à accepter les différences et à s’accorder sur l’essentiel.

Le changement ne se décrète pas, il se construit.

Dans cette construction, les jeunes ne peuvent pas être des téléspectateurs. Ils sont le ciment de notre société. Prenons le cas de l’activité agricole. On entend souvent les autorités appeler les jeunes à un retour vers l’agriculture. A l’image de ce qui se passe dans d’autres régions naturelles du pays, au Walo, les jeunes ne disposent pas de terres pour cultiver. Soit ils héritent la surface de leurs pères ; soit ils louent une parcelle pour y développer leurs activités agricoles, au moment où des milliers d’hectares dorment dans nos cuvettes. Appeler à un retour vers l’agriculture doit être précédé par une redistribution équitable des terres et surtout par la mise à disposition du matériel agricole toujours givré et récupéré par de gros bras au grand malheur des paysans.

Une assemblée du peuple, par le peuple et pour le peuple

Il faut enfin que la prochaine Assemblée nationale soit constituée de plus de jeunes, surtout au niveau de ses instances de direction. Mieux encore, il faudrait que toutes les couches de notre société soient représentées. L’assemblée nationale doit refléter la nation. Elle ne doit pas être la propriété d’un petit groupe de sénégalais qui se réclament politiciens. La définition de la démocratie doit cesser d’être une illusion. Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ne devient réel que si personne n’est exclu. Nous voulons une assemblée où il y aura des mécaniciens, des politiciens, des enseignants, des journalistes, des oustaz, des paysans entre autres. Dans la construction du pays, chaque sénégalais est un matériau indispensable.

Moustapha SEYE

Chercheur, spécialiste en littérature comparée

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