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Un électeur nommé « marabout »

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Entre politiques et marabouts, les liens sont vraiment anciens. Alliances tactiques ou manipulation ? Sans doute, les deux à la fois. Le spirituel et le temporel en intelligence, la rupture totale n’est pas pour demain.

Dans l’histoire politique du Sénégal, il ya des épisodes qu’on raconte rarement. Pourtant, ces péripéties montrent que le marabout fait et défait les destins politiques. Du moins durant cette époque. « [Il faut] relever la gloire de l’islam ! » Cet appel se trouve dans un tract diffusé par le candidat à la députation Galandou Diouf, musulman. Il faisait face au chrétien Blaise Diagne aux élections législatives de 1928. Derrière la confrontation entre les deux hommes, il y avait une autre qui se jouait à Touba. Le tout nouveau khalife général des Mourides, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, fils et successeur de cheikh Ahmadou Bamba face à son oncle Cheikh Anta Mbacké. Les deux marabouts avaient un positionnement antagonique à ces Législatives. Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké s’aligne derrière Blaise Diagne, son oncle Cheikh Anta Mbacké choisit Galandou Diouf, colistier de Diagne aux élections de 1914. A l’origine, un différend né de « l’affaire Tallerie », du nom de cet administrateur chargé de la construction de la mosquée de Touba qui avait escroqué la confrérie. Le khalifat opposait également les deux marabouts. Car, Cheikh Anta Mbacké n’avait pas voulu se soumettre à l’autorité de son oncle. Les politiques ont-ils exploité cette faille ? Le fait est en tout cas là. Chaque candidat a eu son marabout. C’était une première, relève l’historien Christian Coulon. Blaise Diagne, fort du soutien actif et financier du khalife, l’emporte haut la main. Arrive la décennie 1946-1958, avec un explosif duel Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor. Rebelote. Car, comme en 1928, un musulman fait face à un catholique. Les deux hommes s’affrontent par presse interposée. Démissionnaire de la Sfio, Senghor crée le Bds et déclare avoir choisi le vert comme emblème de son parti.

Loup et brebis musulmanes

Senghor annonce dans son journal, La Condition humaine, numéro 45 du 23 août 1945, la couleur d’une bagarre féroce. « Le vert, c’est pour la majorité musulmane, la couleur de l’étendard du prophète, il symbolise la foi du militant », écrit-il. L’Aof, le canard de Lamine Guèye, d’une plume fielleuse portée par le sénateur-écrivain Ousmane Socé Diop attaque. « (…) Nous connaissons l’objectif de Léopold. C’est le loup qui revêt le manteau vert de Serigne pour mieux croquer les brebis musulmanes qu’il croit naïves ». Le débat est cloué au sol. C’est la loi du talion. La réplique de Senghor est dure : « Je ne suis pas musulman au Sénégal pour sabler le champagne au buffet du Palais Bourbon ». Point de doute, c’est Lamine Guèye qui est visé. Le point d’orgue de cette confrontation est atteint aux Législatives de 1951. Pour L’Aof, Senghor est « l’homme de l’Eglise », « l’apôtre du cléricalisme ». La Condition réplique : « Nous ne profanerons pas les mosquées par des prières destinées non à Dieu mais aux électeurs afin de les abuser (…). Nous nous garderons de mêler les marabouts et les curés à nos luttes politiques, car, craignant Dieu, nous ne nous servons pas de lui comme agent électoral ». A l’arrivée, Senghor, comme Blaise Diagne dans le passé, l’emporte. Il avait le soutien de Cheikh Tidiane Sy, fils du Khalife des tidjanes, de Seydou Nourou Tall et du khalife de Touba, El Hadj Falilou Mbacké. Même scénario aux élections territoriales de 1952. Le couple Senghor-Dia écrase Lamine Guèye grâce à l’appui des khalifes Ababacar Sy de Tivaouane et El Hadj Falilou Mbacké. Il triomphe de Lamine Guèye, soutenu par Cheikh Mbacké, neveu du khalife.

« Toolu alarba »

C’est d’ailleurs la proximité de Cheikh Mbacké avec Lamine Guèye, selon Mamadou Dia (« Mémoires d’un militant du tiers-monde »), qui va cimenter l’amitié Senghor-Serigne El Hadj Falilou Mbacké. La campagne électorale n’était pas de tout repos. Des rixes tragiques ont opposé les deux camps rivaux. Et les domiciles des khalifes de Touba et de Tivaouane sont attaqués à coups de pierres. En 1962, une nouvelle forme d’irruption du marabout dans la scène politique apparaît : « la manipulation ». Un exercice auquel Senghor et Dia se seraient adonnés, selon le journaliste-historien, Moriba Magassouba (L’Islam au Sénégal/ demain les mollahs ?). A la place de ses vacances, précise Magassouba, Dia fait une tournée dans les familles religieuses avec à la clé une réflexion sur le rôle et la place de l’islam dans le développement multiforme du Sénégal socialiste. Ensuite, ses adversaires investissent le terrain pour, affirme Magassouba, distribuer de l’argent prélevé des fonds politiques. Pire, selon Mamadou Dia qui explique, a posteriori, sa déchéance, les mêmes adversaires versent dans la calomnie. On lui prête l’idée d’arrêter El Hadj Falilou Mbacké. A Tivaouane, Mamadou Dia est accusé de vouloir, par sa proposition de champs collectifs, détruire les « champs du mercredi », « toolu alarba ». « Mon acharnement à consolider les coopératives paysannes avait été, également, présenté comme une volonté de saper l’autorité que la chefferie religieuse exerçait sur le monde rural », s’indigne Dia. Selon l’ancien président du Conseil, des « raisons tactiques » lui aliènent les soutiens de Cheikh Ibrahima Niasse et de Cheikh Tidiane Sy. Il peut se consoler de ceux d’Ibrahima Seck (Thiénaba), Ahmadou Dème (Sokone) et El Hadj Mamadou Mamoun Mbacké et Bassirou Mbacké. Le plus décisif de ces soutiens est, sans doute, celui du khalife Abdou Aziz Sy Dabakh. Tout ses soutiens ne lui permettront pas de se tirer d’affaire.

Hamidou SAGNA lagazette.sn

1 COMMENTAIRE

  1. C’est Abdoulaye Wade qui a tout initie. Du temps de Abdou Diouf, les marabouts savaient la ou s’arreter. Maintenant tout est melange, religion, politique.

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