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Le « sacre » de la virginité d’hier à aujourd’hui

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La virginité reste sacrée dans certaines contrées d’Afrique et du monde. Cet impératif matrimonial a survécu tant bien que mal à la modernité et semble avoir trouvé une seconde vie à cause de l’épidémie de sida. Le Français Alain Epelboin, chargé de recherche au CNRS-Muséum national d’histoire naturelle, revient sur les raisons sociales et religieuses de cette sacralisation et sur leur évolution à travers le temps.

La virginité reste toujours importante dans certaines ethnies d’Afrique. Les raisons qui justifient sa sacralisation sont religieuses et sociales. Le médecin anthropologue français Alain Epelboin nous les explique, en prenant soin de préciser que ses dires ne sont pas spécifiques à l’Afrique. Ce chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique-Muséum national d’histoire naturelle revient aussi sur l’impact de la modernité et du sida sur le « sacre » de la virginité.

Afrik.com : Sur quoi repose le « sacre » de l’hymen ?
Alain Epelboin :
 La plupart du temps l’hymen n’est pas visualisé, c’est le saignement qui l’est. Je parlerais donc de « sacralisation de la virginité ». Préserver la virginité, c’est aussi socialiser la sexualité, maîtriser les pulsions individuelles anarchiques, non contrôlées par la communauté. Ce ne sont pas deux individus qui se marient, mais deux communautés qui perpétuent et/ou créent l’alliance matrimoniale. Ce sacre de la virginité est variable selon les sociétés : celles qui lient le mariage à la virginité et celles qui autorisent une sexualité/fécondité d’épreuve, permettant ainsi d’éprouver la fécondité avant le mariage officiel (même dans des sociétés disposant de contraception et/ou d’accès à des avortements « sécurisés ». Il y a aussi les sociétés (asiatiques mais pas seulement) qui considèrent qu’un rapport sexuel avec une jeune vierge est un remède « fortifiant », « virilisant », « rajeunissant » pour le partenaire masculin. Encore à l’heure actuelle, on retrouve la croyance que dépuceler une vierge peut guérir du sida. En ce qui concerne les garçons vierges, on peut retrouver ce caractère porte-bonheur pour la prostituée de bordels (par exemple au Brésil actuel, dans certains milieux où le père peut lui même conduire son fils au bordel pour le faire devenir un homme). N’oublions pas aussi les vierges du paradis promises par un certain islam aux martyres de la foi. Et aussi les pulsions pédophiles qui sont en rapport avec l’innocence, la virginité et l’initiation.

Afrik.com : Comment les grandes religions monothéistes considèrent les ethnies qui « autorisent une sexualité/fécondité d’épreuve » ?
Alain Epelboin :
 Les grandes religions annoncées (chrétiennes, musulmanes, juives…) se construisent sur le sacre de la virginité : c’est-à-dire au travers de la « sacralisation de la virginité », la construction d’une représentation de la pureté et de la souillure (cf l’immaculée conception). Les christianisations (catholiques, protestantes) et/ou l’islamisation ont donc combattu et combattent les cultures autochtones qui favorisaient la sexualité d’épreuve avant le mariage (par exemple les Diolas du Sénégal et de nombreuses populations d’Afrique centrale). Du coup, certaines ethnies ne la pratiquent plus ou le font de façon très secrète.

Afrik.com : En cas de relations sexuelles avant le mariage, quelles techniques utilisaient les femmes pour saigner (tout en sachant que même une femme vraiment vierge ne saigne pas toujours la première fois) ?
Alain Epelboin :
 Il doit y en avoir des masses : j’ai en mémoire dans le monde entier (y compris en Europe) l’usage de contenants à la fois solides et fragiles (vessies/viscères de volailles, je crois…) avec un liquide artificiel rouge type sang et/ou du sang introduits dans le vagin à l’insu du marié, fabriqués par des complices (parentes, copines, guérisseuses…). Le problème du sang de remplacement, c’est qu’il faut empêcher qu’il ne coagule, sinon ce n’est pas crédible. Il existe des techniques chirurgicales anciennes et modernes (dont l’hyménoplastie, ndlr). En 1979, à Dakar, au Sénégal, un ami gynécologue obstétricien libanais utilisait un fil de catgut [1] cousu à la base des petites lèvres qui devait s’arracher lors de la pénétration en provoquant un petit saignement. Le même problème se pose (et s’est posé depuis toujours) pour des couples qui ont déjà consommé et qui doivent faire croire que c’est la première fois. Là, le subterfuge est plus facile à réaliser et il suffit de se munir d’une fiole de sang quelconque.

Afrik.com : L’urbanisation a-t-elle eu un impact sur le « sacre » de la virginité ?
Alain Epelboin :
 L’urbanisation ou plutôt l’édification de mégapoles urbaines depuis les années 1970 et ses corollaires, à savoir des chômeurs incapables de payer la dot, ont certainement favorisé une sexualité hors mariage. La scolarisation dans le secondaire et l’université, que ce soit en Afrique ou ailleurs, font se rencontrer des jeunes gens qui ne se seraient pas rencontrés « normalement », avec une sexualité des jeunes filles incontrôlable par les tenants de l’ordre social. On parle beaucoup dans ces pays de rapports sexuels des enseignants avec leurs élèves.

Afrik.com : L’épidémie de sida renforce-t-elle ou affaiblit-elle cette sacralisation ?
Alain Epelboin :
 Au-delà des convictions quant à la dangerosité du VIH, il y a un usage social du sida fait par les pouvoirs politiques conservateurs/traditionalistes en place et les religions citées ci dessus, pour valoriser l’abstinence et la fidélité et stigmatiser le « vagabondage sexuel ».

Afrik.com : En conclusion, que peut-on retenir sur cette question ?
Alain Epelboin :
 Il faut rappeler que même dans les sociétés où il est interdit de « casser la gourde de miel » avant le mariage, il existe presque toujours des moyens de réparer. En d’autres termes que l’histoire abonde d’exemples qui montrent qu’il y a toujours coexistence entre le discours officiel/institutionnel et les discours/pratiques officieux.

afrik.com

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