La Gazette vous invite à un voyage au cœur de la réserve naturelle de Popenguine, chez les femmes militantes de la protection de la nature.
Popenguine a une autre réputation. Elle est certes connue comme lieu de pèlerinage des chrétiens du Sénégal et de la résidence secondaire du président, mais elle est aussi une cité éco-touristique. Sa réserve naturelle est à couper le souffle. Portrait géographique de ce condensé continentalo-marin : une frange marine, une zone rocheuse où culmine le Cap de Naze , la plus haute falaise d’Afrique continentale avec ses 77 m d’altitude, une lagune temporaire d’eau pluviale bordée de plantes, une savane ondulée, une cuvette érodée et un plateau latéritique accidenté. Le tout se dévoile sur un tapis herbacé.
Tout ce tableau est rendu féérique par l’impulsion de la Copronat (coordination inter-villageoise des femmes pour la protection de la nature). Cette association de femmes qui ont en commun l’amour de la nature a décidé en 1986 de réhabiliter le site qui était dégradé à l’époque. Elles en ont fait un cadre idyllique au bout de deux décennies d’efforts. De reboisement en reboisement, le couvert végétal est restauré et la faune ressuscitée grâce à la restauration des habitats et niches écologiques. Bienvenue à Kër Cupaam (prononcer Thioupam), une réserve de 1009 hectares consignée dans le décret numéro 86-604 du 2 mai portant la création de la réserve naturelle de Popenguine. Au contact de cet espace, seule une pintade a montré ses plumes. Ces voisins de la réserve ont battus en retraite. Hyène, genette, chacal, mangouste, patas, civette… sont introuvables en cet après-midi où une fine pluie s’abat sur Popenguine. Pourtant plus de 20 espèces de mammifères terrestres sont recensées dans la réserve. Le très prévenant guide Goudiaby, agent de parc informe : « c’est par accident que l’on rencontre les espèces animales. » Beaucoup sont nocturnes. Courte déception, mais la magie reprend le dessus. Quand on élève les yeux, une cascade de collines se dresse sur le champ de vision. Plateaux et plaines se chevauchent. De loin, on aperçoit le cap de Naze qui surplombe la mer où semble se jeter les plantes. Du haut d’un plateau, Goudiaby montre une rangée d’arbres qui poussent : « c’est l’œuvre des femmes ! Tout simplement féérique. Ici, l’hivernage a démarré et déroule son tapis herbacé. »
Quand la pluie s’immisce dans cette visite guidée, le sol argileux devient un obstacle. Les jambes s’alourdissent et les pas difficiles à cause de la boue collée aux chaussures. Du coup, on échappe difficilement aux glissades, « il faut marcher sur l’herbe », recommande Goudiaby. Il suit religieusement le sentier délimité des deux côtés par des pierres et des cailloux peints en blanc. Cette piste pédestre est l’unique repère des visiteurs. Et c’est grâce aux élèves et aux corps des volontaires qu’elle est tracée. Le parcours est le fruit de plusieurs samedis de travail. La piste exhibe ses plateaux, ses plaines, ses mares d’eau naissante avec le démarrage de la saison des pluies. Et par endroit de grandes fissures, des canaux à ciel ouvert s’ouvrent. Mais, le remède n’est pas loin. Un filet rempli de pierre sert de pont. La diguette anti-érosive et les actions d’empierrage au niveau des têtes servent à lutter contre l’érosion. Quand on fait un tour dans la réserve, il n’est pas rare de rencontrer ces barrages qui freinent l’eau de pluie. Et les diguettes permettent de lutter contre le ravinement des sols et la dégradation des biotopes. Le but est de retenir l’eau de pluie et de la fixer plus longtemps pour les oiseaux migrateurs au niveau du principal point d’eau. Seul coin où l’on peut voir des traces d’animaux tôt le matin, renseigne Kanté, le conservateur adjoint, au détour d’une conversation. « On peut voir tôt le matin les traces des animaux. Les animaux ne s’habituent pas encore à la présence humaine, les espèces se sentent menacées. Mais en période d’hivernage, on peut les apercevoir en train de boire au niveau des point d’eau (4). » Popenguine, naguère victime de déforestation a retrouvé son identité d’antan.
Une réserve en sursis
Située à 70 km de Dakar sur la petite côte, Kër Cupaam (le nom renvoie au génie protecteur de Popenguine) est une aire protégée qui est aujourd’hui menacée. Des personnalités de l’Etat aurait tenté d’opérer une mainmise sur les terres dédiées à l’environnement. Une accusation portée par l’ancien ministre des finances Moussa Touré, candidat à la présidentielle 2012 lors du sit-in du M23 à la place de l’Obélisque, le 23 juillet dernier. Il dit : « L’Etat est en train de brader les terres. Les gens de Popenguine m’ont dit que l’Etat veut récupérer la réserve pour en faire un complexe touristique. Il faut le dénoncer ». L’homme politique se défend de citer de nom, tout comme la présidente du Copronat, Wolimata Thiaw. Ainsi, les femmes craignent une expropriation après des années de labeur. Avec l’appui technique des la Direction des parcs nationaux, le regroupement des femmes de Popenguine et la Copronat ont investi des centaines de millions dans cette réserve. L’Usaid avait ouvert la voie en finançant la construction du barrage de retenue d’eau à l’entrée nord de la réserve au bord de la plage. Cette digue permet de retenir l’eau durant quelques mois après la saison des pluies, afin de fixer plus longtemps les oiseaux migrateurs. C’était en 1989, le financement pour l’arrêt des eaux de pluie était de 35 millions FCfa. Les femmes ont bénéficié aussi de l’appui technique de la Fondation Nicolas Hulot en terme de formations aux techniques de pépinière et reboisements etc. Le Fonds mondial pour l’environnement ne cesse d’appuyer ces efforts à travers des formations de renforcement de capacités pour lutter contre la déforestation, l’insalubrité, la gestion des ordures. Wolimata énumère pêle-mêle : 18 millions puis 20 millions et les tous derniers 253 millions destinés à la formation ainsi que 2 voitures 4 X4 , 8 charrettes et chevaux. Le président Abdou Diouf leur avait aussi donné 5 millions pour la construction des cases du campement, tout comme la Fondation Nicholas Hulot ne cesse de le faire. Et la liste n’est pas exhaustive puisque le WWF (le fond mondial pour la Nature) a récemment financé la mutuelle des femmes de Popenguine. Bref, les femmes se sont investies humainement et matériellement.
Pourtant, tout n’a pas été si rose. Au début, elles étaient tournées en dérision, disent-elles, par leurs voisins. Victimes de railleries, on leur collera même le sobriquet de « Femmes des singes » et certaines ont connu des drames familiaux car des maris réfractaires à cette œuvre de bénévolat se sont séparés de leurs épouses. Mais 24 ans après, c’est le respect et l’admiration qui cèdent la place aux mauvaises langues. Tous se bousculent aux portes de Kër Cupaam, sources de convoitise. Et même leur sésame, le protocole de cogestion signée le 3 juin 1995 entre le directeur des parcs nationaux, Seydina Issa Sall et Wolimata Thiaw, ne semble plus garantir la pérennisation de l’action des femmes de Guéréo, Popeguine, Popenguine sérère, Sarakhossap, Thiafoura, Ndayane, Kignabour 1 et Kignabour 2.
De « femmes des singes » à femmes d’affaires
Sobre est le décor de Kêr Cupaam. Huit tables composent son restaurant où trône fièrement ce diplôme : le grand prix du président de la République pour la Promotion de la Femme. Troisième lauréat de la XIVè édition de 2005, ces femmes ont fini par changer tant soit peu leurs conditions économiques grâce à leur implication dans la protection de la biodiversité. « Les femmes des singes » sont devenues des business women. A travers leurs huit commissions techniques, elles gèrent des activités génératrices de revenus allant du maraîchage à une banque de céréales, des pépinières, l’assainissement, la gestion des ordures ménagères. Elles coordonnent une gestion hôtelière. Le Rfppn (regroupement des femmes de Popenguine pour la protection de la nature) s’investit dans l’éco-touristique. De 5 cases en 1994, Kër Cupamm doit inaugurer bientôt d’autres cases, et ses dortoirs sont déjà fonctionnels. A l’heure de Rio +20, elles affichent un bilan prometteur.
Mais, il leur reste à mieux professionnaliser cette gestion hôtelière. L’ambiance traditionnelle est salutaire mais, la modernité donnerait certainement plus de charme. Outre l’aspect touristique, à travers la sensibilisation et la lutte contre la déforestation, elles s’orientent vers des techniques moins avides de bois de chauffe comme celle du (ban ak suf ), la fabrication de fourneaux en argile. A travers l’éducation environnementale, elles ont appris comment installer des pare-feu pour lutter contre les feux de brousse. La Mecpronad finance les femmes membres de Copronat. Grâce au corps des volontaires, les jeunes s’impliquent et préparent la relève. Les populations se sont faits sienne la maxime de Francis Bacon : « Si on veut maîtriser la nature, il faut lui obéir. » D’où leur vocation de tourisme responsable.
Aujourd’hui, elles partagent leur savoir avec leurs sœurs des réserves de Guembeul, du parc de Djoudj. Alors, pourquoi tuer cette entreprise féminine ? Wolimata Thiaw avertit : « nous sommes prêtes à y laisser nos vies ! » « Car, répète-t-elle, Popenguine est un laboratoire à ciel ouvert ». Chaque année des dizaines d’étudiants en environnement, des ornithologues sur les traces des oiseaux migrateurs se rendent sur les lieux pour des études. Pourquoi couper l’herbe sous les pieds de ces femmes ?
Boly BAH lagazette.sn
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c’est une réserve très connue