Symbole de la traite des esclaves, Gorée, compte tenu de sa position stratégique, a joué un rôle déterminant tout au long du processus de mondialisation. Aujourd’hui, classé patrimoine mondial de l’Unesco, l’île au style architectural unique est un haut lieu de pèlerinage pour des milliers de visiteurs en provenance du monde entier.
Il n’est que 10h, mais le thermomètre affiche déjà 36°C. Le soleil estival ne tarde pas à darder ses rayons. La chaloupe Coumba Castel, qui assure quotidiennement la liaison entre Dakar et Gorée, manœuvre lentement avant de lever l’ancre. Destination Gorée. Un léger vent caresse les visages et apporte une bouffée d’oxygène salutaire. A bord, des résidents de l’île qui avaient rallié Dakar tôt le matin pour quelques courses, mais la majorité des voyageurs sont des touristes occidentaux qui viennent en pèlerinage dans cet endroit qui symbolise, aujourd’hui, l’esclavage, l’une des phases les plus sombres de l’histoire de l’humanité. Parmi eux, David, 22 ans. Il est Français et vient pour la première fois à Gorée, accompagné de sa maman. « J’y vais pour comprendre », lance-t-il avec un brin de curiosité.
Nous traversons un champ de navires, parmi eux, de gros bâtiments qui étendent leurs tentacules sur toute cette partie du port. Nous croisons quelques pirogues partant à la chasse au poisson. Au bout d’un quart d’heure de navigation, Gorée pointe enfin avec ses maisons aux couleurs vives. De style colonial, elles sont construites sur le même modèle : les murs en rose-vif, les fenêtres en vert foncé et le toit ocre. Contemplée sur les hauteurs du Castel, endroit le plus élevé de l’île, cette extraordinaire harmonie de couleurs semble dégager un luxe inaccessible qui ne naît pas de la richesse, mais de la prodigalité. A l’image de cette harmonie de couleurs, le métissage est l’un des traits caractéristiques de la population de l’île. Chrétiens et musulmans y vivent aussi en parfaite harmonie.
Entre 100 et 150.000 visiteurs par an
L’île ne tient que sur une minuscule bande de terre surélevée. Les vagues se heurtent furieusement sur les digues en pierres. Du côté ouest, on dirait qu’un puissant sculpteur a fendu la falaise. Sur le quai règne une petite animation. Quelques-uns viennent y accueillir des parents, d’autres font le sens inverse du trajet. Parmi tout ce monde, les guides sont facilement reconnaissables à leur mine décontractée et à leur abord facile. Les visiteurs se séparent en petits groupes, accompagnés chacun d’un guide. Le temps d’entamer le pèlerinage.
Direction, la rue Germain qui mène à la Maison des esclaves, passage obligé pour tout visiteur de l’île. La statue de la libération de l’esclave, entourée de fleurs, située non loin de la Maison des esclaves, est l’un des nombreux monuments dédiés à la mémoire de la traite que l’on rencontre dans les rues de Gorée. Cette statue représente un couple d’esclaves recouvrant la liberté, debout sur un « djembé ». La femme ceinture des mains son homme, alors que ce dernier lève les bras au ciel, les chaînes brisées. Tous les touristes s’y arrêtent et contemplent avec passion cette statue avant d’entrer dans la Maison des esclaves. Cette dernière, construite en 1767, offre une architecture atypique. Le bâtiment, sous forme circulaire, est composé, au niveau inférieur, de cellules où étaient enfermés les esclaves avant le départ pour la traversée de l’Atlantique. Sous les escaliers, il y a la cellule des récalcitrants, un vrai trou de souris ! Un petit couloir, duquel parvient un léger vent marin, traverse le bâtiment au milieu et conduit à la porte de « non retour ». En arpentant ce couloir, où pointe la lumière du jour – qui n’en était pas une pour les esclaves – le visiteur éprouve une sensation vague et confuse. On se croirait en un lieu hors du temps, comme dirait Saint-John Perse.
Entre 100.000 et 150.000 personnes visitent chaque année la Maison des esclaves de Gorée, selon Eloi Coly, son conservateur. « Il y a beaucoup de touristes – des Européens notamment – et des Afro-Américains en quête de leurs racines. Pendant l’année scolaire, nous recevons aussi beaucoup d’élèves, jusqu’à 1.000 par jour », explique M. Coly. Il y a aussi beaucoup de Sénégalais qui viennent de plus en plus par simple curiosité.
Au bout de quelques minutes de visite, une voix forte crie : « La séance d’explication commence ». Aussitôt, tous les visiteurs se retrouvent dans la cour circulaire pour écouter religieusement le conservateur, d’une voix solennelle et émotive, retracer les différentes péripéties de cette page sombre de l’histoire de l’humanité : 20 millions de Noirs déportés en Amérique, six (6) millions de morts durant la traversée, etc. David, toujours flanqué de sa casquette, écoute avec un certain enfièvrement les paroles du conservateur…