De l’isolement, c’est le seul sentiment qui nous anime, lorsqu’on fait un tour dans la nouvelle commune de Ndombo Sandiery. Chez Aliou Diack, ex-président du Conseil rural de Mbane, les bonnes réserves foncières seraient entre les mains de la Css. L’épanouissement économique de ce village d’agriculteurs y est fortement compromis par le découpage administratif aux conséquences culturelles révoltantes. La luxuriante végétation qui jouxte la Taouey, ce bras qui relie le Lac de Guiers au Fleuve Sénégal cache mal l’amertume des habitants du village de Ndombo Sandiéry. Même si, sur le terrain de football de ce village, des jeunes déploient toute une ardeur en s’exerçant à l’adresse devant les buts. Ces footballeurs sont autant conscients qu’ils ne s’épanouiront plus assez de leurs terres. Car, ils viennent d’être «isolés» de la communauté rurale de Mbane par le décret érigeant leur patelin en commune. D’ailleurs, c’est sur leur propre aire de jeu que le préfet de Dagana a officialisé la séparation de Ndombo Alarba, leur village cousin désormais rattaché à Richard-Toll, loin des regards des administrés. Ces derniers l’attendent au tournant.
Pour le moment, l’acte présidentiel passionne les chaumières et bouche des perspectives économiques de Ndombo. A travers les ruelles du village, l’alerte s’exprime par le rouge. Arbres et lampadaires en sont les réceptacles. Ceci, en direction de la grande marche contre le découpage du 28 juillet dernier.
UNE NOUVELLE COMMUNE QUI NE COMPTE PAS PLUS DE 4 BOUTIQUES
Limité à l’Est par les irrigations de la Css, au nord-ouest par la commune de Richard-Toll et par la Taouey, Ndombo Sandiéry est asphyxié par le découpage administratif. Les habitants de Ndombo, de Diameuguène, des Médina Cheikhou 1 et 2 et de Mate Gatamoulana, qui composent la nouvelle commune, se voient aujourd’hui cloîtrés presque à la limite de leurs habitations. La décision présidentielle semble boucher l’avenir économique de 4 125 éleveurs, agriculteurs et pêcheurs qui y vivent. Ils n’ont plus droit au domaine national, du fait de leur soustraction de la communauté de Mbane qui constitue sa limite au sud.
Cette nouvelle commune ne compte pas plus de quatre boutiques. Les femmes bravent la piste latérite pour faire leur marché à Richard-Toll. L’étude socio-économique officielle, qui justifie son érection en commune, indigne plus d’un curieux. «La seule réserve en jachère située dans le sud sera difficilement exploitable. L’accès à l’eau est déjà compromis, les champs de la Css étant situés au Bardial, le village voisin. Ce sont des terres pauvres. Economiquement et culturellement, il ne fallait pas séparer les deux Ndombo», s’émeut Abdoulaye Diop, petit-frère du chef de village.
Il est 18h 45mn. Le soleil darde ses derniers rayons sur les plantations de canne à sucre. A travers les âges, les populations ont fini par s’accommoder de la présence de la Css. Mais aujourd’hui, elles ne sont pas prêtes à avaler la même pilule du découpage qui leur hôte des réserves foncières en les séparant de Ndombo Alarba. Le paradoxe est manifeste. En effet, l’étude technique qui a précédé la création de cette nouvelle commune indique d’ailleurs qu’il sera plus tard plus viable d’intégrer le village Ndombo Alarba, actuellement rattaché à Richard-Toll, à Ndombo Sandiéry. «Je pouvais être la première autorité de Ndombo Alarba, si je résidais là-bas», confie Sandiéry Diop, actuel chef de village.
Selon le conseiller rural Abdoulaye Taye, si le découpage était inévitable, il était plus viable de rattacher Ndombo à Richard-Toll. Mais le décret présidentiel a voulu que Ndombo Alarba le soit, mais pas le «Ndombo de Aliou Diack». Pourtant, les deux peuples se parlent à travers leurs fenêtres. Seul la Tahouey les sépare.
Sandiéry Diop est effaré quand il jette un regard sur l’enquête socio-économique officielle faite sur son village. Celle-ci mentionne que «cette vieille agglomération rurale, qui gère un périmètre agricole de 350 hectares aménagés et 300 autres susceptibles de l’être, présente une physionomie bien différente de celle des autres villages de la communauté rurale de Mbane». Sur un ton furieux, Sandiéry Diop dément : «Ces terres dont on parle dans cette étude n’existent pas. Ce texte ne dit pas la vérité. Ici, toutes nos terres ont été prises par la Css.»
Par contre, des ouvriers agricoles, il en existe dans la nouvelle commune. Tous sont des coupeurs de canne à sucre («Thiopets») à la Css. «Nous n’avons pas de terres où nous pourrons cultiver. Ce qui fait que nous sommes obligés de travailler au niveau des plantations de canne à sucre, ou bien nous exiler. Mais cela va être plus difficile. Nous sommes dépossédés des zones les plus fertiles», se désolent des ouvriers agricoles de Mbane ayant requis l’anonymat, par crainte de représailles.
Si l’on peut encore y vivre de l’agriculture, renseignent des paysans, c’est grâce au gouvernement de Léopold Sédar Senghor. En effet, bien avant l’avènement de la Css, dans les années 1970, l’Etat du Sénégal avait aménagé environ 250 hectares dans les rivages de la Taouey. «Nos pères cultivaient ces terres aménagées. A l’époque, ils pouvaient bénéficier de 4 à 5 ha.» L’exaspération du chef de village découle du fait que la bande qu’ils exploitent actuellement, ne fait pas partie du territoire communal. Elle relève du Domaine national. Et Ndombo la partage avec plus de six villages environnants dont certains sont rattachés à la commune de Richard-Toll, alors que d’autres restent dans la communauté rurale de Mbane.
UNE «PURE INVENTION»
Dans ce périmètre agricole, on vient de sortir de la culture de contre-saison. La moisson du riz contre-saison bat son plein. Ce sont plus de six villages riverains de ce cours d’eau qui savourent leurs récoltes. Les surcharges des charrettes en sacs de riz paddy présagent d’une forte production de riz. Elles acheminent celle-ci à Richard-Toll pour les besoins du décorticage.
A cause de la croissance démographique, chaque riziculteur exploite maintenant un demi-hectare. Les agriculteurs ont formé cinq Groupements d’intérêt économique (Gie). Chaque groupement compte 70 membres. Aliou Diagne, ouvrier agricole de la Css à la retraite et responsable d’un Gie, aimerait bien en exploiter davantage. Ce dernier de regretter que les 350 ha dont parle l’étude technique et qui justifient l’érection de Ndombo en commune, ne soient que «pure invention».
«La Caisse nationale de crédit agricole (Cnca) nous finance chaque année, mais nos rendements ne peuvent pas augmenter, faute de terres», souligne Aliou Diagne. Au-delà des enjeux politiques, l’érection de Ndombo en commune n’a pas fini de révéler son impact négatif.
SAUVONS NDOMBO!