Les cinq sages, des juristes universitaires, des avocats et la société civile planchent depuis hier (6 – 7 septembre) sur comment réformer le Conseil constitutionnel.Son fonctionnement, les modalités de recrutement de ses membres, son statut organisationnel, matériel… figurent au menu de la rencontre.
Le Conseil constitutionnel sénégalais doit se réformer afin de mieux épouser le processus de démocratisation et les exigences d’un Etat de droit moderne. La question de l’exception d’inconstitutionnalité, l’extension de son domaine de compétences, une reconsidération plus large et flexible de ses compétences d’attribution afin de conférer davantage de pouvoirs d’interprétation au juge constitutionnel, une plus grande autonomie du statut de ce dernier… Voilà quelques-unes des questions fondamentales débattues et constituant les termes de référence de la rencontre.
Après l’allocution d’ouverture de Seydou Madani Sy, modérateur des travaux et recteur honoraire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et celle de bienvenue de Cheikh Tidiane Diakhaté, président du Conseil constitutionnel, c’est le professeur Fara Mbodji qui a ouvert les interventions sur ‘les compétences du Conseil constitutionnel’. Vient ensuite le tour du professeur Isaac Yankhoba Ndiaye, vice-président du Conseil, sur ‘l’exception d’inconstitutionnalité et la question prioritaire de constitutionnalité’.
A en croire une source au cœur de l’affaire, les raisons de cette rencontre n’ont rien à voir avec le contexte pré-électoral vicié par le débat sur la recevabilité de la candidature de Wade à la prochaine présidentielle. ‘C’est un vieux projet qui remonte à quatre voire cinq ans que l’on avait initié, mais jamais réalisé jusqu’ici. La manière de fonctionner du Conseil méritait d’être revue, car après 19 ans d’existence, il a été enregistré beaucoup de décisions d’incompétence. Et où l’accent est surtout mis sur le contentieux électoral (75 % des activités de l’organe). Or, la protection des droits fondamentaux fait partie de ses missions’, justifie-t-elle. Avant d’enfiler les interrogations légitimant un tel séminaire interne, ‘comment peut-on améliorer le fonctionnement du Conseil ?
Est-il normal en 2011, que tous ses membres soient nommés par le président de la République ? Même si cela ne signifie pas que l’on n’est pas indépendant parce que, comme Robert Badinter, on peut toujours invoquer le devoir d’ingratitude. N’y a-t-il pas lieu de diversifier le mode de nomination des membres du Conseil en faisant appel à la société civile, aux avocats, magistrats, syndicats, secteur privé… ? Est-il normal qu’au Sénégal, un pays censé être démocratique, que l’on nous dise que pour tel contentieux, le Conseil est incompétent, la Cour suprême est incompétente ? Ce qui veut donc dire que s’il y a une injustice, personne ne peut la réparer. Est-ce que parce que toutes les juridictions constitutionnelles du monde ont une compétence d’attribution, on leur dit que vous êtes compétentes pour tel ou tel domaine ? Mais cela ne signifie pas que le juge ne puisse pas aller au-delà. Car sa fonction est d’interpréter. Quand la loi est obscure, ambiguë, imprécise, controversée, il faut nécessairement qu’il prenne position.’
Une initiative applaudie par Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme. ‘Nous tenons à saluer l’organisation de ce séminaire qui s’inscrit dans une démarche inclusive et participative, précise-t-il. Cela répond aux préoccupations de la société civile sénégalaise qui, depuis au moins cinq ans, plaide pour une réforme du Conseil constitutionnel qui n’est plus adapté aux exigences de la démocratisation en cours au Sénégal.’ Et Me Ndiaye d’énoncer en guise de propositions, ’en France à l’origine, il était conçu comme un parachèvement de l’Etat de droit. Ses compétences doivent être élargies comme par exemple au Bénin, où la Cour constitutionnelle a compétence en matière de protection des droits humains. Ce qui du coup, l’ouvre aux citoyens qui peuvent la saisir directement. Or, au Sénégal, sa saisine est simplement limitée aux institutions. C’est simplement par voie d’exception lorsqu’un contentieux est pendant devant la Cour suprême qu’un citoyen peut invoquer l’exception d’inconstitutionnalité, ce qui peut aboutir à un renvoi de l’affaire devant le Conseil constitutionnel.’
Si la presse a pu suivre les deux premières communications de la matinée d’hier, il n’en était pas de même pour les deux dernières de l’après-midi, présentées par les constitutionnalistes Alioune Sall et Babacar Sarr. Qui portaient pour le premier sur ‘les pouvoirs d’interprétation du juge constitutionnel’ et le second sur ‘le statut du juge constitutionnel’. Les débats se sont déroulés à huis clos ‘pour des raisons stratégiques’, a-t-on dit. La primeur des conclusions et recommandations du séminaire sera réservée au chef de l’Etat et ne sera rendue publique qu’après les consultations électorales de l’année prochaine (présidentielle et législatives). Preuve si besoin en était ( ?), selon une source, que la rencontre n’a rien à voir avec le contexte politique actuel. Dont acte.
Séminaire interne et recevabilité de la candidature de Wade
A l’annonce de cette rencontre inédite sur le fonctionnement du Conseil constitutionnel, beaucoup avaient vite fait d’établir une relation de causalité entre celle-là et la question sur la candidature de Wade à la présidentielle de 2012. Officiellement, tout lien a été récusé avec véhémence. Et la question ne figure pas, évidemment dans les termes de références du séminaire. Interrogé, Me Assane Dioma Ndiaye juge la démarche logique. ‘Cela aurait été étonnant d’ailleurs, analyse-t-il. Car cela aurait été : préjuger d’une question. Un juge ne peut pas, par avance, se prononcer sur une question dont il sait qu’il aura l’occasion de se prononcer, c’est un principe général de droit.’ Une autre source de renchérir, ‘tous les arguments ont été entendus. Personne ne peut affirmer dans quelle direction cela ira. Personne ! Il sera jugé librement, en âme et conscience’.
Pr ISAAC YANKHOBA NDIAYE SUR L’EXCEPTION D’INCONSTITUTIONNALITE : ‘Une sécheresse jurisprudentielle au Sénégal’
Instituée en 1992 avec l’avènement du Conseil constitutionnel, l’exception d’inconstitutionnalité est un moyen de contrôle de la Constitution accordé au citoyen qui, s’il estime que celle-ci est violée, la loi lui permet de saisir la Cour suprême pour dire au Conseil que cette loi-là est inconstitutionnelle. Ce qui fait que la procédure à suivre demeure complexe pour le citoyen lambda. D’où le peu d’engouement qu’il suscite.
Le traitement du dossier judiciaire (Tribunal régional, Cour d’Appel, Cour suprême) peut prendre quatre ou cinq ans. Ce qui explique que depuis sa création en 1992 jusqu’à présent, il n’y a eu que six décisions en l’espèce. C’est pourquoi, le Vice-président du Conseil Isaac Yankhoba Ndiaye parle de ‘sécheresse jurisprudentielle’. Tout le contraire de la France qui l’a adoptée en 2008, et appliquée en 2010. Résultat : 727 décisions en un an ! Du chemin à parcourir.
Amadou Oury DIALLO