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Idrissa Seck: Wade a voulu me « tuer » (1/2)

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Candidat à la présidentielle sénégalaise de février 2012, Idrissa Seck, 52 ans, prend de plus en plus ses distances avec Abdoulaye Wade, le chef de l’Etat qui a été longtemps son mentor politique.

SlateAfrique – Au regard des récents évènements qui se sont produits dans le Maghreb avec le «printemps arabe», pensez-vous que ce phénomène puisse toucher l’Afrique subsaharienne, particulièrement le Sénégal?

Idrissa Seck – Mon sentiment est que tous les pays qui ne sont pas respectueux de la liberté, de la démocratie, d’une conduite vertueuse des affaires publiques peuvent connaître le «printemps arabe». Ce qui s’est passé dans les pays arabes peut se passer dans n’importe quel pays au sud du Sahara. Et la jeunesse sénégalaise l’a démontré en se soulevant massivement et violemment contre une tentative d’institutionnalisation d’un projet de dévolution monarchique du pouvoir de Wade père à Wade fils. La jeunesse sénégalaise a démontré qu’elle était prête à faire son «printemps arabe».

Tuer le fils d’emprunt que j’étais

SlateAfrique – Ce projet de dévolution monarchique est-il une réalité?

I.S. – Je suis celui qui connaît, peut-être, le mieux Wade. Je le fréquente depuis que j’ai 15 ans. J’ai été son premier directeur de campagne électorale en 1988. En 2000, j’étais à nouveau son directeur de campagne. J’ai été son plus proche collaborateur: ministre d’Etat, directeur de Cabinet puis Premier ministre. Cette longue histoire de compagnonnage de plus de 30 ans, interrompue, a été sacrifiée sur l’autel des ambitions du fils. J’ai été le premier à dénoncer cette volonté de tuer le fils d’emprunt que j’étais et d’installer le fils biologique. Cette dévolution monarchique du pouvoir est un projet réel, très loin d’un fantasme. Au moment où je le disais ce n’était connu que des cercles de l’intérieur. Par la suite, cela s’est manifesté avec beaucoup plus de violence et d’acuité, parce que les ambitions du fils sont apparues à la surface. D’abord, il a voulu en faire un vice-président réel, il en a fait le conducteur de tous les grands projets du Sénégal, constructeur d’aéroports, des routes, des télécommunications, etc. Ensuite, il a voulu en faire le maire de Dakar comme tremplin et il a été violemment rejeté par les Sénégalais. Malgré ce rejet massif, il lui a donné le quart du budget du Sénégal. Il est le ministre le plus couronné avec l’Energie, l’Aménagement du territoire, la Coopération internationale, les Infrastructures, etc. Entre ce que Wade dit et ce qu’il fait je préfère me concentrer sur ce qu’il fait, puisque sa parole n’est pas stable. Il dit et se dédit assez fréquemment et lui-même l’a reconnu publiquement, en disant Wax Waxeet (dire et se dédire), une expression que les jeunes ont repris en chanson. Le projet de dévolution monarchique n’est pas une chimère.

SlateAfrique – Le fait que Karim Wade soit battu à plate couture lors des élections locales n’a-t-il pas mis fin à ses ambitions de dévolution monarchique?

I.S. – Il est clair que la voie démocratique, celle des urnes, du choix par le peuple sénégalais lui est définitivement fermée par ce rejet populaire massif. Il ne lui reste qu’une seule voie, celle de la manipulation de la Constitution, la voie de la force par le père. D’ailleurs, ce dernier l’avait dit au sujet d’Eyadéma fils, à savoir, quand quelqu’un a le parti, l’armée et l’argent, il peut prendre le pouvoir. Wade a essayé de trouver la même chose à son fils. [xalimasn.com]

SlateAfrique – Selon vous, quelle solution reste à Wade pour mettre son fils à la tête du pays?

I.S. – Aucune! Bien qu’il n’ait toujours pas abandonné son projet de dévolution du pouvoir. J’avais dit que tant qu’il lui restera un souffle de vie il n’abandonnerait pas ce projet. Lui, il a dit au cours d’une interview qu’il a accordé au journal La Croix, que même de sa tombe, ça lui plairait de voir son fils président. Il est vraiment déterminé sur la question. Ce qui lui reste, c’est la force, c’est tout. Mais, je ne pense pas qu’il pourra manipuler une seule fraction de l’armée sénégalaise, qui est l’une des plus républicaines du continent, même s’il le tente à travers quelques généraux.

Wade a déjà épuisé ses deux mandats

SlateAfrique – Vous n’excluez pas des tentatives de manipulations électorales lors de la présidentielle de février 2012?

I.S. – Les événements du 23 juin 2011 furent le rejet par la jeunesse descendue dans la rue d’un projet de manipulation de la Constitution qui visait deux choses. Premièrement, garantir au président une élection dès le premier tour avec moins du quart de l’électorat exprimé, ce qui est unique dans les annales de la démocratie. Deuxièmement, donner la possibilité au président de choisir son successeur en mettant un colistier pour passer le cap difficile de 2012 et après s’en débarrasser pour mettre son fils, puis démissionner au bout d’un an et lui laisser la possibilité de rester au pouvoir les six années suivantes. Et donc, avoir la chance d’accéder à la magistrature suprême sans passer par des élections. C’est ce mécanisme diabolique de dévolution du pouvoir par la manipulation constitutionnelle que les Sénégalais ont rejeté.

SlateAfrique – Wade détient le contrôle du Parlement, il peut toujours modifier la Constitution…

I.S. – Pour se protéger elle-même, la Constitution dit que toute modification ne peut être faite que par voie référendaire. Et au demeurant, le groupe parlementaire de Wade n’était pas unanime à soutenir son projet. S’il a reculé, c’est aussi parce que certains députés libéraux avaient des velléités de contestation. Il n’est plus en état d’obtenir tout ce qu’il veut de son groupe parlementaire, où je compte beaucoup d’amis.

SlateAfrique – Le président Wade pourra-t-il se présenter?

I.S. – Tout le monde sait de science certaine, que la Constitution est formelle et claire sur cette question: le mandat du président de la République ne peut être renouvelé qu’une seule fois, c’est-à-dire qu’il n’a droit qu’à deux mandats. Et Wade a déjà épuisé ses deux mandats.

SlateAfrique – Mais le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur cette question?

I.S. – Non, mais la question est tranchée de manière tellement claire par la Constitution que le Conseil constitutionnel n’a pas d’autre choix, sauf à rééditer l’ignominie de leurs collègues ivoiriens [qui avaient affirmé que Laurent Gbagbo avait remporté la présidentielle de décembre 2011]. Il doit déclarer la candidature de Wade irrecevable, il n’a pas le choix. On n’a pas besoin de les attendre pour cela. Cette limitation du mandat présidentiel à deux a été introduite dans la Constitution par Wade lui-même. Il a recours à une forme d’artifice visant à dire: «Mon premier mandat était déjà entamé au moment où la révision constitutionnelle intervenait, donc il n’est pas dans le décompte du nombre de mandats limité à deux». Mais, c’est complètement faux puisque cette question a été très nettement prise en compte par la Constitution qui a prévu une disposition transitoire disant: «le président termine son mandat en cours qui était de 7 ans. Donc, ce dernier échappait à la restriction de la durée de 7 à 5 ans».

Dans une interview accordée à Slate Afrique, le président Wade soutenait la thèse selon laquelle tous les constitutionnalistes n’étaient pas d’accord sur cette question…  

Lesquels? Il m’a dit la même chose lorsque nous nous sommes rencontrés en comité directeur. Je lui ai écrit une lettre pour lui dire que j’ai consulté les meilleurs constitutionnalistes du Sénégal et de la France et que leurs conclusions étaient unanimes. Il s’est contenté de me répondre que lui aussi, il avait contacté des professeurs agrégés de droit qui soutenaient le contraire et qui lui avaient fait un rapport. Je lui ai demandé de me montrer ce rapport, mais il ne m’a toujours pas donné les noms de ces professeurs ni produit un seul de ces documents. Je pense qu’il a tenté d’obtenir en France et au Sénégal des professeurs agrégés de droit constitutionnel pour soutenir sa thèse. Mais, il n’a pas pu. Même, semble-t-il, au moyen d’argent. Ceux que j’ai consultés, sont connus. Le professeur Guy Carcassonne a accepté de publier sa contribution sur la question. D’autres constitutionnalistes de renom l’ont également dit. Même le professeur Serigne Diop, qui est en grade notre premier constitutionnaliste au Sénégal, bien qu’il se soit abstenu pour des raisons de convenance et de respect a dit qu’il était prêt à donner son opinion au président s’il lui en faisait la demande dans le secret de son bureau. On peut en déduire que Wade n’a aucun constitutionnaliste sérieux pour soutenir le contraire.

Il a 86 ans, hors TVA

Si jamais le Conseil se prononçait en faveur de la candidature du président, quelle serait votre réaction et celle des Sénégalais?

I.S. – Une réaction très vigoureuse, extrêmement vigoureuse. Si Wade est prêt à tout pour violer la Constitution, nous serons prêts à tout pour la protéger.

Quitte à faire sortir vos militants dans la rue?

I.S. – Nous userons de tous les moyens que nous donne la loi, y compris celui de manifester.

SlateAfrique – Pensez-vous que le président Wade est toujours en état de gouverner?

I.S. – La dernière fois que j’ai eu des nouvelles du bulletin de santé du président de la République, c’était en 1999. J’étais son directeur de campagne et déjà, son âge faisait débat. Je l’avais appelé pour lui dire que pour évacuer cette question, il nous fallait publier son bulletin de santé parce que cela rassurerait. Le bulletin a été publié dans la presse et la suite on la connaît. Depuis je n’ai plus de nouvelles. Maintenant, bonne santé ou pas, il a une maladie qui s’appelle vieillesse. Et sur cela, aussi bien les livres sacrés que les scientifiques, sont unanimes: «à quiconque longue vie est accordée, sa forme baisse». Wade a 86 ans, hors TVA, disent les mauvaises langues. Donc, de toutes les façons, il n’a plus les capacités physiques d’assumer cette charge.

SlateAfrique – A propos des manifestations du 23 juin, on a beaucoup parlé du rôle de la société civile notamment du mouvement Y’en a marre. Est-ce un constat d’échec pour les partis politiques?

I.S. – Pas du tout. La société civile, c’est la société citoyenne. La protection de la Constitution, des lois, du respect par les gouvernants des libertés essentielles est la tâche de chaque citoyen. Ce n’est pas la tâche des partis politiques. La spécificité des partis politiques c’est de concourir à l’expression des suffrages, c’est comme cela que la Constitution les définit. Que la société civile prenne en charge, à un moment donné de l’histoire, la protection de sa Constitution et crie haut et fort «Y’en a marre», c’est un message adressé à tous les politiques, au pouvoir actuel, mais aussi au pouvoir à venir. Il y a un certain nombre de choses que la jeunesse africaine, n’acceptera pas. Les partis politiques, eux, se sont prononcés sur les questions. J’ai été le premier à dénoncer la tentative de dévolution monarchique du pouvoir. Je suis allé au front sur la question de l’anti-constitutionnalité de la candidature du président Wade. C’est un mouvement qui va s’amplifier et cela tous les gouvernants, où qu’ils soient sur le continent, doivent se préparer à être vertueux puisque le peuple n’acceptera plus certaines conduites.

Je fais du Sarkozy

SlateAfrique – Une partie de l’opinion publique sénégalaise se demande dans quel camp vous êtes? Etes-vous toujours avec le PDS (parti démocratique sénégalais) ou avec l’opposition?

I.S. – Je suis dans la famille libérale et cela de manière constante. Je n’ai jamais varié sur cette question. Je suis un défenseur des grandes valeurs libérales. Et c’est grâce à cela qu’en 2000 nous avons pu débarrasser le Sénégal du régime socialiste. Je suis resté fidèle à ces valeurs donc je n’ai jamais décidé, personnellement, de quitter le PDS. J’en ai été exclu en défendant ces valeurs et les intérêts du Sénégal contre ceux d’une famille et d’un clan, qui considéraient que le Sénégal était devenu leur propriété, et pensaient qu’il pouvait se transmettre de père en fils. J’ai subi à ce titre le plus gigantesque complot d’Etat de l’histoire politique du Sénégal. Je comprends l’émotion de tous ceux qui m’ont soutenu dans le combat contre cette injustice flagrante et qui n’ont pas pu comprendre et ni me pardonner que j’accepte la nouvelle main tendue de Wade pour retourner au PDS. Mais, je l’ai accepté parce que c’est chez moi. C’est moi qui est construit ce parti, pièce par pièce, aux côtés de Wade. Et il n’était pas question pour moi, de laisser cet appareil magnifique entre les mains de Wade fils. Donc, je n’y suis pas retourné par intérêt. La preuve, lorsque Wade a voulu interpréter mon retour comme une volonté de bénéficier d’un poste, il a créé un poste de vice-présidence en procédure d’urgence, et je n’en n’ai pas voulu. Même en étant exclu du PDS en 2006, dans ma déclaration de candidature à l’élection présidentielle, je disais que la première force politique sur laquelle je compte m’appuyer, c’est ma famille politique naturelle, le PDS, au sens des hommes et des femmes qui y partagent mes valeurs et qui y sont majoritaires. Qu’ils soient manifestés ou cachés. En somme, j’ai voulu faire du Sarko c’est-à-dire: «Je suis en brouille avec Chirac mais je reste dans l’UMP et j’en prend le contrôle». Je fais du Sarkozy pas du Bayrou.

SlateAfrique – Ne pensez-vous pas que vos multiples tentatives de rapprochement avec Wade, peuvent amoindrir vos chances en 2012?

I.S. – Pas du tout. Ce ne sont pas de multiples tentatives de rapprochement avec le PDS. Je suis le PDS. Je ne l’ai jamais quitté, j’en ai été exclu deux fois. Mais j’invite les militants et les militantes de qualité à me rejoindre dans mon parti Rewmi [créé en 2006]. Wade et son fils savent très bien ce qu’ils font. S’ils font tout pour m’écarter du PDS, ce n’est pas de l’appareil juridique même qu’ils veulent m’écarter, mais des militants du PDS parce qu’ils savent que dans leur combat contre moi les militants ne les ont pas accompagné. Wade a dû recourir à des mercenaires extérieurs pour m’attaquer.

SlateAfrique – Qu’entendez-vous par mercenaires?

I.S. – C’est-à-dire des gens qui ne sont pas du PDS. Les vraies fédérations et les vrais patrons ne m’ont jamais attaqué. Ni Pape Diop (président du Sénat), ni Aminata Tall (maire de Diourbel) ou Ousmane Masseck Ndiaye (président du conseil économique et social).

SlateAfrique – Est-ce qu’on pourrait s’attendre à une alliance avec ces gens même avec la multiplication des candidatures?

I.S. – Bien évidemment. Ma stratégie c’est de rassembler pour gagner, pour servir le Sénégal. Donc, à tous les autres acteurs, mis à part Wade qui est exclu de mes schémas d’alliance, je leur offre une plateforme d’alliance à trois étages. Premièrement, venez dans ma coalition pour soutenir ma candidature dès le premier tour. C’est ce que Mamoune Niasse du RP (Rassemblement pour le peuple) et d’autres leaders de parti ont fait. Deuxième étage, nous sommes concurrents au premier tour, je vous propose un accord d’alliance et de désistement en faveur du meilleur placé au second tour. Troisièmement, rien de tout cela ne se fait. Je gagne et je vous invite pour une correcte prise en charge des problèmes du Sénégal à ce que l’on constitue une vaste plateforme politique et stable pour traiter les difficultés ensemble.

Le mot PDS est souillé

SlateAfrique – Est-ce qu’ils comptent vous soutenir publiquement?

I.S. – C’est ce qu’ils font déjà. Il y a déjà des ralliements. En France, la Cames (Cellule pour la massification du parti par les secteurs), qui était la branche la plus dynamique du PDS m’a rejoint la semaine dernière. Le foyer des Mureaux qui était le foyer par excellence du PDS m’a rejoint également. Au Sénégal, les libéraux de Ziguinchor (Casamance) m’ont rejoint. Vous avez entendu parler des trente parlementaires, qui ne peuvent pas quitter formellement le PDS pour me rejoindre parce qu’ils perdraient leur mandat de députés, mais qui dans leurs activités quotidiennes me soutiennent ouvertement et ostensiblement. Donc, il est clair que la majorité des militants du PDS me soutiennent surtout maintenant qu’ils savent que Wade, c’est fini.

SlateAfrique – Si jamais la candidature de Wade est invalidée, seriez-vous prêt à aller aux élections sous la bannière du PDS?

I.S. – Non. Je vais à l’élection sous la bannière de Rewmi. J’ai créé ce parti pour une raison, que tout ce que je pense, dis et fais soit mesuré à l’aune de sa conformité aux intérêts supérieurs du Sénégal. Si j’avais hérité de l’appareil du PDS, si Wade ne m’en avait pas exclu j’aurai transformé le nom en Rewmi (Le pays en wolof). Le mot PDS en lui-même est tellement souillé par la mauvaise conduite de Wade qu’il est devenu un véhicule inefficace de séduction du peuple sénégalais qui l’a rejeté.

SlateAfrique – Certains de vos partisans affirment que les partisans de Wade veulent saborder votre candidature? Reprenez-vous ces accusations à votre compte ?

I.S. – Mais bien sûr. C’est leur principale stratégie. Il y a quelques jours, son fils s’est présenté ici à Paris, par le plus grand des hasards. Et lorsqu’il m’a vu, il a fait un demi-tour sec. On ne s’est ni serré la main, encore moins adressé la parole. Et tous ses sites Internet qu’il contrôle diffusent l’information selon laquelle l’un de ses amis avait organisé un rendez-vous avec moi au Saint-James. Il tente toujours de faire croire que je serai associé à eux mais j’ai démenti très vigoureusement. J’ai déclaré que plus jamais je n’aurai de contact avec Wade, que sa présence à la tête du Sénégal est devenue un danger, que je travaille exclusivement à son départ.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Lala Ndiaye

slateafrique.com, titre choisi par xalimasn.com

 

4 Commentaires

  1. Ce gars, Idy est de loin le meilleur homme politique sénégalais contemporain. Il est trop fort et il va remporter largement la présidentielle. Je prédis, au second tour, 59% sans TVA.

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