Paysage politique : Wade, alliances et mésalliances

S’il y a un mérite que le peuple sénégalais doit reconnaître à l’actuel occupant du Palais de l’ex-avenue Roume, c’est sans doute celui d’avoir réussi, depuis plus de trente ans, à faire parler de lui. Dans l’opposition comme au pouvoir, Wade a toujours donné du fil à retordre à ses adversaires par le jeu de ses intrigues politiques. Aux commandes du pays depuis 2000, Abdoulaye Wade a complètement brouillé les cartes au point de rendre illisible, aujourd’hui, la grille de lecture du paysage politique.

Il est incontestable que sans Wade, il n’y aurait pas eu, ni de modèle ou d’exception sénégalaise. Parce que Wade, à lui tout seul, est une exception. Il n’y aurait pas d’exception démocratique sénégalaise de 1974 à 1990 si Wade n’avait pas tenté l’expérience fastidieuse de l’opposition légale en Afrique alors que le continent était marqué par des guérillas ou des coups d’Etat.

Wade a réussi à être au centre du spectre politique sénégalais depuis bientôt quarante ans. Quand il était dans l’opposition, le débat en était réduit de savoir quand est-ce qu’il entre ou sort du gouvernement ou quand est-ce qu’il rentre de Paris et s’il rentre de Paris, est-ce qu’il n’y aura pas des troubles. Depuis qu’il est élu président de la République, il est naturellement au centre de la vie politique sénégalaise. L’histoire de la vie politique sénégalaise, depuis la création du Pds jusqu’à nos jours, tourne autour des alliances de Wade. Wade s’est allié avec tout le monde et ses alliances sont toujours motivées par les objectifs du moment. Ce qui en fait un redoutable politicien. Wade s’est allié avec le Ps dans les années 90, avec la Gauche pour en faire un marche-pied pour conquérir le pouvoir et s’est appuyé sur Niasse pour achever le Parti socialiste. Depuis qu’il est au pouvoir, les alliances ont radicalement changé de nature. Depuis qu’il est au pouvoir, il semble s’en tenir au proverbe arabe qui dit : ‘Il faut choisir le compagnon avant le voyage et le voisin avant la maison.’ Niasse, Bathily, Dansokho ont été de bons compagnons de voyage pour traverser le désert de l’opposition mais ne sont pas de bons voisins quand il s’installe au Palais. Pour avoir traversé le désert avec Wade, ils ont voulu réclamer leur part de légitimité. C’est pourquoi, dès que la caravane est arrivée au Palais, ceux qui étaient de bons compagnons sont devenus de mauvais voisins. Et pour chercher de bons voisins, Wade est parti chercher des personnes qui ne sauraient lui réclamer aucune légitimité dans l’alternance : les transhumants. D’où l’arrivée de Djibo Ka et de Abdourahim Agne. Il est plus facile pour Wade d’avoir Djibo Kâ comme voisin plutôt que Niasse. Niasse est actionnaire de l’alternance alors que Djibo est un invité.

Etant au centre de toutes les alliances et combinaisons politiques au Sénégal politique depuis plus 40 ans, Wade a brouillé les critères de lisibilité et les grilles de lecture du spectre politique sénégalais. Il n’y a plus de clivages gauche/droite ou conservateurs/réformateurs. Mais tout se définit par rapport à Wade. Les enjeux ne sont plus idéologiques, mais sont déterminés par le positionnement par rapport à Wade. L’histoire de la vie politique du Sénégal a toujours été marquée par une bipolarité mais, depuis qu’il est au pouvoir, Wade a transformé la bipolarité en centralité.

Cette centralité de Wade et la vie politique rythmée par ses intérêts du moment ont créé une crise d’intelligibilité et un brouillage politique qui ont déréglé toutes les grilles de lecture. Nos cousins ivoiriens disent souvent : ‘Si tu comprends ce qui se passe en Côte d’Ivoire, c’est qu’on t’a mal expliqué.’ La boutade peut s’appliquer aussi au Sénégal de Wade. Qui aurait pu penser que l’alternance soufflerait ses 10 bougies avec Djibo Ka et Abdourahim Agne aux premières loges et qu’on retiendrait Niasse, Dansokho et Bathily à la porte, faute de carton d’invitation ? Wade fête ses dix ans à la tête du Sénégal et a été au centre du débat politique depuis 30 ans.

Ce qui en fait le plus grand politicien du Sénégal et sûrement pas le plus grand homme d’Etat car, en la matière pour l’instant, il est sur la troisième marche du podium derrière Senghor et Diouf. Wade a encore deux ans pour renverser la tendance et se placer devant son prédécesseur.

Aguibou KANE

walf.sn