William Fitzgerald, sous-secrétaire d’Etat américain pour les affaires africaines, évoque pour Slate Afrique la politique américaine sur le continent.
SlateAfrique – La chute du régime de Kadhafi ne va-t-elle pas entraîner une prolifération des armes?
William Fitzgerald – Nous sommes très inquiets, ainsi que la communauté internationale, et des pays africains comme l’Algérie, le Niger, le Tchad et la Mauritanie. Nous savons que Kadhafi a accumulé des stocks d’armes depuis des années et des années. Plus qu’ils n’en avait besoin. Qui a le contrôle de ses armes? Est-ce le CNT (Conseil national de transition)? Les anciens militaires? J’ai lu aussi que des Touareg entraînés par Kadhafi fuient vers le Mali, le Tchad ou le Niger. Sans parler des réfugiés qui travaillaient en Libye et qui ont été pourchassés. Plus de 100.000 personnes sont rentrées au Niger et vous savez que le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde. Mais comment vont-ils faire pour «absorber» cette population? Il y a une crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique, mais il y a aussi une crise en Afrique de l’Est.
Pensez-vous que des pays comme le Mali et le Niger peuvent être destabilisés dans les mois qui viennent?
W. F. – Je ne pense pas qu’ils soient destabilisés, même s’il y a des troupes armés dans le nord du pays. Je pense que ni les rebelles, ni Aqmi (Al-Qaida au Maghreb Islamique) n’ont les moyens de renverser les gouvernements centraux de ces pays.
Cela peut-il menacer le processus électoral au nord du Mali, pour les élections de l’année prochaine?
W. F. – Je ne sais pas à quel point cela va affecter le processus électoral. Je sais que le Mali a eu un pourcentage de participation très bas, de l’ordre de 20% à 30%, lors de la plupart des élections dans le passé. Mais vous ne pouvez pas non plus priver les gens du nord de leur droit de vote parce que les conditions de sécurité ne permettent pas d’aller voter dans de bonnes conditions.
Ne pensez-vous pas que les islamistes qui sont dans cette partie du Niger ont gagné parce que les occidentaux viennent beaucoup moins dans cette partie du pays? Par conséquent, les populations se paupérisent. Et les occidentaux savent de moins en moins ce qu’il se passe dans cette région…
W. F. – Le Mali et le Niger subissent directement les effets de cette baisse du tourisme. Mais c’est aussi le cas du nord du Tchad et de la Mauritanie, parce que ce sont des zones où Aqmi opère. Y’a-t-il un risque que les terroristes radicalisent les gens qui vivent au Nord? Je ne crois pas vraiment, parce que les gens qui vivent là-bas sont peut-être musulmans, mais ils ne pratiquent pas le même islam. Ce n’est pas un islam «extrême». L’un des programmes que nous mettons en place au nord du Mali consiste à travailler avec les populations sur le terrain pour leur expliquer combien cette idéologie extrémiste est violente. Nous ne connaissons pas exactement le nombre de combattants d’Aqmi. On estime qu’ils sont entre 200 et 500 dans le nord du Mali. A l’intérieur de ce groupe, il y en a peut-être 20 ou 30 qui croient vraiment qu’il faut chasser tous les étrangers et que le gouvernement est trop séculier et doit être renversé. Un universitaire sud-africain a affirmé que Mokhtar Belmokhtar et Abdelhamid Abou Zeid étaient passés du terrorisme au crime organisé, parce qu’ils font énormément d’argent avec les enlèvements.
Certains officiels nigérians parlent des liens de plus en plus étroits avec Boko Haram. Pensez-vous que ce soit une réalité, et le cas échéant, cela vous inquiète-t-il?
W. F. – Je crois que Boko Haram reste concentré sur le Nigeria. Je ne crois qu’il s’intéresse au Mali ou au Niger. Néanmoins, c’est une menace croissante. L’attaque des bureaux de l’ONU était totalement inacceptable. Il y a là-bas des gens qui aident les Nigérians, des agences humanitaires comme le Programme Alimentaire mondial (PAM), l’Unicef ou encore Programme des Nations unies pour le développement (UNDP). C’est vraiment injuste.
Depuis le début des actions de Boko Haram dans le nord du Nigeria, la réaction des forces militaires nigériannes était peut-être trop forte. C’était une erreur.
Donc, nous fournissons une aide aux Nigérians, en terme d’entraînement, de construction, de petit équipement.
Le «monde haoussa» dépasse les limites du Nigeria, mais vous ne pensez pas qu’il y a des liens, même culturels ou idéologiques qui se développent entre Boko Haram et Aqmi ?
W. F. – C’est possible. Mais je n’ai vu aucune preuve de ce rapprochement pour le moment.
– Que peut-on faire pour lutter contre la criminalisation de l’économie dans des pays aussi pauvres que le Sénégal, le Bénin, ou la Guinée-Bissau. Que peuvent faire les pays occidentaux? S’intéressent-ils vraiment à ces questions?
W. F. – Nous avons lancé un certain nombre de programmes comme l’entraînement d’agents de police à Accra, au Ghana, et plus largement en Afrique de l’Ouest, pour les aider à lutter contre le trafic de stupéfiants, mais aussi contre le trafic d’enfants. D’ailleurs nous avons été satisfaits de la prise de position de Nicolas Sarkozy à Deauville lors du G8, qui a trouvé nécessaire de consacrer des fonds à la lutte contre la criminalité dans cette région. Nous avons besoin de plus d’argent. L’argent des trafics peut déstabiliser l’Afrique de l’Ouest.
Comportement immoral des multinationales
– Dans 10 ans, l’Afrique de l’Ouest peut-elle ressembler à l’Amérique latine d’aujourd’hui?
W. F. – Cela serait un gros problème. Mais je ne pense pas que cela soit possible. Il s’agit de deux régions complètement différentes. La structure de la société n’est pas la même. Mais je pense tout de même que la corruption va s’accroître dramatiquement, et cela est très inquiétant.
Ne pensez-vous pas qu’il y a une certaine responsabilité des compagnies occidentales dans la piraterie qui fait rage dans le Delta du Niger? Chevron ou Shell disent qu’ils donnent de l’argent à l’Etat central, et que si celui-ci ne construit pas d’écoles, ou ne fournit pas d’électricité dans cette région, ce n’est pas leur problème. Cela peut être choquant quand on voit l’installation de Chevron qui rapporte un milliard de dollars par an, alors que le village d’à côté était pollué et n’avait ni eau, ni électricité…
W. F. – Ces méthodes sont immorales. La plupart des multinationales doivent se rendre compte de cela, parce que des gens subissent les effets de la pollution, n’ont pas accès à l’école, ni même à l’eau potable. D’ailleurs, 50% des habitants du Delta du Niger n’ont pas accès à l’eau potable. Le premier responsable, c’est le gouvernement central, mais surtout les gouverneurs des Etats. Les multinationales sont également coupables, par leur comportement immoral.
Nous avons créé une commission binationale avec le Nigeria. L’un de nos groupes de travail est destiné à la stabilité du delta. Le gouvernement nigérian recherche des gens qui veulent aider au développement de cette zone. Mais c’est un cercle vicieux, comme au nord du Mali. Nous devons développer l’aide, mais l’insécurité est trop grande, et pour rentre la zone plus sûre, il faut la développer… Nous n’avons pas beaucoup de projets en cours dans le delta parce que c’est trop dangereux.
Néanmoins, il y a des associations et ONG locales sur le terrain à qui l’on doit donner de l’argent pour réaliser leurs projets. Le Delta est ignoré depuis trop longtemps.
Beaucoup d’Africains ont été très contents quand Obama a été élu parce qu’ils se sont dit, c’est l’un des nôtres. Certains Kényans se sentent frustrés car ils pensaient que Barack Obama s’intéresserait plus à l’Afrique. Ressentez-vous cette frustration, et la comprenez-vous?
W. F. – Je comprends leur frustration. L’Afrique fait partie de nos préoccupations depuis très longtemps. Nous avons dépensé 5 milliards de dollars en cinq ans pour des programmes dans quinze pays différents. Des centaines de milliers de personnes sont en vie aujourd’hui grâce aux traitements antirétroviraux que nous avons fourni. Donc, nous sommes toujours impliqués en Afrique.
D’ailleurs vous êtes impliqués en Zambie. Est-ce que le réveil de l’intérêt américain pour ce pays est lié à la peur de voir les Chinois prendre le contrôle de l’Afrique, et notamment des matières premières?
W. F. – Ce n’est pas une peur. Et puis, il ne faut pas sous-estimer les Africains. Ils savent quand ils font de bonnes affaires et quand ils se font avoir. Les Africains refusent d’accepter les travailleurs venus de Chine pour réaliser les projets. La Zambie a été l’un des premiers pays à dire «non, merci, nous avons notre propre population qui peut faire le travail».
Le cas de la Zambie est intéressant car le président a été élu grâce à une campagne contre les pratiques des firmes chinoises. Il y avait beaucoup de tensions parce que les dirigeants chinois dans la «ceinture de cuivre» maltraitaient leurs employés. Les Chinois sont en train de construire des infrastructures, ce que l’on a pas fait dans nos programmes de développement. Sommes-nous en compétition avec les Chinois? Bien sûr, car nos groupes pétroliers sont en concurrence avec les groupes chinois. Mais de la peur? Non. Nous souhaitons simplement que la libre-concurrence soit respectée.
La Zambie est un bel exemple de ce que peut être l’Afrique de demain, puisque, d’une certaine façon, elle a conduit au pouvoir des gens qui ont le même point de vue que vous sur la libre compétition…
W. F. – Oui. Michael Sata avait un seul siège au Parlement, il y a une quinzaine années, puis 43, et enfin 150. Il a nommé un vice-président blanc. C’est un signe fort. Sata veut rejeter tous les gens qui ont trempé dans la corruption. Je ne sais pas s’il a raison. Mais, bon sang, c’est bon de voir ça. Cela ne bénéficiera pas seulement aux investisseurs étrangers, mais à la population.
Pourquoi l’Afrique francophone semble marcher plus lentement vers la démocratie…
W. F. – Je ne pense pas que cela soit vrai. Pour le cas du Togo, les choses vont lentement à cause du pouvoir de Gnassingbé et son contrô
le de tout le pays. Le Sénégal est une vraie réussite démocratique, on verra ce qu’il se passera durant les prochaines élections.
On accuse parfois les Français de ne pas être pressés de voir évoluer un certain nombre de régime amis. D’aucuns les accusent de privilégier la stabilité plutôt que l’avancée de la démocratie?
W. F. – Je ne sais pas si cela est vrai. Mais j’observe que ces pays sont en train de changer. L’ère de l’homme fort qui contrôle toutes les instances du pouvoir disparaît peu à peu.
Il semble que le discours d’Obama en Afrique ait assez marqué, lorsqu’il a dit que l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes. Le fait qu’il ait choisi de faire son discours au Ghana et non au Nigeria a-t-il aidé à la démocratisation du Nigeria?
W. F. – Il s’agissait d’une décision réfléchie. Il s’agissait de saluer le Ghana qui a fait beaucoup d’efforts pour réaliser une transition pacifique entre les partis politiques: il s’est ouvert à l’économie de marché, à la liberté de la presse et d’expression et les partis politiques peuvent se contredire.
Au même moment au Nigeria, vous aviez un système politique complètement bloqué par Yar’Adua, avant les élections de2007, dont les autorités ont avoué le manque de transparence.
On a l’impression que l’on n’insiste pas de la même façon sur la démocratisation selon les pays. C’est le cas de la Guinée équatoriale qui entretient de très bonnes relations avec les Etats-Unis, notamment dans le cadre du commerce du pétrole.
W. F. – C’est vrai. Mais cela ne nous empêche pas de critiquer Teodoro Obiang au sujet des manquements aux droits de l’homme. Nous avons un vrai problème avec lui, et sa façon de gérer la Guinée et de ne pas investir l’argent du pétrole pour les populations pauvres.
Vous souhaitez une évolution?
W. F. – Nous la souhaitons, et il y en aura une. C’est inévitable. C’est comme en Côte d’Ivoire.
Beaucoup d’observateurs ont du mal à comprendre la politique sud-africaine parce que ce pays a soutenu Gbagbo, puis Kadhafi, jusqu’au bout.
W. F. – L’Afrique du Sud est un pays démocratique, il n’y a pas de doute. Mais soutenir Gbagbo était une erreur. A mon avis, le soutien de Kadhafi a surtout révélé une certaine inquiétude vis-à-vis de l’intervention, de l’intervention de l’occident sur le sol africain.
Quelle est, selon vous, l’initiative la plus importante de Barack Obama en Afrique?
W. F. – C’est sans doute le programme Feed the future. Il s’agit d’aider les agriculteurs africains à être plus compétitif et d’assurer qu’ils bénéficient de prix justes, et qu’ils soient capables de vendre dans leur région.
Propos recueillis par Pierre Cherruau, Fanny Roux et Philippe Randrianarimanana
avec salteafrique