Au téléphone hier, César Atoute Badiatte est amère : » l’armée pilonne Kassana et la zone de Niassya. En plus de cela, elle amène des renforts ». Concernant les informations faisant état de la poursuite des coups de feu que l’on entend jusqu’à Ziguinchor, il est tout aussi formel : « jusqu’à l’heure où je vous parle, l’armée est en train de pilonner nos positions, mais, ils ne vont pas nous déloger ».
Plus tôt dans l’après -midi, d’autres sources en Casamance expliquait la poursuite des pilonnages de l’armée par le fait « qu’ils voulaient enterrer les 147 rebelles tués jeudi et 96 vendredi dernier ». Ce qui semble peu crédible quand on sait que les cantonnements du Mfdc ne contiennent jamais autant de monde. Loin de là. A moins qu’il y ait eu des victimes collatérales.
Les mêmes sources ajoutent que « toutes nos bases sont en train de se battre ». Ce regain de tension est contradictoire avec les propos du chef de l’Etat à Rfi vendredi invité de la « Radio mondiale » expliquant qu’il discutait avec la branche qui veut négocier, à savoir celle de César Atoute Badiate, alors que l’aile dite radicale, celle de Salif Sadio, refuse de négocier.
Le Sénégal a-t-il besoin de ce regain de tension dans la région sud du pays. Et plus important encore, qui ne veut pas de la paix et pour quelles raisons ?
Nkrumah Sané : ‘‘Le général Dieng fait partie des gens qui pensent faire de cette crise un fonds de commerce et c’est dommage’’.
Figure emblématique de la rébellion casamançaise et l’un des rares témoins vivants de l’histoire politique du Sénégal, Mamadou Nkrumah Sané, 71 ans, est l’un des derniers indépendantistes d’Afrique. Loin de sa Casamance natale, l’un des vieux maquisards de l’histoire sort des bois –Parisiens- pour se confier à l’Obs. Entretient exclusif avec un mythe vivant.
– M. Mamadou Nkrumah Abou Sané pouvons nous savoir quel le rôle vous jouez, aujourd’hui, dans le MFDC ; puisque le mouvement rebelle se retrouve avec deux secrétaires généraux dont chacun se réclame héritier légitime de l’abbé Diamacoune Senghor?
– Je suis le secrétaire général du Mouvement des Forces de la Casamance, représentant du mouvement à l’extérieur, le premier responsable du conseil extérieur et chef suprême d’Attika -le combattant en diola, la branche armée du mouvement-Ndlr. Les secrétaires généraux, auxquels vous faites allusion, sont ceux créés par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Aux fils de la Casamance, je dis que ces gens ont été nommés par les gouvernements sénégalais. S’ils ont un quelconque pouvoir sur les combattants, comme ils le prétendaient, ça fait longtemps déjà qu’ils auraient dû réussir à régler ce problème. Ces jeunes – Ansoumana Baji, Alexandre Djiba et Jean Marie François Biagui Ndlr- peuvent être mes petits-fils donc, je ne compte pas m’attarder à leur sujet.
– Alors M. le secrétaire général, quelles sont les causes des dernières recrudescences de la violence constatée au sud du pays?
– Depuis le décès de l’abbé Diamacoune, (le 14 janvier 2007 à Paris -Ndlr) beaucoup de médias ont titré : «le MFDC est mort». Je le regrette, ce mouvement est né le 4 mars 1947 à Sédhiou, dans l’ancienne capitale de la Casamance, et les pères de nombreux journalistes qui se prétendent ‘‘spécialistes’’ de la question n’étaient pas encore nés. Je devais, à cause du deuil, garder le silence et me préparer à succéder à mon chef. Préparer le terrain, c’est ce que je faisais depuis, en réarmant mes hommes et en restructurant mes bases. Et maintenant Attika est prêt à mener la bataille.
– Les zones de combat se sont approchées des habitations et la nouvelle université de Ziguinchor, qui est une chance pour la région, est de plus en plus menacée par les bombes. Ne pensez-vous pas que les populations civiles, notamment élèves, étudiants et simples citoyens, doivent être épargnées par vos combattants.
– Nous sommes dans nos villes où l’armée pensait nous avoir chassés. Nous sommes et serons partout, dans tous les quartiers, en Casamance, à Tambacounda et à Kédougou. Tant que les régimes sénégalais refuseront nos demandes de négociation nous serons sur le terrain. Et le combattrons.
– Mais qui est-ce qui vous empêche de vous retrouver autour d’une table et de parler comme vous y a invité le gouvernement?
– Demandez-le à Wade, il applique la même politique que Senghor et Abdou Diouf avant lui. Même son marabout -sëriñ Bara Mbacké, le khalife général des mourides, Ndlr- lui a demandé de négocier avec nous, mais il ne le fera pas. Wade se croit plus malin, que tout le monde, au point qu’il a été prénommé Ndiombor –lièvre, en Ouolof Ndlr-. Mais il saura qu’il a affaire à nous. Mes combattants les attendront sur le terrain.
– En tant que ‘‘chef-suprême’’ d’Attika avez-vous le bilan humain et matériel des derniers affrontements?
– Je ne donne pas ces détails-là, contentez-vous des comptes-rendus du gouvernement. Même si vous ne devez pas vous fiez à ce qu’il dit, parce que la situation est autre.
– Des chefs rebelles d’Attika, comme le commandant Salif Sadio, sont-ils directement sous vos ordres. Ou bien, comme le prétendent certains, il n’y a plus de commandement central ; les combattants sont isolés chacun menant ses hommes comme bon lui semble et vivant de brigandage?
– Je ne veux pas me focaliser sur le commandement. Ceux qui sont sur le terrain, tout en continuant le travail, savent qu’ils sont sous mon autorité. Tous les autres, qui ne reconnaissent pas cela, ne m’intéressent pas. Seule la cause de la Casamance importe pour moi. Après tout, si tous ces gens se battent pour le MFDC, c’est grâce à moi. C’est à partir du déclenchement par la manifestation de Ziguinchor, en 1982, que j’ai dirigé que la plupart de ces jeunes sont allés dans le maquis. Par conséquent, ils doivent savoir qu’il y a un chef qui est responsable de ce mouvement et lui doivent soumission. S’il y’a des combattants qui ne reconnaissent pas mon autorité, ceux-là doivent savoir qu’ils sont dans l’erreur, car ils n’ignorent pas que la Casamance et le MFDC sont des legs qui appartiennent à des héritiers qui sont entre autres l’abbé Diamacoune, malheureusement décédé, et moi-même qui suis le chef-suprême d’Attika comme Wade l’est de l’armée sénégalaise.
– Comment comprendre qu’en tant que chef suprême d’Attika vous soyez planqué en Europe pendant que vous envoyiez les enfants des autres se faire tuer au front?
– Senghor était en France avant de devenir le président du Sénégal, ça suffit comme réponse. Mais aussi le général De gaule a quitté son pays pour se réfugier à Londres et c’est à partir de là-bas, qu’il a pu organiser la libération de la France. Il faut méconnaître l’histoire pour croire que j’ai fui le combat. Ceux qui me traitent de planqué n’ont aucune leçon à me donner.
– Que pensez-vous de la défection de certains de vos premiers compagnons de lutte dont certains sont, aujourd’hui, aux côtés du gouvernement et appellent à la fin de la lutte?
– Dans tous les mouvements de lutte de libération, ça a toujours été comme ça. Il y a des gens qui y entrent parce qu’ils ont été payés par le régime pour le saboter. Ceux-là, s’ils sont intelligents et comprennent qu’ils ne pourront pas changer le cours des évènements, quittent le maquis et retournent d’où ils sont venus. Ce sont des agents de l’Etat et ils sont retournés vers leur patron.
– Vous faites singulièrement allusion à qui?
– Je ne citerai personne, ils se reconnaitront dans mes propos. Ils ne m’intéressent pas. C’est la cause du MFDC, dont je suis l’héritier incontestable, qui m’interpelle. C’est la cause de mon peuple qui me préoccupe.
– Ce peuple casamançais dont vous dites être le porte-flambeau se dit fatigué de cette guerre. Il se plaint d’avoir trop souffert de cette situation; et on a l’impression que vous n’entendez pas ses cris?
– La Casamance a souffert avant ma naissance. Les colons portugais et britanniques ont fait souffrir la Casamance avant l’arrivée des Français. Par conséquent avant sa libération, un peuple doit souffrir. La France, où nous sommes, a connue combien de guerres? Combien d’occupations étrangères ? C’est dans l’ordre normal des choses que la Casamance, victime des envahisseurs, souffre! Le devoir d’un peuple c’est de s’organiser et de bouter l’envahisseur dehors. C’est ça mon combat et c’est celui du peuple casamançais pour bouter l’armée sénégalaise dehors. La souffrance du peuple casamançais n’est pas de notre fait, c’est l’armée et les dirigeants sénégalais qui nous ont imposé ça.
– Aujourd’hui avec la sortie de son livre, Me Boukounta Diallo vous rend hommage, en quelque sorte, en soutenant les mêmes thèses de la non-appartenance de la Casamance naturelle, au reste Sénégal colonial, comme vous l’avez toujours soutenu. Qu’elle lecture faite vous de ce regard neuf et révolutionnaire?
– Je n’ai jamais eu la nationalité sénégalaise, je n’ai jamais eu le moindre papier sénégalais. Quand le Sénégal a eu son indépendance, j’ai quitté la Casamance et suis venu à l’extérieur pour préparer la lutte pour la libération de mon peuple. Me Boukounta Diallo est venu me voir en 1996. Il ne savait rien sur la Casamance quand il est venu me rencontrer au nom d’Abdou Diouf. C’est après notre entretien qu’il s’est intéressé à la question et, depuis, je vois qu’il a été courageux de défendre la vérité, même s’il n’a dit qu’une partie de la vérité. La Casamance n’a jamais été sénégalaise et elle ne le sera jamais.
– Les généraux Mamadou Abdoulaye Dieng et Mansour Seck ont préconisé le rapport de la force pour en finir avec cette crise. Le premier nommé a dit que : ‘‘même s’il ne restait qu’un seul soldat au Sénégal, ce dernier ne permettrait pas à la Casamance d’être indépendante’’. Qu’en pensez-vous?
– Je n’ai pas entendu les mots de Mansour Seck, donc je me réserve le droit de parler de lui. Le général Dieng (il nous fixe du regard et affiche un sourire taquin), c’est un farfelu qui avait fait croire à Abdou Diouf qu’il allait éradiquer Attika en quelques mois. Si cet homme était un officier digne, il n’aurait pas droit au chapitre dans ce dossier: c’est un soldat que nous avons mis hors de combat. Et quand nous sommes allés en Guinée, pour la signature du cessez-le feu le 31 mai 1991, à Bissau, j’ai appelé Médoune Fall -ancien ministre des Forces armées, Ndlr- son patron, pour lui dire que je ne veux pas voir ce Dieng à Ziguinchor. Il a été sommé de quitter l’aérodrome où il nous attendait et il fut hué, dans les rues, par les populations. Une semaine plus tard, sur mon insistance, il a été viré de la gouvernance et remplacé par Mame Birame Sarr ; un homme sage et bien aimé par les Casamançais. Si Dieng veut revenir pour faire la guerre, en Casamance, eh bien il faut qu’il demande à être président du Sénégal, à la place de Wade. Comme ça, il aura tous les moyens nécessaires pour venir nous trouver sur la terre de nos ancêtres. Ou bien que Wade l’appelle, comme il le souhaite en faisant cette sortie médiatique, et le nomme gouverneur et il nous trouvera sur le terrain.
– Mais le général Dieng tient un langage opposé au votre parce qu’il soutient avoir réussi à pacifier une bonne partie de la Casamance et ‘‘les populations vaquaient tranquillement à leurs occupations’’. Il a déclaré, aussi, que la solution à la crise casamançaise ne peut être que militaire?
– Vous savez, ce général Dieng est un poltron. Je ne comprends pas comment un soldat mis hors de combat peut prétendre avoir des solutions militaires à une crise qu’il n’a jamais su régler. Je le répète nous l’avons battus à plate-couture et il sait qu’il est out, pour le dossier Casamance. S’il a un fils, il peut l’envoyer faire le travail que lui, le père, n’avait pas pu faire. Demandez-lui comment le capitaine Goudiaby, un digne fils de la Casamance, l’avait corrigé en lui cassant des dents (il sourit à nouveau). Retenez que ce général Dieng avait été mis à la retraite, avec le grade de colonel, en 1984. Abdou Diouf -qui voulait un militaire à la gouvernance- avait consulté de nombreux officiers Casamançais pour occuper le poste, parce qu’il voulait que ce soit un sudiste qui aille tuer les siens, et tous ont refusé sa proposition. L’offre était que le colonel qui accepterait le poste deviendrait directement général. Le général Dieng, puisqu’il n’est mû que par l’argent, a accepté le poste. Et c’est ainsi qu’il est devenu ce gouverneur parachuté en Casamance pour y commettre un carnage. Il fait partie des gens qui pensent faire de cette crise un fonds de commerce et c’est dommage; parce que jamais nous ne serons délogés de la terre de nos ancêtres. Et d’ailleurs je rappelle qu’Amnesty International l’a épinglé dans un de ses rapports en l’appelant le ‘‘bourreau de la Casamance’’. Je lui conseille, donc, de rester dans son Saint-Louis et de manger les dernières miettes qui lui restent du budget mis à sa disposition, par Abdou Diouf, pour faire la guerre en Casamance. Le problème avec ces Sénégalais, c’est que, pour l’argent, ils sont prêts à tout ; ce qui n’est pas notre cas. Pour nous l’honneur et la dignité passent avant tout. C’est pourquoi, vous ne verrez jamais dans l’histoire du Sénégal un général d’armée originaire de la Casamance -(les généraux sont nommés par le président de la République, le grade supérieur méritocratique dans l’armée est celui de colonel -Ndlr).
– Abdoulaye Baldé aurait demandé à ses ‘‘frères perdus’’ dans le maquis de retrouver la République. Que répondez-vous à cette invitation?
– Baldé fait partie des Sénégalais qui ignorent leur propre histoire pour prétendre parler de celle de la Casamance. C’est dommage pour lui. Aujourd’hui Moussa Molo Baldé et Alpha Molo Baldé doivent se retourner dans leurs tombes en entendant ces insultes d’un arrière descendant qui porte leur patronyme. De ses insultes formulées à l’encontre des Casamançais, Baldé répondra un jour. Ou, alors, il fuira se réfugier au Sénégal puisqu’il est national de ce pays. Nous n’accepterons jamais ces insultes-là et ne les pardonnerons jamais, non plus.
Entretien réalisé par Babacar Touré
Correspondant-permanent de l’Observateur à Paris
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