On peut à souhait appeler au dialogue, en étant sûr qu’il ne vous coûte rien au plan politique. Au contraire, il couvre son auteur de l’auréole de l’homme de dialogue, alors que dans le fond il n’en est rien. Abdoulaye Wade peut alors tendre la main aux autres, à chaque fois que les circonstances politiques du moment lui en donnent l’occasion. Mais, avec Serigne Abdoul Aziz Sy « Junior » comme médiateur, le chef de l’Etat ne pouvait pas trouver meilleur moyen pour espérer affaiblir Benno Siggil Senegaal, dont la cohésion cimentée depuis l’avènement des Assises nationales est intelligemment maintenue. La médiation de Serigne Abdou Aziz Sy « Junior » proposée par le khalife général des Tidjanes, Serigne Mansour Sy, précipitamment acceptée par le chef de l’Etat ne cache-t-elle pas une volonté de Me Wade de faire du médiateur un cheval de Troie ? On est tenté de répondre par l’affirmative, si on reconsidère la manière dont Abdoulaye Wade a su utiliser Abdoul Aziz Sy « Junior » pour apprivoiser un adversaire politique redoutable à l’époque, Idrissa Seck qui a été finalement domestiqué.
Rappelons à cet égard les fameuses audiences de midi entre Idrissa Seck et Abdoulaye Wade à la veille des élections présidentielles de 2007. Après un long feuilleton politico-judiciaire qui a coûté 7 mois de prison à l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck, ce dernier, après avoir été exclu du Parti démocratique sénégalais (Pds), traîné dans la boue, traité de voleur par ses anciens « frères » libéraux, avait fini par créer son parti politique, Rewmi, et décidé de s’opposer à Abdoulaye Wade aux élections présidentielles de février 2007. Son face à face avec Abdoulaye Wade tout au long de ce feuilleton politico-judiciaire où Idrissa Seck était dans le rôle de victime. Il était manifestement victime d’abus de pouvoir de la part du chef de l’Etat qui voulait écraser son « fils d’emprunt » qui bénéficiait d’une audience certaine et d’un grand élan de solidarité surtout auprès de la diaspora. Certains observateurs lui donnaient des chances certaines pour le scrutin de 2007.
QUAND WADE SE SERVAIT DE JUNIOR POUR APPRIVOISER IDRISSA SECK
Mais, juste avant le démarrage de la campagne électorale, par l’intermédiaire de Abdoul Aziz Sy « Junior », le 22 janvier 2007, dans la ferveur de la campagne pour la Présidentielle qui s’annonce, Idrissa Seck accepte de rencontrer Me Wade. Le dialogue engagé à l’époque entre Wade et Seck n’aura servi au bout du compte que le camp présidentiel. Idrissa Seck sortira de cette audience avec l’image d’un candidat peu fiable. Dans tous les cas, son image en prendra un sacré coup.
La deuxième fois que le chef de l’Etat a utilisé la médiation de « Junior » fut dans son différend avec Idrissa Seck. C’était encore à la veille d’une élection. Rewmi envisageait sa participation aux élections locales du 22 mars 2009, quand « Junior » réussit « à prendre la main d’Idrissa Seck pour l’amener chez Abdoulaye Wade ». C’était le 12 janvier 2009. A la suite de cette rencontre, Idrissa Seck qui croyait pouvoir aller aux élections en coalition avec le Pds, a vite déchanté. Le parti présidentiel refuse de coaliser avec Rewmi et le maire de Thiès s’est retrouvé isolé entre la coalition de l’opposition, Benno Siggil Senegaal et celle du pouvoir, Sopi 2009. Finalement, Abdoul Aziz Sy « Junior » n’aura servi qu’à affaiblir un adversaire politique qui aurait, plutôt, gagné à s’éloigner d’Abdoulaye Wade qui a su habilement, en appelant au dialogue, réduire au silence un redoutable adversaire.
On peut s’interroger aujourd’hui sur le sens et la finalité attachée à la médiation de « Junior ». Que cherche Abdoulaye Wade en essayant par tous les moyens de prendre langue avec son opposition ? Il a toujours saisi l’occasion de la fête de l’indépendance, des adresses à la Nation et des fêtes de Tabaski et de Korité, pour inviter les acteurs politiques au dialogue. Seulement, Me Wade a toujours plombé les chances d’un dialogue sincère.
Il y a plus d’une année, le chef de l’Etat, après avoir rencontré Alioune Tine, président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) avait exprimé son souhait de relancer le dialogue politique. Mais, aussitôt après, il a précisé qu’il ne discutera qu’avec l’opposition représentée à l’Assemblée nationale, excluant du coup toutes les formations politiques regroupées au sein du Benno Siggil Senegaal. Car, disait-il, cette opposition dite significative ne reconnait pas sa victoire électorale du 25 février 2007. Le chef de l’Etat a-t-il reconsidéré sa position ? Reconnait-il, aujourd’hui, la représentativité de ses adversaires qu’il a toujours ignorés, voire méprisés ? Faut-il donner crédit au « désir » de Me Wade de prendre langue avec son opposition ? Force est de constater que ce souhait de dialoguer intervient dans un contexte politique particulier. Longtemps snobées, les formations politiques réunies au sein de Benno Siggil Senegaal ont fait une véritable démonstration de force lors des élections locales. Faut-il encore le rappeler, les Assises ont été lancées pour faire face au déficit de dialogue et pallier le manque de structures de concertation pour la recherche de solutions afin de faire face aux maux qui assaillent le pays, à la suite du refus du chef de l’Etat de discuter avec les formations politiques qui ont boycotté les élections législatives de 2007.
Ces partis avaient, à l’époque, exigé un dialogue autour du fichier électoral avant d’aller à des élections. Le pouvoir avait fait la sourde oreille. Aujourd’hui, on peut se demander sur quoi Me Wade veut dialoguer ? Si Me Wade cherche un consensus, l’opposition tient le sien et l’invite à se montrer réaliste, généreux dans son projet politique, en se montrant ouvert à l’égard des conclusions des Assises nationales. Elle se croit légitime et fondée à lui adresser cette invite, car elle est certaine d’avoir trouvé avec « les forces vives de la Nation » des accords majeurs sur la conduite du pays.
IMPOSSIBLE DIALOGUE
D’un autre côté, le pouvoir a déjà organisé les élections sans tenir compte des griefs de ses adversaires et c’est, entre autres, l’une des raisons essentielles pour lesquelles il paraît difficile de croire aujourd’hui à un dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition. Et c’est pourquoi également l’appel de Me Wade enthousiasme peu les principaux destinataires. Encore qu’au moment de sauter sur la médiation de « Junior », Abdoulaye Wade a par devers lui une lettre de l’opposition lui dessinant les termes de référence pour la nomination d’un médiateur neutre pour diriger les travaux sur la révision du code électoral. L’opposition avait boycotté ces travaux avant de subordonner son retour à la nomination d’une personnalité neutre. Jusque-là, Abdoulaye Wade n’a rien fait pour faire avancer les choses. Son directeur de cabinet Habib Sy a déclaré à la télévision WalfTV qu’il accepte toutes les conditions de l’opposition pour aller au dialogue.
Abdoulaye Wade ferait mieux de nommer ce médiateur neutre pour montrer sa bonne foi au lieu d’en proposer un qui n’a servi qu’à mettre au frigo ses adversaires. Qu’est-ce que l’opposition fera à ce dialogue, si ce n’est pour soigner son image auprès d’une opinion publique qui considère que le dialogue entre les acteurs politiques est une nécessité et une condition essentielle de la démocratie. Ce ne serait sûrement pas pour trouver des espaces de convergence avec le pouvoir, car l’opposition démocratique est, en effet, convaincue que le chef de l’Etat n’est jamais sincère ni crédible quand il appelle au dialogue. Qu’est-ce que cette opposition gagne-t-elle à répondre favorablement à l’appel de Wade ? Difficile de répondre de façon tranchée à cette question. On peut cependant douter que l’opposition qui est du reste assez avertie et disposant de suffisamment d’expériences, puisse tomber, par les actes qu’elle serait amenée à poser, dans un piège politique qui briserait la dynamique de victoire enclenchée depuis le 22 mars 2009.
En tout état de cause, il serait étonnant qu’elle donne les moyens au pouvoir de renforcer le Président dont la représentativité a été sérieusement érodée par les élections locales, par la série de scandales qui s’en est suivie et les fautes politiques graves qui ont ponctué son mandat. La volonté sincère du chef de l’Etat d’aborder les questions essentielles sur lesquelles doit porter tout dialogue, à savoir la gouvernance d’Etat, la transparence dans la gestion des affaires publiques, le respect du calendrier républicain, le respect des institutions républicaines, la révision du fichier électoral, etc. n’est pas encore établie.
Cheikh Fadel BARRO
lagazette.sn
fouter nous la paix