Les courriels de sept opposants libyens en exil, résidant au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, ont été espionnés dans ces pays, par un système d’interception et de surveillance vendu à la Libye de Kadhafi par une société française, révèle le site Owni.fr jeudi 1er décembre.
Le site s’appuie sur des documents internes de l’entreprise Amesys, publiés mardi par WikiLeaks avec plusieurs centaines d’autres documents publicitaires d’entreprises vendant des systèmes de surveillance. L’analyse de ces documents montre qu’Amesys ne s’est pas contentée de vendre ce matériel, mais s’est impliquée dans le fonctionnement des logiciels aux côtés des services de sécurité libyens.
Quarante adresses e-mails d’opposants ou de sympathisants de l’opposition apparaissent dans une capture d’écran publiée par Owni.fr, parce qu’ils appartiennent au schéma relationnel d’un opposant libyen basé en Grande-Bretagne, surveillé par le régime de Kadhafi parmi des dizaines de milliers d’autres. Cet opposant, dont les correspondances électroniques ont été espionnées, est Mahmud Nacua, écrivain et intellectuel de 74 ans, l’un des pères fondateurs de l’opposition libyenne en exil, vivant en Grande-Bretagne et nommé en août ambassadeur de Libye à Londres par le Conseil national de transition (CNT).
Les pseudos ou adresses e-mails de ces opposants libyens, ainsi que ceux de deux fonctionnaires américains et d’un avocat britannique, apparaissent nommément dans le mode d’emploi du système Eagle « de surveillance massive » de l’Internet, « à l’échelle d’une nation », rédigé en mars 2009 par des employés d’Amesys.
Interrogée par l’AFP, Amesys souligne que « l’engagement pris par les autorités libyennes de participer aux côtés des pays occidentaux à la lutte contre le terrorisme international a notamment conduit fin 2003 le Conseil de sécurité de l’ONU à lever l’embargo prononcé contre ce pays ». « C’est dans ce contexte », poursuit l’entreprise, « que de nombreuses entreprises françaises et étrangères, dont faisait partie Amesys, ont noué des liens commerciaux avec la Libye. Amesys a dans ce cadre livré aux autorités libyennes un matériel sur lequel elle n’a exercé aucun contrôle quant à l’utilisation qui a pu en être faite ».
CONTRÔLE DES « ARMES DE SURVEILLANCE MASSIVE »
Les documents publiés par WikiLeaks, d’ordinaire réservés aux seuls acheteurs de technologies de surveillance, montrent que de nombreuses entreprises occidentales proposent des systèmes de surveillance électronique à tous les prix et dotés de fonctions très variées. Outre Amesys, des entreprises allemandes ou américaines éditent des outils de surveillance des réseaux, de contrôle des accès Wi-Fi, ou encore des logiciels-espions qui enregistrent toute l’activité des ordinateurs sur lesquels ils sont installés.
Pour les organisations de défense des droits de l’homme, la législation encadre insuffisament la vente de ces technologies, dont le développement s’est fortement accéléré après le 11 septembre. « Les gens sont outrés par les ventes d’armes, mais ils ne réalisent pas que la vente de logiciels et d’équipements de surveillance, qui permettent aux régimes répressifs de surveiller les déplacements, les communications et les activités en ligne de populations entières est tout aussi dangereuse », analyse Eric King, porte-parole de Privacy International cité par le Washington Post. L’association a également travaillé avec WikiLeaks à la publication de ces documents.
La plupart des entreprises éditant ces outils de surveillance affirment ne pas vendre leurs technologies aux pays faisant l’objet de sanctions internationales. Aucun représentant de l’Iran ou de la Corée du Nord n’est invité au prochain salon consacré à ces technologies, qui s’ouvre à Kuala Lumpur, mardi 6 décembre. Mais par le biais d’intermédiaires, il n’est pas très difficile pour les régimes répressifs de se procurer ces outils. La société BlueCoat, qui fait l’objet d’une enquête aux Etats-Unis parce que certains de ses systèmes de surveillance sont utilisés en Syrie, affirme que les équipements en question ont été vendus au régime à l’insu de l’entreprise, qui pensait avoir vendu son matériel au gouvernement irakien.
Les militants des droits de l’homme demandent un renforcement de la législation internationale, pour aboutir à un encadrement proche de celui existant pour les armes de guerre. Un projet de loi a été déposé aux Etats-Unis pour interdire la vente de ces technologies aux pays qui surveillent leurs citoyens, comme la Chine ou la Syrie. A l’heure actuelle, la vente de ces technologies n’est pas interdite, ni en Europe ni aux Etats-Unis.
UNE REPRISE-SURPRISE DES PUBLICATIONS
Avec ces nouveaux documents, WikiLeaks renoue avec la publication d’archives secrètes, un an après la première publication partielle des télégrammes diplomatiques américains. Pourtant, l’organisation avait annoncé fin octobre qu’elle suspendait toute publication de nouveaux documents, expliquant être étranglée financièrement par le « blocus » établi par plusieurs organisations financières. PayPal ou encore Mastercard ont en effet bloqué des comptes et des moyens de paiement utilisés par l’organisation ; cette dernière y voit une action concertée visant à abattre WikiLeaks.
Cette nouvelle publication intervient alors que lundi 5 décembre, Julian Assange, le cofondateur de WikiLeaks, saura si la Cour suprême britannique accepte d’examiner sa demande d’appel. Après avoir épuisé tous les autres recours, M. Assange avait annoncé son intention de saisir la plus haute instance juridique de Grande-Bretagne afin d’éviter d’être extradé en Suède. Accusé par deux Suédoises de viol et d’agression sexuelle, M. Assange, qui n’a pas été inculpé mais doit être entendu comme témoin par la justice suédoise, était assigné à résidence en Grande-Bretagne en attendant la décision de la justice. Il dénonce un complot orchestré selon lui par les Etats-Unis.
avec lemonde.fr