« L’Afrique et le défi républicain«
(Une lecture des élections sénégalaises de 2009), Paris Editions l’Harmattan, avril 2011, 269 pages, préface de Amady Aly Dieng
Le véritable antidote à la fraude ne sera trouvé qu’à la veille des présidentielles de 2000, grâce à la mise sur pied du Front de Régularité et de Transparence des Élections. Cette structure, en tant que solution concrète à la quête jusqu’ici désespérée de l’unité de l’opposition politique, a permis d’enclencher une dynamique pour sécuriser, à toutes les étapes, le processus électoral. Cette force de frappe est renforcée par la corporation des journalistes qui procèdent non pas à une simple couverture, mais à une véritable supervision des opérations électorales en veillant à leur régularité en amont comme en aval. Les citoyens viendront en renfort, en prenant sur eux individuellement l’engagement de dénoncer auprès de qui de droit, tout responsable politique ou/et administratif tentant de prendre des libertés par rapport aux règles du jeu.
Mieux, le F. R. T. E mettra à contribution ses experts, lesquels rassureront tous les démocrates et citoyens épris de paix et de justice, en soutenant que le fichier sans être parfait est tout de même assez correct pour permettre la tenue d’élections fiables.
Mais, l’opposition, laminée en 2007 avec le traumatisme mentionné plus haut, évoque la fraude, précisément la manipulation de la biométrie, comme cause de sa perte. Cependant, la question à laquelle cette même opposition ne fournira d’éléments de réponse qu’en mars 2009 est bien la suivante : comment « B. S. S », Coalition qui regroupe l’essentiel des partis battus par le P. D. S en 2007, a-t-il réussi sa percée sans avoir changé le fichier incriminé ?
Sans pour autant nier l’existence de la fraude lors des dernières présidentielles, il nous semble que même si son effectivité est établie, elle ne saurait constituer le facteur déterminant de la victoire controversée des libéraux. Il en est de même pour ce recours massif à l’argent. Les moutons et bœufs immolés dans les différents quartiers généraux socialistes, les faramineuses sommes englouties au chapitre d’achat de carburant et de location de cars dits Ndiaga Ndiaye , et les billets de banque distribués à la pelle qui n’ont pas été suffisants pour empêcher la débâcle des socialistes, en vertu de quoi peuvent-ils faire avorter le projet d’alterner l’alternance ?
En vérité, cette lecture participe d’une idée profondément ancrée dans le psychisme de certains militants comme analystes. Ils demeurent convaincus que les libéraux, de leur prise de pouvoir à nos jours, ont réussi à installer leurs compatriotes dans une précarité telle qu’ils auraient perdu toute notion de dignité et de grandeur ! Or, c’est là un point de vue à nuancer, au regard du verdict des urnes au soir du 22 mars 2009.
Nous pensons que la défaite de l’opposition, en 2007, relève de causes autrement plus complexes. Elle est plus précisément solidaire de la conjugaison de ces trois facteurs : le conservatisme séculaire du monde rural, l’opérationnalité de la stratégie de musèlement des partis politiques d’opposition et le désintéressement d’une partie de l’électorat.
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Dans cette stratégie du « ôte- toi que je m’y mette », toute victoire n’est que transition bien éphémère. À preuve, Idrissa Seck, après avoir provoqué le Premier ministre Niasse, n’a pris le relais que pour être déboulonné par Macky Sall. Effectivement, l’enfant de Fatick va jouer un rôle de premier plan dans la funeste opération de « déseckisation », sous toile de fond de contentieux juridico- financier, qui se termine par l’inimaginable emprisonnement de celui que Wade avait confortablement établi dans la station primatoriale.
Sans connaître la prison, le Maire de Fatick, à son tour, sera éjecté de son piédestal à la suite d’une rocambolesque mise en scène. Comme une sorte de rituel, les déboires de Macky Sall couronnent un travail qui lui a valu les félicitations du chef du parti libéral. Sa récompense, « pour d’éminents services rendus » aura été une descente aux enfers avec une célérité qui frise l’irrationnel.
Nonobstant son rôle de premier plan dans la mise à l’écart du fils putatif Idrissa Seck, l’enfant de Fatick aura été une des pièces –maitresses du dispositif du locataire de l’Avenue Roume. Nommé Premier ministre en avril 2004, il dirige, avec la bénédiction du président de la République, le gouvernement du Sénégal jusqu’en juin 2007. Avec l’éviction d’Idrissa Seck, c’est lui encore qui sera choisi comme directeur de campagne d’Abdoulaye Wade, dans des circonstances autrement plus complexes que celles de la présidentielle de 2000. Au lendemain de la victoire fort contestée du P. D. S, il est porté par Wade à la présidence de la prestigieuse Assemblée nationale.
Mais, à peine cinq mois après cette propulsion, il fera les frais des résolutions du Comité directeur de son parti. Celui-ci décide, d’une part, de supprimer le poste de N° 2 et, d’autre part, de réduire le mandat du président de l’Assemblée nationale de cinq à un an.
Ces mesures, pas fortuites pour un sou, témoignent de l’aiguisement des contradictions, jusqu’ici en sourdine, entre Macky Sall et certains de ses frères libéraux. Ce qui n’était que supposition, révélera sa vérité avec l’initiative du président de l’Assemblée nationale d’auditionner le secrétaire général de l’A. N. O. C. I, Karim Wade, et son plus proche collaborateur, Abdoulaye Baldé. Si l’intention de Sall est de procéder à l’exercice républicain de contrôle des biens du contribuable, pour ses frères libéraux son ambition est d’humilier le fis du président de la République. Cette intention, qui frise l’obsession, l’aurait amené à violer la procédure en vigueur, rien que pour atteindre son objectif. Le vice de procédure, consistant à envisager d’auditionner l’A. N. O. C. I sans l’avis de sa tutelle, participerait de cet objectif.
À partir de cet instant, le verdict des libéraux est resté sans appel. Malgré la médiation du successeur de Sérigne Saliou Mbacké, Macky Sall est devenu persona no grata au sein du P. D. S qui ne manque jamais d’inspiration quand il s‘agit de se débarrasser d’un frère.
Dans la logique de cette mise à mort politique, une séance présidée par le Pr. Iba Der Thiam, en tant premier vice –président, et au nom de la Commission des lois, de la décentralisation, du travail et des droits humains, est organisée. Le rapport, lu par le député Seydou Diouf durant cette rencontre bien particulière, donne une idée du principal chef d’accusation : « Carence de l’actuel Président de l’Assemblée nationale, incapable d’assurer l’accomplissement de ses charges républicaines, telles la présidence des séances plénières et des réunion statuaires, ainsi que la récurrence de ses absences dans les cérémonies protocolaires. »
Ce chapelet de griefs sera renforcé par bien entre d’autres, dont le reproche d’avoir été invité par le Sénat français sans l’avis de qui de droit ; celui d’avoir assisté à l’investiture d’Obama et de s’être absenté au moment où ses compatriotes souffraient des inondations !
Nous savions jusqu’ici que c’est le propre d’une révolution que de dévorer ses propres enfants. Mais rare a été l’opportunité de voir un parti aussi « secondphage ». La question, que l’on est en droit de se poser en fonction de cette « secondphagie » du P. D. S, ce n’est pas tant de savoir à qui le prochain tour. Il s’agit de se demander dans quelle mesure cette formation pourra acquérir cette stabilité que requiert le maintien au pouvoir, qui passe par la longévité et la durée de la collaboration entre principaux leaders d’un seul et même parti.
PP 168- 169.
L’exemple le plus récent de l’importance de la riposte citoyenne est la mobilisation qu’a suscitée l’ambition de Jean Sarkozy, étudiant en 2 iéme année de droit, de briguer la présidence de l’É. P. A. D, (Établissement public d’Aménagement du quartier des Affaires de la Défense). Réagissant avec vigueur contre ce qui lui semble relever de la forfaiture républicaine, le secrétaire national du P. S à la rénovation, Arnaud Montebourg, rappelle pour condamner : « Dans la déclaration des Droits de l’Homme de 1789, il est dit que les postes sont attribués selon les capacités et les mérites, c’est ça une République digne de ce nom. Mais quel est le mérite de Jean Sarkozy, à part d’être le fils à papa ? Cette prise de guerre clanique et familiale, poursuit-il, ce n’est pas que du népotisme, c’est la destruction, par les pratiques du pouvoir, de l’esprit républicain et de la République elle-même« .
Sur le même registre, le député P. S de l’Essonne, Manuel Valls, redoutant le patrimonialisme en gestation, dénonce sans équivoque ce qu’il appelle « une reprise en main du clan Sarkozy« sur « le coffre-fort que représente le département » des Hauts-de-Seine, : « Je ne doute pas un seul instant que ce garçon ait du talent, mais il est le fils du président de la République, il est le fils de l’ancien président du conseil général des Hauts-de-Seine, et on sent bien qu’il y a une reprise en main du clan Sarkozy sur le département, sur le coffre-fort que représente le département le plus riche de notre pays« .
S’indignant en toute légitimité de l’écart existant entre les propos de campagne du président, et sa pratique politique, François Hollande renchérit : » Ce n’est pas moi, c’est Nicolas Sarkozy qui, dans la campagne présidentielle, a dit que le système de nominations, de l’organisation du pouvoir en France, serait exemplaire s’il devenait président de la République. Eh bien aujourd’hui, c’est un contre-exemple. »
Par-delà cette vigoureuse réaction de l’opposition socialiste, un tollé général se note contre cette dérive qui met en péril la République. L’impact de cette levée de boucliers citoyenne est tel, que plus de 60 % des Français affichent leur désapprobation, dont plus de 50% des électeurs de sensibilité de droite, comme le révèle un sondage.
Ayant suffisamment perçu le message, le candidat fils du président acceptera de se ressaisir, en réintégrant la rigueur des règles du jeu démocratique. Ainsi, s’adressant aux téléspectateurs de France 2, il rassure : « Mon devoir, c’est de prendre conscience d’une situation qui peut me dépasser, d’en prendre acte. Je ne suis pas sourd, je ne suis pas aveugle ». Revendiquant une tradition purement républicaine, il poursuit, en affirmant son opposition à ne pas vouloir d’une « victoire qui porte le poids du soupçon ». Soupçons de « passe-droit », de « favoritisme », de « traitement de faveur ».»
L’intérêt de cette polémique pour notre étude est qu’elle illustre parfaitement le poids décisif de la vitalité citoyenne dans le fonctionnement des institutions républicaines. C’est une nouvelle fois, la preuve que la véritable démocratie ne saurait s’épuiser dans le multipartisme, dans la multiplication des chambres et dans l’organisation tout à fait formelle de scrutins électoraux. Nonobstant la légitime lutte des intérêts, c’est le degré d’appropriation de la culture démocratique qui permet aux acteurs politiques de savoir, tant soit peu, raison garder. Les dispositions infrastructurelles sont quasi inefficaces, en l’absence de la citoyenneté dont nous venons de voir les conditions d’émergence en Occident.
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La coalition « B. S. S », non plus, n’a pas su régler les questions cruciales liées aux futures présidentielles. Elle n’a pas réussi à construire cette solidité que lui auraient autorisée, d’une part, l’élan citoyen issu des Assises nationales et, d’autre part, sa victoire électorale du 22 mars 2009. La qualité des participants au forum inauguré en juin 2008, l’expertise citoyenne qui y a été mise à contribution et l’enthousiasme qui en a résulté n’ont pas favorisé ce suivi qui eût facilité la mobilisation des Sénégalais autour de plateformes politiques, de programmes économiques et de références éthiques. Mieux, par-delà cette possibilité, un recours à l’esprit des Assises nationales permettrait à un maximum de citoyens, hors des partis comme dans les partis à dessiner, ne serait-ce qu’à grands traits, le profil du futur président de la République.
En lieu d’initiatives hardies et de prise en charge effective des revendications citoyennes, ce sont des atermoiements qui donnent le sentiment d’un abandon progressif des précieux acquis, enregistrés lors du dialogue citoyen ouvert avec beaucoup d’enthousiasme et d’espoir en juin 2008. Pour avoir pris la mesure de tout le risque pouvant résulter d’un tel relâchement, Amadou Makhtar Mbow a cru devoir adresser, en novembre 2010, un message aux membres du Comité national de pilotage des Assises. Cet extrait en témoigne éloquemment : « … Plus que jamais, la refondation du Sénégal exige donc d’œuvrer en commun par le renforcement des différentes structures de suivi des Assises et par une large information des citoyens sur les enjeux que représentent les différents documents de ces Assises : Charte de gouvernance démocratique, rapport général, projet de constitution et conclusions issues des différentes plateformes d’approfondissement des sujets institutionnel, économique et sociétal » .
Dans ce contexte où l’impréparation demeure une des choses les mieux partagées par les deux coalitions antagonistes, le président Wade multiplie les initiatives pour rester le seul maître du jeu politique. C’est dans cette lancée qu’il a déclaré sa candidature aux présidentielles de 2012.
Avocat averti et professeur de droit, le secrétaire général du P. D. S semble parfaitement conscient que cette problématique n’a de sens que subrepticement transférée sur le terrain politique. Partant, laissant le soin aux acteurs politiques, constitutionnalistes, politistes et journalistes le soin de spéculer sur la recevabilité juridique de cette candidature, il assigne une double fonction à cette initiative.
La première est de prendre les devants en excluant toute idée de retraite politique. Celle-ci aurait le désavantage d’aiguiser les appétits et de rendre béantes les fissures de sa formation politique, occasionnées par la distance prise par ses anciens lieutenants. La seconde portée est de mettre la pression sur la Coalition « B. S.S » pour qu’elle choisisse son et ses candidats pour les présidentielles de 2012. Or, un tel débat, à partir du moment où il a été suscité de l’extérieur de la Coalition, souffre du manque de sérénité et de circonspection que requiert la juste résolution de cette redoutable équation. Aujourd’hui, « B. S. S », qui ne semble pas avoir tiré suffisamment de leçons sur les avantages d’une candidature plurielle limitée, a du mal à trouver une réponse consensuelle.
Malgré cette ascendance, il est peu de dire que Me Wade ne dicte pas pour autant sa loi à l’espace politique sénégalais. Et comble de paradoxe la contestation lui est parvenue de son propre parti politique. Précisément, c’est son ex-premier ministre et directeur de campagne en 2000, Idrissa Seck, qui crée un précédent : il s’élève à haute et intelligible voix contre l’auto-désignation de l’actuel locataire de l’Avenue Roume comme candidat aux présidentielles de 2012.
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