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Wade, l’Homme de la Décennie par Pathé MBODJE, Journaliste, sociologue

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Artisan de l’Alternance démocratique au Sénégal en 2000aprèsprès de trente ans de combat démocratique, Abdoulaye Wade est aussi le seul leader politique cherchant une stabilité sociale démentie par ses actes. Sa candidature de 2008, sous des allures heurtées, est cependant un véritable hymne à une cohésion sociale…qu’elle affaiblit. Mais il a pu user tous ses adversaires et imposer la paix à un État qu’il affectionne tant.

 

Par la constance qui a marqué sa présidence depuis plus de dix ans maintenant,Abdoulaye Wade est sans conteste l’homme de la décennie 2000 au Sénégal. Homme de l’ombre et de la lumière, il a mené une double ambiguïté tout au long de sa vie : Dieu Janus, il est né à la fois à Kébémer et Saint-Louis ; mathématicien et doyen de  faculté, il privilégie le Droit ; opposant, il se veut collaborateur ; élu au parlement, il veut imposer une perspective anglo-saxonne du shadow cabinet et  de l’opposition officielle qui le met aussi bien au pouvoir que contre le pouvoir. Président de la République, il multiplie les dichotomies par rapport au Sénat et au Conseil économique et social liquidés en première année et réhabilités à quelque temps de là ; il écourte la durée d’un mandat présidentiel de sept ans ramené à cinq, avant de se raviser…

Ce dédoublement qui traduit un déchirement  intérieur veut ainsi corriger ce qui lui semble une erreur…que son ego refuse aussitôt après, ajoutant au sentiment de malaise qui caractérise son règne : étant lui-même et son contraire, il exécute ses collaborateurs à un rythme jamais atteint dans un État qui se veut en construction et dont les soubassements ont été établis successivement par Senghor et Abdou Diouf. Dr Jekkil & Hyde ou Charybde et Scylla ? C’est selon, en fonction de la paire de lunettes du moment.

Cette ambivalence nous vaut aujourd’hui une curiosité sociologique qui fait del’homme un être déchiré, donc faible, se voulant précurseur d’une société qui se fait sans lui, dépassé qu’il est par la déstructuration-restructuration de populations asexuées dans leur reproduction en classes de plus en plus unifiées par la misère et la paupérisation accélérées par les crises alimentaires, économiques, morales.

Sous son magistère, le Sénégal vit ainsi l’une des plus grandes curiosités sociologiques du temps : un homme du sommet qui invite au dialogue sans être entendu, de larges franges de la société qui appellent une partie importante de l’opposition à se tenir debout et qui ne veut pas l’entendre : après la victoire surprise de Wade en 2007, les populations sénégalaises, sous diverses formes et divers endroits du pays, ont manifesté leur mal-vivre. Décidées à se faire entendre, elles ont élu malgré elle l’opposition significative en lui donnant mandat de jouer pleinement son rôle démocratique face au président de la République ; elles iront renforcer cette opposition en lui collant une partie de ses structures socio-politiques comme la société civile, les mouvements associatives et les autres induvidus de bonne volonté. Deçues par l’incapacité des hommes à s’entendre pour réguler les tensions, elles s’enfermeront probablement dans leur coquille avec le plus fort taux d’abstention jamais prévu pour la présidentielle de 2012.

Il faut alors savoir gré au président de la République dans cette tourmente(et c’est là son génie)  d’avoir cherché à assurer une certaine stabilité sociale en se déclarant candidat dès 2008 : ses appels à l’unité et au dialogue politique ayant échoué, il a voulu et cherché à imposer le silence dans les rangs de sa formation politique en recherche de rentes et de sinécures. Le pouvoir de Wade est en effet marqué par un curieux paradoxe : l’opposition refuse l’appel à l’unité lancé par des populations en désarroi depuis 2007, avec la réélection surprise du président sortant, cependant qu’elles refusent d’avaliser le vœu du président d’associer ses adversaires politiques à l’exercice du pouvoir.

Celui qui était la solution en 2000 ne saurait constituer, en conséquence, un problème irrésolu pour une société où il est entré dans la grande porte ; il est en effet certain que ses valses hésitations devant ses proches (la menace de démission) est une porte ouverte à une solution salutaire pour le Sénégal et à laquelle il tient, voulant laisser son nom à la postérité et à l’Histoire accélérée qui se fait au Sénégal.

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