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A Kaboul, dans la peur du crash bancaire

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Quatre mois après la prise de pouvoir des talibans, l’économie afghane est au bord du gouffre. Privées des fonds détenus hors d’Afghanistan, les banques n’ont plus d’argent liquide, la monnaie s’écroule, et Kaboul vit dans la peur de l’effondrement du système bancaire qui mettrait à genoux un pays déjà ruiné.

Sur le marché des changes, ils sont 200, serrés comme des sardines, sous une halle en plein air. C’est l’heure des enchères, billets à la main, et c’est à celui qui parle le plus fort. « Pas chers mes dollars, qui les veut mes dollars ? » En deux jours, la devise américaine a pris 5%. Et Saïd Jawad vient de faire une bonne affaire. « Aujourd’hui, j’ai vendu 20 000 dollars à 104 afghanis le dollar, et j’en ai acheté aussi à 103 et demi, que je suis en train de revendre pour me faire une marge. Tout ce qu’on s’échange ici, ce sont des dollars d’avant la crise, ce sont toujours les mêmes billets qu’on achète et qu’on revend en fonction des cours, mais on n’a rien de neuf puisque la Banque centrale n’a rien dans ses caisses. Et si les talibans ne commencent pas à contrôler les taux de change, on ne sait pas ce qui peut se passer. » 

C’est la panique à Kaboul. En quatre mois, l’afghani, la monnaie locale, a perdu un tiers de sa valeur, et le dollar fait plus que jamais office d’assurance-vie. Celui qui en trouve, résume le patron d’un petit bureau de change, devient le roi du pétrole. « Tout le monde cherche des dollars parce qu’il n’y en a plus sur le marché. Du coup, le prix du dollar grimpe tous les jours, c’est aussi simple que ça. C’est vrai qu’en ce moment les cours montent un peu partout dans le monde, mais chez nous ça explose, parce qu’on est ruinés depuis le changement de régime. La seule façon de calmer le jeu, c’est de libérer les fonds gelés par la communauté internationale ». 

Washington sourd aux réclamations des talibans 

Ces fonds, ce sont les actifs de la DAB, la Banque centrale d’Afghanistan. De l’or, du liquide et des bons du Trésor, pour un total d’environ neuf milliards de dollars, placés en grande partie aux États-Unis. Mais le 15 août, quand les talibans ont pris le pouvoir, les Américains ont dit non. Pas question de rendre cet argent à des terroristes. Et depuis, s’alarme Haji Zeerak, le directeur du marché des changes, le système bancaire glisse vers son point de rupture. « Les rumeurs n’arrêtent pas. On dit que certaines banques comme la Maiwand vont faire faillite, que c’est pour très bientôt. Mais pour vous donner un exemple, nous, en tant que marché des changes, on a plus de 10 millions de dollars placés à la Maiwand. Et je ne vous parle que de l’un de nos grands comptes… Il faut à tout prix que le nouveau régime évite le crash, sinon cela va tuer l’économie pour de bon. Pour l’instant, la seule chose qu’ils font, c’est de restreindre les retraits de liquide à la banque, maximum 400$ par semaine et par personne. Et pour les sociétés, maximum 5% de leurs capitaux ». 

Au guichet de l’Afghan United Bank, l’un des plus gros établissements du pays, le dilemme est impossible. D’un côté, il y a ces restrictions imposées par la Banque centrale pour éviter la crise de liquidité. Et de l’autre, tous ces clients, comme Ahmid Gulistani, qui cherchent à vider leur compte pour fuir l’Afghanistan. Au moment de la chute de Kaboul, cet homme d’une trentaine d’années était fonctionnaire, mais faute de ressources, les talibans n’ont conservé que 30% du personnel de son administration. Privé de salaire, il a dû faire appel à sa famille pour assurer sa survie et vient de récupérer à l’Afghan United Bank l’équivalent de 200 dollars via Moneygram, une plateforme de transfert de fonds. « La seule chose que je peux acheter, c’est de la nourriture pour manger et cet argent que je viens de retirer, il n’est même pas à moi, ça vient de l’un de mes frères qui vit à l’étranger. Je lui ai demandé de m’avancer le minimum vital. On n’a pas le choix. Plus personne ne fait confiance aux banques, elles ne sont pas fiables, regardez les mesures qu’elles prennent, on ne peut même pas retirer l’argent qu’on a sur nos comptes. La confiance est retombée à zéro. »  

Les banques sous presssion

Finalement, il n’y a qu’un seul optimiste dans tout ça, c’est le vice-président exécutif de l’Afghan United Bank, Mobin Ahmad Amin, qui nous reçoit entre deux rendez-vous à la Banque centrale. À l’entendre, l’économie afghane n’a rien à craindre et personne ne fera faillite. « Vous savez, il n’y a pas que l’argent liquide dans la vie des banques. Nous avons des avoirs à l’étranger chez nos partenaires qui peuvent toujours réaliser des virements, ce qui permet de maintenir notre activité. Notre plus gros défi, c’est que nous avons concédé des prêts à des entreprises qui avaient signé de gros contrats avec le gouvernement précédent. Le jour où les administrations pourront rouvrir, ces entreprises seront payées, elles rembourseront leurs échéances de prêt, l’argent reviendra dans nos caisses et nous pourrons faire face à la demande. »  

Quatre mois après la prise de pouvoir des talibans, alors que l’emploi a disparu et que les petits commerçants accusent jusqu’à 90% de pertes, ce discours semble surréaliste et laisse une question en suspens : combien de temps les Afghans vont-ils tenir ? 

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