A New York, les services spécialisés de l’hôpital Mount Sinai en voient toujours arriver de nouveaux : pompiers, policiers ou sauveteurs, ils ont été appelés à intervenir sur le lieu des attentats d’Al-Qaida, le 11 septembre 2001, ou s’étaient portés volontaires. D’autres, qui habitaient ou travaillaient dans le quartier, ont assisté de leur fenêtre aux sauts dans le vide d’occupants puis à l’effondrement des tours.
Tous viennent là et dans deux autres centres de la ville parce qu’ils restent obsédés par une image, une odeur, une vision, une peur diffuse et récurrente qui les submerge par moments ou hante leurs cauchemars, générant panique ou désespoir soudains, insomnies, etc.
Une équipe médico-psychologique les reçoit et, après examen, décide s’ils entrent ou non dans la catégorie du PTSD 9/11 : le post-traumatic stress disorder, trouble du stress post-traumatique subséquent au choc du 11-Septembre.
Leur prise en charge est désormais budgétée et encadrée par une loi signée le 2 janvier par Barack Obama. Dite « de santé et d’indemnisation », cette loi porte le nom de James Zadroga, premier policier dont le décès, le 5 janvier 2006, à 45 ans, a été officiellement reconnu comme dû à ses interventions à Ground Zero. Les troubles des personnes qui ont consulté sont chez certains apparus quasi immédiatement, chez d’autres des années plus tard.
Rien de neuf pour les spécialistes, habitués à travailler avec des anciens combattants ou des victimes de catastrophes naturelles. Mais la délimitation de ceux qui sont en droit de bénéficier d’une prise en charge spécifique PTSD 9/11 continue de faire l’objet de polémiques.
Comment, en effet, déterminer la part jouée par l’événement dans les manifestations du stress : a-t-il été déclencheur, révélateur ou accélérateur de problèmes préexistants ? Soucieux de préserver les finances publiques, le juriste néoconservateur Theodore Frank avait lancé, en 2008 : « Il ne faudrait pas que les contribuables finissent par payer les psychothérapies de Woody Allen et de la moitié de Manhattan. »
En fait, le nombre de ceux qui ont bénéficié d’un traitement particulier est estimé à un peu plus de 10 000, dont 3 600 sont toujours en psychothérapie. Ces chiffres ne tiennent pas compte de ceux qui se sont adressés à des médecins privés ou ont été suivis hors de New York.
Une première étude exhaustive portant sur cette population, réalisée par Yuval Neria, psychologue au département de psychiatrie de l’université Columbia, prend à rebrousse-poil un certain nombre d’idées reçues. Il constate, note Roxane Cohen Silver, du département de psychologie et de comportement social de l’université de Californie à Irvine, une plus grande « résilience » des personnes touchées de près par les attentats du 11-Septembre qu’on ne l’aurait imaginé : « Les trois quarts, dit-elle, n’ont développé aucun symptôme pouvant s’assimiler au PTSD. »
Plus globalement, les effets du 11-Septembre sur ceux qui l’ont vécu en direct sont jugés souvent « surestimés », indique la psychologue, qui a coordonné le numéro spécial d’American Psychologist dans lequel est publié cet article.
Elle indique deux données majeures qui ressortent de cinquante études différentes effectuées sur les populations ayant consulté après les attentats : d’une part, la propension à développer le PTSD tient beaucoup à un terreau symptomatique (anxiété, propensions dépressives…), sans que cela soit une règle constante ; de l’autre, les symptômes psychologiques constatés chez les témoins du 11-Septembre sont « très similaires » à ceux relevés chez les anciens combattants. Aucune étude comparative n’a cependant été réalisée incluant des traumatisés du 11-Septembre et des anciens combattants d’une guerre, celle d’Irak par exemple.
Une autre conclusion veut que la « libération de la parole » ne constitue que rarement un remède. Amener un patient intensément stressé à remémorer et « dire » son traumatisme s’avérerait plus susceptible d’accroître fortement son angoisse ou ses tendances dépressives. On notera que cette idée va dans le sens communément prisé aujourd’hui aux Etats-Unis, qui tend à restreindre ou annuler le travail psychologique lié à la parole.
La revue est publiée par l’Association des psychologues américains (APA), dont l’attitude a fait l’objet de vives critiques dans le passé, en particulier lorsque son bureau directeur a autorisé ses membres à participer à des « interrogatoires poussés » – des tortures – de prisonniers.
Cette décision a été abrogée en 2008 et l’APA a réécrit son code éthique en 2010. Une lecture de son numéro spécial 11-Septembre indique cependant que cette association s’inscrit toujours dans une conception « patriotique » de son action et du rôle de ses adhérents. Si un seul article traite directement de l’impact des attentats sur les victimes collatérales, la moitié des autres étudie des sujets peu usuels dans des revues de ce type.
Dans un texte intitulé « L’impact de la science psychologique sur les agences de sécurité nationale après le 11-Septembre », l’auteur, Susan Brandon, rappelle que « les psychologues ont été une partie intégrante des agences de sécurité nationale depuis la première guerre mondiale ».
Elle regrette que le 11-Septembre, bien qu’ayant « élevé la prise de conscience quant à l’importance du renseignement humain » dans les services de défense, n’ait pas permis d' »accroître significativement l’impact des psychologues sur les politiques et les pratiques des agences de sécurité « .
D’autres articles s’intitulent « La psychologie hors du laboratoire : le défi de l’extrémisme violent », « Réponses politiques des Américains au 11-Septembre : comprendre l’impact des attaques terroristes et de leurs suites », « Une gestion intelligente des agences de renseignement », etc.
Mme Silver s’étonne que l’on s’étonne. « La psychologie clinique, répond-elle, n’est qu’une division de la psychologie parmi énormément d’autres. Nous avons voulu étudier l’impact du 11-Septembre sur tout le spectre de nos activités, de la psychologie sociale au rôle de la psychologie dans les processus de décision politique. D’où la multiplicité d’articles sur des thèmes politiques et sécuritaires. »
Elle-même précise qu’elle « n’est pas une clinicienne » et rappelle qu’elle a été conseillère au département américain de la sécurité nationale. Dans ce numéro spécial, elle signe un article simplement titré : « A quoi s’attendre après la prochaine attaque ? »
Sylvain Cypel avec le monde.fr