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À propos de l’article de l’Obs sur « les longueurs moyennes de pénis en érection des hommes à travers le monde » du 28 août 2013.

Date:

Nous avons lu avec intérêt l’article paru dans le quotidien L’observateur du 28 août 2013 et intitulé « les longueurs moyennes de pénis en érection des hommes à travers le monde » et signé du journaliste Pape Sambaré Ndour. Nous avons été choqués non seulement par le contenu mais aussi par l’affichage en première page d’un tel texte.

Loin de nous l’idée de donner des leçons de journalisme à qui que ce soit ou même l’intention de remettre en cause la liberté éditoriale des journalistes. Cependant, nous pensons que la publication de ce texte montre à souhait comment la légèreté, le culte de la facilité et la quête à outrance de l’information sensationnelle, mettent à mal les chartes et valeurs que doit faire siennes tout journaliste scrupuleux. Cet article pose en effet problème pour plusieurs raisons.

D’abord, l’étude dont il prétend rendre compte n’est pas nouvelle. Elle date de plusieurs années et avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Pourquoi ce désir soudain pour un journal pourtant réputé sérieux, de déterrer sans les précautions d’usage, une vieille antienne, qui plus est, très controversée?

Ensuite, notre journaliste semble clairement ignorer les présupposés qui sous-tendent l’étude réalisée par le psychologue britannique, le Dr Richard Lynn. Ce professeur à l’université d’Ulster est connu dans le milieu académique comme étant un fieffé raciste. Il est actuel président du Pioneer Fund, un organisme suprématiste basé à New York et fondé en 1936 par le millionnaire Wickliffe Draper. Cet organisme a financé des chercheurs racistes tels que Arthur Jensen Eysenk, Richard Herrnstein et Charles Murray (les auteurs de l’ouvrage raciste The Bell curve), et a soutenu l’idée du physicien et prix Nobel William Shockley de payer toute femme africaine américaine qui accepterait de se faire stériliser.

Les méthodes du Dr Lynn sont très contestées. D’ailleurs l’étude dont il est question dans l’article de Pape Sambaré Ndour a été établie en récoltant les données d’une carte (The Penis Size Worldwide) trouvée sur le Web et considérées comme purement déclaratives. Plus grave encore, l’étude du Dr Lynn perpétue une longue tradition d’études et de propos tendant à inférioriser l’homme noir. Les mesures de pénis établies par Alfred Kinsey en 1948, les premières du genre qui tentèrent de confirmer le propos du médecin de l’antiquité Galien selon lequel le « nègre » a un « pénis démesurément long », participent de ces études controversées à prétention scientifique auxquelles fait référence le journaliste Serge Bilé dans son ouvrage, La légende du sexe surdimensionné des Noirs. Il en est de même de la Société d’anthropologie de Paris qui, la même année, publie également des mesures de la taille des pénis et en concluait que le pénis des « nègres » est plus volumineux, même si les auteurs ajoutent que c’est seulement à l’état de flaccidité, c’est-à-dire, de repos.

Cette Société d’anthropologie de Paris créée en 1859 et célèbre dans l’histoire pour ses méthodes critiquées tendant à animaliser le Noir, s’était, entre autres études, proposée par la personne de son fondateur Paul Broca (1824-1850) de mesurer le volume de cerveaux recueillis sur des cadavres. Broca arriva à la conclusion que les Blancs dolichocéphales (l’avant de la tête domine) sont supérieurs aux Noirs brachycéphales (l’arrière de la tête domine). Broca ajoutait qu’en plus de la brachycéphalie, les Noirs présentaient un prognathisme, c’est-à-dire, une saillie en avant des os maxillaires qui les plaçaient au bas de l’échelle des « races », au sommet de laquelle trône les Blancs orthognathes, c’est-à-dire, à la mâchoire droite. D’ailleurs, certaines expressions utilisées dans la langue française, ont pour origine ces études : « arborer un grand front d’intellectuel », « présenter un front bas et buté », etc.

Le grand intellectuel haïtien Anténor Firmin (1850-1911), qui a intégré cette Société d’anthropologie de Paris après moult péripéties, répliqua à ses collègues avec son magistral ouvrage, De l’égalité des races humaines dans lequel il écrivit ces lignes : « En y réfléchissant, peut-être bien des savants européens, convaincus jusqu’ici de la supériorité de leur sang, seront-ils surpris de constater qu’ils ont été le jouet d’une méchante illusion. La situation actuelle des choses, les mythes, et les légendes dont on a bercé leur enfance et qui ont présidé à la première éclosion de leur pensée, les traditions dont leur a été continuellement nourrie, tous les entraînent invinciblement à une doctrine, à une croyance que les apparences semblent si bien justifier »

Pour les pseudo-scientifiques racistes, animaliser le « nègre est une façon de l’inférioriser et de lui dénier ses capacités cognitives. Il y en a même parmi eux qui ont poussé la différence jusqu’à trouver que le « sang des nègres était beaucoup plus noir que celui des blancs » (Georges Buffon dans son Histoire naturelle, 18e siècle). Le chirurgien français Alfred Velpeau (1795-1867) faisait croire que  « la chair du Noir n’est pas celle du Blanc, sa chair est autre ».  Le comble du ridicule a été atteint par le naturaliste Bory de Saint-Vincent (1778-1846) qui affirma que le « pou du noir est différent du pou du blanc »!

Ce n’est pas un hasard aujourd’hui si les pseudo-scientifiques qui prétendent étudier le QI (quotient intellectuel) et défavorisent les Noirs dans les résultats obtenus, s’intéressent également aux mesures sur la taille du pénis. À la différence de QI, le pseudo-scientifique conclut que les Noirs sont inférieurs. Mais son hypocrisie mise à nu, montre qu’il ira même jusqu’à réfuter pour d’autres groupes, les mêmes conclusions qu’il tire sur les Noirs. Dans les années 70 en effet, certaines études faisaient état d’une supériorité au QI de 11 points des Japonais par rapport aux Américains, mais curieusement, il ne s’est pas trouvé un seul scientifique pour conclure à une différence génétique! Les auteurs de l’étude sont plutôt allés chercher les raisons dans les différences de systèmes éducatifs!

Un collègue de Richard Lynn, le psychologue anglais établi au Canada, J. Philippe Rushton, enseignant à la University of Western Ontario et ancien président du Pioneer Fund, écrit dans son ouvrage Race, Evolution and Behavior publié en 1995, que les trois principaux groupes raciaux (mongol, nègre et caucasien) que son étude fait ressortir, ont une même origine commune mais qu’ils sont apparus à des moments différents. Les Noirs sont apparus en premier, suivis des Caucasiens (les Blanc) et des Orientaux. Il avance ensuite la thèse selon laquelle plus un groupe est âgé plus il est fertile, a de plus gros organes génitaux, une plus faible grosseur du cerveau (et donc de moindres performances aux tests du quotient intellectuel), un plus fort taux de criminalité, etc. Le groupe mongoloïde étant le moins âgé, possède toutes les caractéristiques contraires à celles des Noirs. En 2000, Rushton récidiva en envoyant un condensé de son ouvrage à des professeurs de psychologie, de sociologie, d’anthropologie, etc., triés sur le volet au Canada. Il fut toutefois désavoué par la plupart de ses collègues, parmi lesquels on pouvait noter les anthropologues Hermann Helmuth de la Trent University, Kenneth Little de York University et Chris Ellis de la University of Western Ontario qui tenaient son travail pour de la pure propagande raciste.

Ce que notre journaliste doit savoir, c’est que pour le raciste, décrire le « nègre » avec un petit sexe, c’est le considérer comme un homme normal. Un « nègre » avec un petit sexe est un être qui pense, et un « nègre » qui pense déroute et détruit les illusions du raciste. Il faut donc esthétiser le « nègre », le « raciser » et faire en sorte que ses traits renvoient à la symbolique de l’animalité. Le raciste tire par exemple très vite sur les performances sportives, la preuve que le Noir est plus proche que le Blanc de l’animalité.

En prenant enfin pour argent comptant l’étude de Richard Lynn, le journaliste Pape Sambaré Ndour, non seulement déshonore toute la profession, mais contribue à donner de la visibilité à de vieux poncifs du racisme scientifique. Le Dr Richard Lynn doit bien rire sous cape, lui qui bénéficie d’une publicité gratuite de la part de ceux-là mêmes qu’il offense.

L’article de notre journaliste est un manquement grave à l’éthique et à la déontologie journalistique qui doivent gouverner le travail de tout professionnel dans le domaine. Un minimum de rigueur aurait conduit la rédaction de l’Obs à vérifier ses sources et examiner les intentions qui se cachent derrière cette pseudo-étude qui se pare d’oripeaux scientifiques.

Il nous faut donc rappeler à notre journaliste qu’il est tombé dans la facilité pratique en se contentant de répéter machinalement ce que d’autres ont dit ou écrit. Il n’a pas fait preuve de vigilance et il lui a manqué ce vrai sens de la profondeur qui fait qu’il est resté, pour ce cas précis, un adepte des vaines chimères de la superficialité.

Le rôle du journaliste est plus qu’important dans la société, mais le public a droit à l’information bonne et utile. Pour s’assurer d’une efficacité à toute épreuve, le journaliste doit trouver le bon équilibre entre, d’une part, le besoin d’informer et, d’autre part, la rigueur et l’esprit critique qui doivent guider toute son action.

Montréal, le 31 août 2013

Par :

Pape Kanté

Salif Kandé

Djibril Diallo Picaro

Khadim Ndiaye

Contact : [email protected]

9 Commentaires

  1. Merci d’être notre porte-voix et de vitupérer la légèreté avec laquelle certains journalistes utilisent leur médium. J’ignorais qui était l’auteur de cette étude pseudo-scientifique mais je refusais de lier la longueur du sexe à la race comme si cela était une condition indispensable au plaisir ou à la procréation. Je pense qu’on devrait s’intéresser aux scientifiques noirs et à leurs travaux plutôt que de nous faire retourner dans les tréfonds des sombres idées racistes des siècles passés.

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