Le deuxième vice président de l’Assemblée nationale, Abdou Fall a abordé, en invité de la rédaction de la Gazette, la question de la succession au Sénégal. De son avis, le Président Wade ne doit pas faire pire que ses prédécesseurs, Senghor et Diouf. Il trouve que l’actuel chef de l’Etat doit arbitrer le débat de fond au sein de la majorité sur cette question majeure. Dans cette première partie de l’entretien, il revient également sur les réformes hospitalières et les maux qui gangrènent le secteur de la santé.
Le rapport de la Dpee (Direction de la prévision et des études économiques) indique que si l’on y prend garde on va au bord du gouffre. Cela ne vous inquiète pas en tant que membre du régime ?
J’avoue que cette déclaration m’a surpris car je n’en vois pas le bien fondé. Cela m’a paru curieux si l’on se rappelle que le point de départ était la dette intérieure de l’Etat et les conséquences qui en ont découlé dans un secteur comme le BTP. Le Sénégal, devant faire face à une crise pétrolière, financière et alimentaire qui n’a épargné presque aucun pays, riche comme pauvre, a opté pour une politique volontariste de subvention pour en juguler au mieux les effets sur les ménages. C’est de là qu’est partie la dette, et une fois les mesures de sauvegarde consolidées, l’intégralité de cette dette a pu être apurée avec le concours de pays comme la France, et par des moyens de réajustements internes avec le soutien du FMI et des places financières. Je pense que politiquement et socialement, le gouvernement du Sénégal a fait ce qu’il fallait faire.
Et cette pléthore d’institutions plutôt budgétivores tel que le Sénat dont le Président Wade, lui même, a toujours réclamé la dissolution lorsqu’il était dans l’opposition.
Le débat de fond qu’il est intéressant de soulever à ce niveau, c’est moins celui de l’organe que le débat sur la fonction. Un organe se juge par la qualité de la fonction qu’il accomplit. Le Sénat remplit une double fonction : une fonction de seconde chambre mais il constitue par ailleurs un organe de régulation sociale et politique. Il peut arriver que le libre jeu de la démocratie écarte des instances de pouvoir ou entraine une sous représentation de communautés, de groupes socioprofessionnels, etc. C’est pourquoi dans certains pays, y compris en Occident, la latitude est laissée au chef de l’Exécutif de procéder à la cooptation dans une institution comme le Sénat de personnalités représentatives de ces groupes. Dans certains pays le chef de l’Exécutif a la liberté de coopter l’ensemble des membres du Sénat. Nous avons, au Sénégal, tempéré en combinant et en croisant trois paramètres : le suffrage indirect, la composante genre et la cooptation. C’est ce débat qui importe à mes yeux.
Le débat sur la transparence dans la gestion des dépenses publiques continue d’agiter le pays. D’énormes fautes de gestion ne sont pas sanctionnées. N’est-ce pas grave pour notre pays ?
Nous sommes dans un contexte de démocratie d’opinion caractérisée par une sur-médiatisation des problèmes de gestion. Ce qui est salutaire à mon avis. Les exigences citoyennes en matière d’éthique, de gestion et de transparence ne sont à mon avis jamais trop contraignantes. Il faut cependant savoir donner dans la mesure et éviter de nous autoproclamer procureur en lieu et place de ceux qui sont outillés pour accomplir cette mission. L’opposition doit assumer sa fonction critique, la société civile et les médiats leur fonction de vigie et d’alerte, les parlementaires leur mission d’interpellation et de contrôle. Une fois ces fonctions remplies, la posture saine, démocratique et républicaine est celle de laisser les organes de contrôle faire leur travail et les juridictions compétentes, exercer leur magistère dans la sérénité. Le cadre ainsi posé, il sera loisible à chacun d’assumer les responsabilités qui sont les siennes dans le strict respect des règles de l’Etat de droit. Tout cela pour dire que j’approuve et je soutiens fortement le souci de transparence, mais que personne ne compte sur moi pour jouer le procureur.
Pourtant votre régime est fortement enclin à sanctionner lorsqu’il s’agit de ce que vous considérez comme des fautes politiques : l’exemple de Macky Sall entre autres.
Vous vous êtes certainement rendus compte que je ne suis pas porté à engager des débats de type crypto-personnels car au delà des personnes, ce qu’il y a de fondamental à cerner, c’est l’origine des crises à répétition que nous avons traversées ces dernières années. Avec Idrissa Seck d’abord, Macky Sall, ensuite, qui ont eu tous les deux à exercer globalement le même type de responsabilité dans l’Etat et au sein du parti, et dont les départs ont débouché sur des crises ayant entrainé de fortes convulsions au sein des institutions. Dans les deux cas, à partir de postures fortes dans l’appareil d’Etat et du parti, l’un et l’autre ont affiché des ambitions successorales. Un phénomène similaire s’est développé dans nos rangs avec l’ambition assumée par les partisans de Karim Wade de vouloir faire de lui aussi un candidat à la succession.
Tout en reconnaissant à chacun le droit d’afficher des ambitions, ce qui me gène, c’est ce que je considère, dans notre camp, comme une obstination à vouloir se voiler la face en faisant semblant d’occulter un débat qui manifestement s’impose à nous. Je pense qu’autant personne ne conteste le leadership politique du Président Wade, ni sa candidature proclamée, autant l’histoire met à l’ordre du jour l’exigence du débat sur l’équipe de relève capable de l’accompagner dans la poursuite de sa mission à la tête du pays ainsi que l’autre exigence d’offrir aux Sénégalais une perspective claire de transition ordonnée le jour où il décidera de se retirer. Le Président Senghor l’a réussie par les moyens de l’article 35 de la Constitution de l’époque quoiqu’on puisse penser au demeurant, de la justesse de la voie suivie. Le Président Diouf a joué la carte du dauphinat avec Tanor, ce qu’il n’a pas réussi et qui a contribué à sa défaite en 2000 car il l’a entrepris sans l’aval de son parti. Mais il a eu le mérite et le génie politique de reconnaître dignement sa défaite et de quitter le pouvoir avec panache. Ma conviction est que le Président Wade a les moyens de faire mieux et plus en ouvrant et en arbitrant un débat de fond dans notre parti et au sein de notre majorité sur cette question fondamentale.
Vous avez dit récemment que votre mission à Thiès est terminée même si c’est sur un constat d’échec. Quel est alors aujourd’hui le point de chute de Abdou FALL ?
Il est évident que je suis à Thiès, et que j’y reste. Mais, entendons-nous bien sur les termes de ma mission à Thiès. Thiès a été un bastion historique du Pds qui a joué un rôle capital dans la lutte pour l’alternance. Suite au différend qui a opposé le parti (Le PDS) à Idrissa Seck et à ses partisans, ce dernier a bénéficié d’un soutien massif des populations thiessoises. C’est dans ces conditions que le Président Wade m’a confié la responsabilité de gérer ce qui restait du parti dans le contexte d’une ville minée et verrouillée quasiment en état de défiance vis à vis du régime. Maintenant que le Président Wade et Idrissa Seck sont parvenus à surmonter les divergences qui les ont opposés, il est de mon devoir et de ma responsabilité d’organiser, en ma qualité de superviseur politique du Pds, les meilleures conditions de rassemblement de notre famille politique, dans la perspective des échéances électorales à venir. Idrissa Seck est sorti second lors de l’élection présidentielle passée. Avec son retour dans nos rangs, la région de Thiès offre aujourd’hui au PDS une base électorale hégémonique que nous n’avons dans aucune autre région du pays. Personne ne peut dès lors m’entrainer dans une logique de nature à saper les bases de cet acquis fondamental de notre région pour le compte de notre parti et de notre candidat.
Vous avez été Ministre de la santé à deux reprises, qu’est ce qui est à l’origine du blocage de la réforme hospitalière ?
La réforme n’est pas bloquée. Elle se poursuit, et comme toute réforme, elle se cherche quelque part. Les acquis de la réforme : autonomie de gestion, élaboration de projets d’établissement, responsabilisation accrue des acteurs du système etc.… Sur la santé, je pense qu’il y a lieu d’être juste. Et être juste en la matière, c’est porter un regard sur le système dans son ensemble en distinguant le sous- système de santé publique du sous-système hospitalier. Le Sénégal est un des pays d’Afrique subsaharienne les plus performants en matière de politique de santé publique. De la case de santé villageoise au centre de santé de district, nous avons construit un système pyramidal qui prend en charge avec efficacité la lutte contre les maladies transmissibles en particulier. C’est ainsi que sur le paludisme, la tuberculose, le VIH, etc. Nos indicateurs sont parmi les meilleurs du continent.
Nous disposons de programmes élaborés, de moyens planifiés à partir principalement d’efforts budgétaires substantiels de l’Etat avec le soutien des partenaires au développement. C’est par contre au niveau des maladies chroniques (cancer, diabète, maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale, etc.) qui sont des maladies lourdes, handicapantes et ruineuses que la coopération internationale est quasiment absente. Ces pathologies qui sont, pour l’essentiel, prises en charge par les hôpitaux n’ont commencé à bénéficier d’un soutien direct réel de l’Etat qu’après l’alternance politique survenue au Sénégal à travers une politique volontariste de subvention qui a commencé déjà à se concrétiser en 2001 lorsque le Président Wade a décidé la gratuité du traitement des malades du VIH. Ce sont ces pathologies lourdes et les urgences médicales (accident de la circulation, traumatismes graves, grands brûlés) prises en charge par l’hôpital qui sont sources des difficultés majeures du système. L’hôpital, en dépit de la réforme, continue de ployer sous trois principales contraintes : insolvabilité de la demande, poids des effectifs dans les charges de gestion, insuffisance de l’appui au diagnostic.
Dans la répartition des charges de santé, l’appui au diagnostic (biologie, imagerie médicale : radiologie, scanner, IRM, etc.) qui constituent les charges les plus lourdes pour les ménages. Or cette activité est pour l’essentiel réalisée en dehors de l’hôpital. Malgré les efforts de l’Etat en matière d’appui en équipement des services hospitaliers, cette activité est pour l’essentiel l’apanage du secteur privé dont il faut saluer le rôle et la place importante dans notre système de santé. Les charges du personnel pèsent par ailleurs lourdement sur les budgets des hôpitaux. Autant la réforme a permis un accroissement notable des recettes, autant elle peine encore à garantir une répartition équilibrée des recettes entre le personnel et l’outil de production. Il est urgent qu’à travers un dialogue constructif, autorités sanitaires du pays, administrations des hôpitaux, professionnels du secteur et organisations de travailleurs s’accordent sur une politique d’investissement interne qui mobilise davantage les recettes des hôpitaux dans l’amélioration et le relèvement du plateau technique. Les efforts colossaux réalisés par l’Etat en matière de valorisation matérielle et financière des professionnels de la santé publique, des médecins aux paramédicaux, autorisent la sollicitation par l’Etat d’une trêve sociale dans ce secteur stratégique de notre politique de développement.
La troisième contrainte majeure qui pèse sur l’hôpital c’est une demande de soins massive et insolvable du fait de la faiblesse de notre taux de couverture sociale qui est de moins de 20%. Autrement dit plus de 80% des Sénégalais ne bénéficient pas d’une couverture sociale, ce qui entraîne une charge sociale trop lourde pour les individus et les ménages. C’est pourquoi je suis heureux de constater que l’actuelle équipe dirigée par le frère Modou Diagne Fada est engagée résolument dans la prise en charge de l’approfondissement de la réforme hospitalière dans ces trois domaines fondamentaux. Et dans cette optique, la mise en place d’un système d’assurance maladie universelle constitue une sur-priorité.
Et comment expliquez-vous la résurgence au Sénégal de maladies comme la poliomyélite qu’on pensait avoir éradiquée ?
Vous évoquez là un problème de fond intéressant à un double point de vue. Le Président Wade a placé notre politique de santé sous le signe de la prévention, de la promotion de la santé, et de la gestion du capital-santé, car, comme il aime à le répéter « la course contre la cure est une course perdue d’avance ». L’enjeu majeur de notre politique de santé est avant tout de protéger et de préserver notre capital-santé. Or la vaccination constitue le premier acte de prévention. C’est pourquoi les campagnes vaccinales sont de grands moments de mobilisation sociale, et de ce point de vue, nos résultats sont excellents. Mais l’autre aspect de la question que vous soulevez nous renvoie à une contrainte majeure. Les microbes et les virus ne connaissent pas les frontières. Et quels que soient nos résultats nationaux, si les activités dans ce domaine ne sont pas intégrées dans une démarche sous-régionale concertée, ces efforts risquent d’être anéantis. Dans le cas de la poliomyélite le Sénégal a effectivement reçu de l’Oms une certification de l’éradication.
Mais sachez qu’un grand pays de la sous région, le Nigeria, a constitué un grand foyer de recrudescence car le pays était traversé par une polémique particulièrement violente en raison de soupçons de stérilisation des populations qui serait cachée derrière les campagnes de vaccination. Les autorités sanitaires africaines ont dû à l’époque recourir aux services du regretté Imam Assane Cissé de Kaolack pour user de son influence auprès des populations afin de restaurer la confiance entre celles-ci et les autorités sanitaires du pays. Tout cela remet sur la table l’enjeu de l’intégration et de l’unité du continent.
Comment expliquez-vous l’augmentation des dépenses publiques dans des domaines non prioritaires comme le téléphone qui nous coûte 15 milliards, 12 milliards pour la location d’avions. Avons-nous les chances de nous en sortir dans ces conditions ?
A priori, j’attends qu’il soit prouvé que les montants que vous avancez correspondent effectivement aux montants réels. N’étant pas documenté en l’état pour être précis, je m’en tiens à une position de doctrine tout en vous rappelant que notre budget s’élève cette année à 1800 milliards. J’ai parcouru les dossiers de votre magazine sur les dépenses publiques et sur les chancelleries par exemple. Je recommande vivement la prudence sur ces questions. Tout en souhaitant l’émergence d’une diplomatie africaine qui nous permettrait de rationaliser et d’optimiser les dépenses y afférents, je suis de ceux qui pensent que notre pays n’investira jamais trop dans sa diplomatie. N’oublions jamais que nous sommes un peuple de grands migrants.
L’équivalent du quart de la population du Sénégal vit à l’étranger. Nous sommes présents partout dans le monde et parfois en communauté importante et remarquable. Devant une telle situation, le Sénégal a le devoir de promouvoir une diplomatie active pour que la paix, la sécurité et les intérêts de nos concitoyens soient préservés dans leur pays d’accueil.
L’autre question à se poser, c’est moins ce que l’on investit que ce que cela nous rapporte. Le Sénégal tire un énorme profit de la coopération internationale, bilatérale et multilatérale. Etre regardant sur nos dépenses oui. Mai si ce qu’on y gagne permet de justifier ces dépenses, je ne vois pas pourquoi on les considérerait comme excessives.
lagazette.sn
Analyse politique très pertinente. aujourd’hui la question prioritaire au PDS demeure celle de la succession qui comme tu l’as si bien dit doit être tranchée à l’issu d’un débat fécond entre acteurs et arbitrée par le président lui même.
Sur le système sanitaire notamment la politique hospitalière et les questions de santé publique, l’anlyse est juste et exaustive
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