Mamadou Diop, ancien maire de Dakar, Alassane Dialy Ndiaye, ancien ministre de la Pêche et Abdoulaye Makhar Diop, ancien ministre de la Modernisation de l’Etat, sous le régime du Président Abdou Diouf, tous Socialistes, ont fini par rejoindre la mangeoire libérale. Entre leur posture ancienne et les convictions qu’ils abattent aujourd’hui comme des cartes, ils auraient peut-être préféré l’amnésie collective, chacun d’entre eux, déterrant, maintenant qu’il est du côté de la cognée, ses vieilles relations avec le Président Wade. Mais, leur passé est toujours présent…
Abdoulaye Makhtar Diop, ministre d’État, ministre de la Fonction publique : Maître du grand écart
Au hit parade du grand écart, Abdoulaye Makhtar Diop remporterait sans doute la timbale. «Accepter de siéger dans le gouvernement ne veut pas dire aimer le pouvoir. Cela signifie que j’aime mon pays», a déclaré le nouveau ministre de la Fonction publique, lors de la passation de services avec Diakaria Diaw. Pui d’ajoute : «Nous connaissons tous le contexte difficile que traverse notre pays et les pays de la sous-région. A ce titre, tout le monde doit s’engager pour redresser la situation. Moi, en ce qui me concerne, je m’engage.» Qui l’eût cru ? Cet ancien cacique du régime socialiste a manœuvré et a gagné. En effet, l’homme jouait sur deux tableaux. Pendant qu’il donnait l’impression de n’être pas obnubilé par les lambris du pouvoir, l’ex-ministre du Sport sous Abdou Diouf n’a cessé de faire des appels du pied au président de la République. Dans un entretien accordé à notre confrère, Babacar Fall, de la Rfm, M. Diop confesse : «Sur les grandes questions qui intéressent la Nation, je m’approchais du Président pour lui donner mon point de vue.» Une démarche activiste qui, au bout de dix ans, a fini par payer. Abdoulaye Makhtar Diop rejoint ses anciens camarades socialistes, Djibo Kâ, Adama Sall, Sada Ndiaye, Alassane Dialy Ndiaye, Mamadou Diop, Mbaye Jacques Diop ; au festin libéral. Pourtant, c’est le même Abdoulaye Makhtar Diop qui avait exclu toute idée d’entrer dans le gouvernement à quelques encablures des prochaines joutes électorales de 2012. «Je ne vois pas ce que je ferai dans le gouvernement de Wade, à 11 mois de la Présidentielle. Je ne vois pas pourquoi devrai-je suivre Mamadou Diop et Alassane Dialy Ndiaye dans un gouvernement», avait-il déclaré dans l’émission Point de vue. Puis de jurer : «Je ne serai jamais un porteur de voix. Si je dois entrer dans le gouvernement, ce sera dans le cadre d’une alliance autour d’un programme.» Ses diatribes à l’endroit du régime ne laissaient personne placide. Sa connaissance de l’Etat faisait de lui un adversaire (?) redoutable.
On se souvient encore de sa phrase assassine à l’endroit du ministre chargé des Collectivités locales, lorsque le président de la République avait décidé d’ouvrir une information judiciaire par rapport au projet d’acquisition de terrains par le maire de Dakar, Khalifa Sall. «Aliou Sow se trompe d’époque», avait-il déclaré lors de l’émission Grand Jury. L’ancien ministre de la Modernisation était d’autant plus indigné qu’«aucune de ces personnalités n’a eu le tact, l’intelligence, le courage, surtout de suggérer au Président que cette idée n’est pas bonne». Ce qui «ne se serait jamais passé sous le régime de Diouf (Abdou)», selon lui. Alors, qu’est-ce qui a poussé le leader des Socialistes unis pour la renaissance du Sénégal (Surs) à tourner casaque ? En tout cas, les signes d’un rapprochement entre lui et Wade étaient perceptibles depuis quelque temps. Ses positions concernant le président de la République étaient moins critiques. D’abord, sur la candidature controversée de ce dernier, l’ancien directeur de la Sonees, sous le régime socialiste, avait essayé de briser l’élan de l’opposition en cas de saisine du Conseil constitutionnel. «Les arguments juridiques tiennent, dit-il, mais le Conseil constitutionnel n’en tiendra pas compte. Il va se déclarer incompétent.» En effet, interprète M. Diop, l’institution dirigée par Cheikh Tidiane Diakhaté, «vérifie l’âge des candidats, leur nationalité, leur situation avec le fisc et la caution. Il va valider la candidature de Me Wade». La stratégie de séduction étant déroulée, il ne lui restait qu’à exprimer sa disponibilité «à travailler pour le Sénégal», lors de la cérémonie de présentation des condoléances, suite à la disparition de sa mère. Un message que Me Wade a su décrypter en faisant de l’ancien maire de Dakar-Plateau, ministre de la Fonction publique. Reste à savoir la posture qu’aura désormais Abdoulaye Makhtar Diop au sein du Conseil municipal de Dakar dominé par la coalition Bennoo qui ne manquera pas de le regarder d’un œil méfiant. Normal.
Alassane Daly Ndiaye, ministre d’État chargé des Connectivités : Le nouveau Dialy de Wade
La volte-face de l’homme est tout simplement renversante. Alassane Daly Ndiaye, actuel ministre d’Etat, ministre des Connectivités, devra forcément expliquer à la jeune génération ce hiatus entre son discours moralisateur d’antan et son attitude d’aujourd’hui. Se confiant au journal Le Quotidien, en décembre 2006, l’ancien cacique du régime socialiste déclarait ceci : «On en voit certains faire des louanges absolument dithyrambiques à quelqu’un pour dire ensuite qu’il est la pire des personnes ou l’inverse.» Puis de s’interroger : «Comment voulez-vous que les jeunes s’y retrouvent, si on leur dit que celui-là est un dirigeant de tel ou tel parti politique et qu’il change d’opinions comme il change de chemises ?» Par conséquent, l’ancien ministre des Télécommunications, excluait toute entrée dans le gouvernement de Wade bien qu’étant son «ami». «Je l’(Wade) ai connu avant le Président Diouf. J’ai très longuement entretenu des relations personnelles avec lui, mais nous ne partageons pas le même idéal.» Avant de poursuivre : «Vu ces relations-là, j’avais un excellent prétexte pour retourner ma veste (…) Et si je l’avais retournée, d’autres auraient dit que c’est presque normal, vu les relations que nous avons. Mais je ne change pas comme ça moi.»
En effet, M. Ndiaye estimait qu’«on a dans ce pays une attitude particulière vis-à-vis du pouvoir politique parce que tout simplement les 99,99% sont intéressés par les attributs». Et, lui, se voulait une exception à cette règle. Mais, quatre ans plus tard, Alassane Daly Ndiaye renie ses principes. Chanter les louanges de Wade et invoquer sa longue «amitié» avec ce dernier, telle est la nouvelle posture du ministre des Connectivités. «Nous nous sommes appréciés et depuis de longues années, nous avons l’habitude de réfléchir sur de grands problèmes auxquels fait face le monde et particulièrement le Sénégal(…) Et au fil des années, nous avons développé une certaine complicité intellectuelle.» Puis d’ajouter : «A l’époque, il m’avait proposé de créer ce parti avec lui. Mais, j’étais déjà extrêmement chargé(…) Je lui avais dit à l’époque que mon esprit était assez occupé par des problèmes d’avenir.»
Après 50 années de compagnonnage avec le Parti socialiste, l’homme rejoint enfin son «ami» au Pds. Comme si de rien n’était. Alassane Daly Ndiaye poussera le bouchon plus loin, lorsqu’il déclare lors du Comité directeur n’avoir jamais vu un parti aussi démocratique que le Pds. En vérité, l’homme n’a pas pu supporter la longue traversée du désert qu’il a entamée depuis que le Parti socialise a été congédié dans l’opposition en mars 2000. A la différence de ses autres camarades qui ont pu créer un parti, en guise de marchandise politique, Alassane Daly Ndiaye n’a pu que troquer ses «convictions», son combat pour «un idéal» en Dialy (griot en Wolof) du Président Wade.
Mamadou Diop, ministre d’État chargÉ de la Provincialisation : Il était une fois le coup… Olympique
Sa promotion n’aura pas surpris les observateurs avertis. En effet, Mamadou Diop arpentait les marches du palais de la République en plein jour, quand ses camarades y passaient par des portes dérobées. Depuis son départ du Parti socialiste (Ps), le leader du Bloc pour la démocratie et la solidarité (Bds) multipliait les contacts avec Wade avec qui il entretient, dit-il, une vieille relation. «Depuis l’université, confie-t-il dans le dernier numéro de Weekend magazine. Il y était comme enseignant. Je l’ai rencontré là-bas.» Ils se retrouveront, en 1984, dans un contexte électoral. «A un moment donné, se souvient le ministre chargé de la Provincialisation, il a été candidat à la mairie de Dakar. Et nous nous sommes affrontés. Mais par la force des choses, j’ai compris que c’est un homme sur qui on peut compter pour le développement du Sénégal.» Ah bon ? Pourquoi alors n’avoir pas rejoint le Pds à l’époque puisqu’ayant le même idéal ? Nicolas Machiavel avait raison de servir cette citation dans Le Prince : «Celui qui pense que chez les grands personnages, les nouveaux bénéfices font oublier les vieilles injures, il abuse.» En effet, il est très commode aujourd’hui, de la part du «dernier Mohican» du Ps, de revendiquer une vieille amitié avec Wade après l’avoir assimilé à Dieu, le pire, pour reprendre le tire de l’ouvrage du confrère Ibou Fall. On se rappelle encore de ses vociférations, après la dissolution du Conseil municipal en 2002. Tel un coup de massue sur la tête, l’ancien magistrat était surpris de voir le «fromage» de la mairie lui être retiré de la bouche. Encore moins se préparer à être déloger de son logement de fonction et de son bureau sis au building communal. «J’irai demain dans mon bureau jusqu’à ce qu’ils (les gens du pouvoir) viennent me déloger», défie-t-il à l’époque. On se rappelle également, la même année, l’épisode de l’inauguration de la Piscine olympique. Mamadou Diop avait alors devancé le Président Wade pour inaugurer ce joyau construit quand il était maire socialiste. Une manière de refuser l’usurpation de cette réalisation par Wade.
Plus tard, l’ancien ministre de Senghor ouvrira, avec ses anciens amis Socialistes, Robert Sagna, Souty Touré, une fronde au sein de son parti, sous la forme d’un courant dénommé Démocratie et Solidarité. Ce que certains interprétaient comme une volonté de partage du «butin que Abdou Diouf» leur aurait légué avant de quitter le pouvoir. De guerre lasse, les animateurs dudit courant ont finalement décidé de quitter la barque socialiste. Et le ministre de la Provincialisation semble l’avouer en filigrane. «C’est pour des raisons personnelles que je suis parti (du Ps), dit-il dans Weekend magazine. Je ne renie pas le Ps, c’est la direction que je ne partage plus.» Dieu reconnaîtra les siens. Wade aussi, peut-être.
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