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Abdoulaye makhtar Diop sur les audits de l’Armp «Un ministère n’a pas vocation à acheter des cuillères et des tapis de prière»

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Abdoulaye Makhtar Diop, le patron des Socialistes unis pour la renaissance du Sénégal (Surs), est aussi un administrateur civil. En tant qu’homme politique connaissant les rouages de l’administration sénégalaise et du management des collectivités locales, il jette un regard critique, mais avisé sur les récents résultats des audits commandés par l’Armp

Abdoulaye Makhtar Diop, le patron des Socialistes unis pour la renaissance du Sénégal (Surs), est aussi un administrateur civil. En tant qu’homme politique connaissant les rouages de l’administration sénégalaise et du management des collectivités locales, il jette un regard critique, mais avisé sur les récents résultats des audits commandés par l’Agence de régulation des marchés publics qui ont épinglés la gestion de près de 72 ministères, agences et municipalités. Abdoulaye Makhtar Diop est effaré face à tant de désinvoltures dans la gestion des deniers de l’Etat, depuis l’alternance en 2000.

Propos recueillis par Daouda GBAYA – [email protected]

Quel commentaire vous faites du rapport d’audit controversé de l’Armp 2009 épinglant de hautes personnalités de l’Etat ?
Il ne devrait pas y avoir, en principe, de controverses publiques autour du rapport de l’Armp. La règle est que les personnalités qui dirigent ces sociétés concernées doivent répondre pour que les synthèses soient faites. Si toutes les règles des procédures sont respectées, il ne devrait y avoir aucune contestation. Les constats faits par les auditeurs corroborent les fautes qui ont été commises. Je ne vois pas pourquoi les gens diraient que Habib Sy n’a pas fauté, que l’Adpme a fait une bonne gestion et les autres ont fait une mauvaise gestion. Les cabinets qui ont fait ce travail sont indépendants de l’Etat. C’aurait été le contrôle financier, l’Inspection générale de l’Etat, on aurait pu penser que c’est le bras armé de quelques personnalités de l’Etat ; ce n’est pas le cas.
Il faut tirer toutes les leçons de ces audits et véritablement, prendre les mesures qui conviennent.
La lecture que j’ai de ces rapports, c’est véritablement la désinvolture avec laquelle les gens gèrent les deniers de l’Etat et le niveau de complicité avec les entreprises et les prestataires de services. C’est une lecture d’un homme qui a la formation au contrôle des affaires de l’Etat, en tant qu’administrateur civil.
Donc, il y a une désinvolture, une légèreté, un laisser-aller, à la limite, du je-m’en-foutisme, parce que je ne comprends pas qu’un responsable puisse faire des choses de cette nature. L’autre chose, c’est le cadre institutionnel même qui organise ces passations de marchés. Le président de la République doit tirer l’enseignement suivant : on ne peut pas, sous le prétexte de la diligence et de l’urgence, ramener des décisions d’octroi des marchés publics au niveau de ministres et de directeurs. Il faut responsabiliser entièrement la Commission nationale des marchés. Dites-vous bien que cette situation a commencé avec l’Alternance. Je n’ai jamais vu, jusqu’en 2000, un ministre donner un marché. Ils ont modifié les textes pour faire des ministres des ordonnateurs de dépenses, leur donner la possibilité de donner des marchés. Cela n’a jamais existé ; j’ai été ministre, je n’ai jamais donné de marché. Il faut revenir à cette orthodoxie. Puisque l’expérience qui est tirée de ce motif de la priorité des procédures, à aller plus vite, à responsabiliser les ministres, a montré ses limites. C’est une porte ouverte pour la gabegie, la concussion, les détournements. C’est extrêmement grave pour les citoyens sénégalais, pour l’Administration sénégalaise. Au-delà de la faute de gestion, c’est une perte énorme des moyens de l’Etat. Chaque fois, pour acheter un ordinateur, vous mettez le prix de quatre, vous «sous-équipez» votre administration. Chaque fois que vous construisez un dispensaire, vous mettez le prix de cinq dispensaires pour en faire un, vous perdez quatre dispensaires ; chaque fois que vous achetez un véhicule au prix de sept véhicules, vous diminuez votre parc automobile.
A ce sujet, les auditeurs ont pu relever des choses cocasses au niveau du ministère de la Solidarité, alors dirigé par Awa Ndiaye. Par exemple, des commandes de cuillères à 37 000 FCfa l’unité, des nattes à 15 000 FCfa l’unité, des clés Usb à 80 000 FCfa l’unité…
Le problème, ce n’est pas combien ça coûte. Ce qu’il faut se demander, c’est qu’est-ce qu’un ministre fait avec des ustensiles, avec des nattes? Si vous devez équiper des centres, il faut le donner aux intendants. Qu’est-ce que le ministre va faire avec ça ? C’est pour faire des cadeaux à quelqu’un ? Les tapis, c’est pour équiper les ministères ? Ce ne sont pas de mobilier de bureau, ça. Est-ce qu’un ministère a vocation à acheter des tapis de prière ? Voilà les questions qu’on doit se poser, au lieu de s’attarder sur les prix.
Maintenant, sur le prix des couteaux, on peut vous sortir des inepties du genre : «On peut trouver des services de table à… » C’est faux ! Parce que quand un ministère achète, je ne vois pas pourquoi l’achèterait-il à 4 millions ? Et pour qui ?
Le contrôle pose trois problèmes : la moralité de la dépense, l’opportunité de la dépense et la régularité de la dépense. Voilà, les critères fondamentaux sur lesquels on s’appuie en matière de contrôle administratif.  
Même si les gens voulaient détourner, mieux vaut acheter 1 000 couteaux à 3 700 francs Cfa que 100 à 3 700 francs Cfa. C’est plus vraisemblable. Au moment où les gens font le contrôle, les couteaux disparaissent.
Est-ce que là vous n’êtes pas en train de donner une piste aux autres pour détourner ?
Non ! C’est pour montrer l’idiotie de cette pratique. Quand je faisais la Terminale, il arrivait à mon professeur de philosophie d’admirer des meurtriers qui, avec une arme, font des crimes presque parfaits plutôt que d’assassiner une personne brutalement. C’est pour dire que, quelle que soit la forme de détournement, l’intelligence qu’on y met, c’est condamnable. Mais, quand c’est ça (chez Awa Ndiaye), c’est encore pire.
Parmi les personnalités épinglées, il y a l’ancien maire Pape Diop. Ce dernier dit n’avoir pas perçu de pré-rapport ; l’Armp dit l’avoir envoyé à la mairie. Et le maire Khalifa Sall a même promis des enquêtes. (L’entretien a été réalisé le dimanche 7 février 2010). Comment tout cela peut arriver ?
Il y a un problème qui manque dans toute ma lecture. Je ne vois pas la date précise à laquelle le pré-rapport a été envoyé. Au moins, il y a eu une décharge. C’est quelque chose que je ne comprends pas. En tout état de cause, cela ne règle pas le problème. Si Pape Diop dit qu’il n’a pas reçu de pré-rapport, on lui en donne un autre et qu’il réponde. Où est le problème ? Il faut être pratique. Il ne faut pas perdre son temps avec qui a reçu et qui n’a pas reçu. Il faut lui faire un rapport et qu’il réponde. C’est très simple. Même si Khalifa Sall retrouve celui qui l’a reçu, est-ce que cela engage Pape Diop ? Non !
Les gens ont réclamé des sanctions à l’encontre des personnes fautives. Est-ce des illusions ?
Cette fois, le contexte a changé. Je ne peux pas préjuger de l’attitude du président de la République, ni du degré de sanction. Mais, ce qu’il y a d’extraordinaire, contrairement aux rapports de l’Inspection générale d’Etat qui ne sont jamais publiés, sauf autorisation du président de la République qui les déclasse, c’est que les rapports de l’Armp ont été publiés. C’est tout à fait nouveau. Donc, le président de la République, certainement, prendra des décisions. De quelle nature ? Je ne sais pas. Les conditions sont telles qu’aujourd’hui, personne ne peut nier ces faits qui ont été constatés.

Mais ce n’est pas la première fois qu’on épingle de hautes personnalités de l’Etat et que l’affaire reste sans suite… 
De tous les audits qu’on a faits de par le passé, nous n’avons jamais eu pareils détails. On disait que l’Inspection d’Etat a fait un seul truc : il faut le déclasser ; mais là, le contexte a changé. La nature du rapport a été précisée. Les rapports ont été mis sur la place publique. Je ne vois pas comment on peut faire l’impasse sur ça. Jusqu’à preuve du contraire, le Président devra prendre des mesures. On ne peut vraiment pas laisser passer cette affaire par pertes et profits ; ce n’est pas possible.
Après avoir été un candidat malheureux aux dernières élections locales, comment vous jugez le travail du maire de Dakar, Khalifa Sall ?
Je suis actuellement conseiller municipal à la ville de Dakar. Je sais que Khalifa Sall, à la tête de la mairie, avance. Son équipe d’élus a un très bon programme politique. Parce que, du point de vue de la relation entre l’institution et les populations, ils ont créé des formules d’interface avec les conseillers consultatifs. Quand on regarde l’orientation budgétaire de la ville de Dakar 2010, le programme sectoriel hors budget comme le kit sportif à l’école, le lait à l’école, l’école verte, le désencombrement des rues, la recherche d’espace pour les marchands ambulants, on peut véritablement dire que les problèmes de la ville de Dakar sont en train d’être posés ; et c’est cela le plus important. De ce point de vue, il a pris le bon pli. Il reste maintenant de trouver la bonne articulation avec l’Etat central, parce que la ville de Dakar et toutes les autres collectivités locales sont des démembrements de l’Etat. Il faut que l’Etat et la mairie jouent leur rôle. Chacun agissant dans son domaine de compétences, nous trouverons des solutions aux problèmes des Dakarois.
Apparemment, c’est loin d’être le cas avec le conflit foncier qui oppose la mairie de Dakar et l’Etat au niveau du Cerf Volant…
C’est pourquoi je dis qu’il faut trouver la bonne articulation entre l’Etat et les marchands ambulants. Il ne faut pas qu’il y ait des conflits de compétences autour d’enjeux politiques. Je m’explique : l’encombrement de Dakar-je l’ai dit et je l’ai répété-n’est pas le fait des marchands ambulants. Ce qui encombre la voirie de Dakar, ce sont les commerçants qui ont pignon sur rue, qui utilisent les trottinettes de Dakar comme des dépôts. Quand vous passez au centre-ville de Dakar, vous trouvez des stocks d’oignons, des bouteilles de gaz, aux Parcelles assainies, à Grand-Yoff, partout. Vous trouvez des gens qui ont des autorisations de stationnement et qui mettent des piquets sur la chaussée, vous trouvez des containers qui restent pendant quinze jours sur la chaussée.
Sur la ville de Dakar, agissent le gouverneur, le préfet, les sous-préfets, le maire de Dakar, qui ont un pouvoir de Police. Donc, il ne faudrait pas, pour des enjeux politiques évidents, c’est-à-dire la captation des suffrages des marchands ambulants, que les gens se trompent de champ de compétences.
Trouver un site de recasement pour les marchands ambulants, quand la commune de Dakar a une assiette foncière, est une bonne chose. Mais, ceci ne règle pas le problème. Il faut que l’Etat, dans son domaine de compétences, prenne des mesures d’accompagnement. C’est là où nous devons appeler l’arbitrage du président de la République et non l’implication du gouvernement. Je parle sous réserve : il faut qu’il soit établi que cette zone litigieuse appartient effectivement à la ville de Dakar.  De ce que j’en sais, sans en avoir tous les éléments, il semble que c’est depuis 2006, avec Pape Diop, ancien maire de Dakar, que les gens avaient réussi à trouver un accord. Je ne peux pas vous dire, au moment où je vous parle, que ce terrain est un titre foncier de la mairie ou celui de l’Etat. C’est ça le problème. Si les gens avaient trouvé un arrangement avec Pape Diop, il faut continuer avec la mairie de Dakar.
Le terrain est contigu à celui qui est affecté à la construction de la grande mosquée mouride de Dakar. Mais ce même terrain était affecté à la Cnts (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal). L’Etat a compensé la Cnts en échange du site de la Bourse du travail. C’est-à-dire que ça n’appartient pas à l’Etat.
Pourquoi je dis qu’il y a une compétition, un enjeu politique ? Nous avons bien suivi le ministre du Commerce qui dit avoir dégagé 3 milliards pour recaser les marchands ambulants vers Keur Massar. Voilà un peu les obstacles qu’il faut lever. Il ne faut pas que, dans une bataille politique, la ville de Dakar, les citoyens soient pénalisés.
 Récemment, le ministre conseiller du Président, Serigne Mbacké Ndiaye, a fait une sortie appelant les marchands ambulants à la résistance…
(Il coupe) Vous avez, ce monsieur-là, vraiment je ne veux pas répondre à ce qu’il dit.
On dit qu’il est le bras armé du président de la République…
C’est pourquoi je préfère prendre de la hauteur, parce que ce sont des attitudes irresponsables. Dans ce pays, on n’arrive pas à prendre de la hauteur par rapport à certaines questions. Je ne donne jamais d’importance, comme la presse l’a fait, à des gens qui n’ont aucune étoffe.
Maintenant, ce qu’on ne peut pas accepter, c’est une volonté délibérée de faire obstacle à l’exécution de la politique municipale, au nom des valeurs de la République. Nous avons eu des situations de cohabitation en France entre le maire de Paris, de la droite (Jacques Chirac), et le président de la République qui, lui, est de la gauche (François Mitterrand). Quand il a fallu construire le Stade de France, la Bibliothèque de France, il y a eu des problèmes qui se sont posés au départ, mais finalement, au nom des intérêts de la République, la gauche de Mitterrand et la droite de Chirac se sont entendues. Ce sont là les valeurs républicaines qu’il faut sauver.
  Lors des universités d’été du Ps, Ousmane Tanaor Dieng avait appelé aux retrouvailles de la famille socialiste. Dans une interview accordée au journal le Soleil, vous disiez que vous étiez disposé à retourner au Ps, mais sous conditions. Est-ce que ce n’est pas là une manière de fermer définitivement la porte ?
Je ne ferme aucune porte. C’est le minimum, quand les gens veulent se retrouver, que l’on pose des plateformes par rapport à ce retour. Vous voulez que je dise : «Messieurs, je retourne au Ps.» Je ne le ferai jamais. Moi, je ne pose pas de conditions, mais des préalables nécessaires à des retrouvailles. Qu’il s’agisse de moi ou bien d’autres socialistes qui ont des partis. Et je ne change pas ; je ne ferme aucune porte. Si aujourd’hui je vais au Ps pour y occuper des strapontins, je ne le ferai pas ! Vous voulez que j’aille au Bureau politique où il y a 60 membres et que je sois soixantième ? Je ne l’accepte pas ! Qu’est-ce que je fais alors de mon passé,  de mon Cv ?
La deuxième chose, c’est que si je réintègre le Ps, cela veut dire que je suis d’accord avec tout ce que le Ps a fait jusqu’ici. Suis-je d’accord sur les Assises nationales, sur Bennoo ? Avant d’y aller, il faut qu’on me pose des questions sur cela.
Que pensez-vous justement de ces sujets ?
Les Assises, c’est une excellente chose. Parce que ce sont des cadres, appartenant à des partis politiques, qui ont une expérience de la gestion de l’Etat, des hommes de l’envergure de Moustapha Niasse, qui ont un vécu au plan national, un portefeuille au plan international, des universitaires, des commerçants, qui se sont réunis pour réfléchir sur le pays ; c’est de l’expertise.
La deuxième chose, c’est tout l’aspect politique qui suit : modification des institutions, gouvernement de transition, candidature unique, candidatures plurielles, programmes des partis.
Même en dehors du Ps, j’ai mon opinion là-dessus. On vous dit qu’il faut un Président de transition. A partir de quel moment commence la transition ? Je suppose que ce sont des républicains. Au moment de faire des élections, vous n’avez pas changé de Constitution, alors comment vous pouvez demander à un Sénégalais de voter pour un candidat qui doit être élu pour 5 ans ? On élit pour 5 ans ; il quitte au bout d’un an. Où est l’aspect républicain ? Parlons sans passion !
Troisièmement, j’appartiens à un parti, supposons que c’est le Ps ou l’Afp, mais le programme sur lequel je m’engage, ce n’est pas le programme des Assises. Les gens ont signé la charte pour qu’il l’applique. Vous avez trois candidats pour un programme. Pourquoi avoir trois candidats ? Ce sont des questions très sérieuses sur lesquelles un homme politique comme moi s’attarde et réfléchit.
La quatrième chose : on n’entend plus les partis parler des conclusions des Assises. On ne parle plus de Code électoral, de candidatures plurielles. S’ils ne comptent pas l’appliquer, ils doivent dire aux Sénégalais leur programme pour lutter contre les inondations, pour l’agriculture, pour la santé, etc.
La qualité des hommes de l’opposition devrait nous amener à débattre des questions du pays ; on ne l’a pas fait. Et dans ce jeu, le Ps devait être la tête de file. Le Ps et l’Afp ont un rôle historique dans la proposition de solutions aux Sénégalais. Je m’attendais à ce qu’à la sortie des Assises, toutes les semaines, tous les mois, qu’on déroule un élément de ces Assises comme des contre-propositions, ou un élément de contribution à la politique de Wade.
Macky Sall a annoncé sa candidature en 2012. Est-ce à dire que la question de la candidature unique est définitivement écartée ?
Pas forcément. Maintenant, il faut régler le problème de Tanor et Niasse. Ce sont les candidats potentiels. Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho, Madior Diouf, tous, ont dit qu’ils ne vont pas se présenter. Il faut bien que l’un d’eux se retire.
Vous pensez que ce sera facile. Est-ce qu’il n’y a pas un problème d’ego entre ces deux hommes ?
Ce n’est pas un problème d’ego, c’est un problème d’appareil. Peut-être que les gens de Macky Sall l’ont dit de manière brutale, maladroite. Mais, un parti doit avoir son programme politique. Vous ne pouvez pas avoir un programme et laisser les autres l’appliquer. Si un candidat dit qu’il se range derrière l’autre, il n’y a plus qu’à régler les problèmes de Macky. La solution pour les gens de la sensibilité socialiste, allant du marxisme, au léninisme, à la social-démocratie, c’est de fusionner les partis. En ce moment, tous les arrangements se feront à l’intérieur de ce parti. Je vous donne l’exclusivité d’une affaire que je mûris depuis longtemps. A l’intérieur du parti, vous dites qu’en cas de victoire, un tel sera le Président, le Secrétaire général du parti est président de l’Assemblée nationale, un tel est Premier ministre, etc. Mais, personne ne pourra, après les élections, trahir l’autre. Les gens n’ont plus confiance après ce qui s’est passé avec Wade. Les gens sont traumatisés. Si vous prenez Macky ou un autre comme président de la République, vous l’élisez, vous lui parlez de transition, il dit : «Moi, je suis élu pour 5 ans.» Qu’est-ce que vous pouvez faire ? C’est une illusion incroyable que de parler de transition à partir d’une Constitution qui existe, telle que la nôtre. Qui peut assurer toutes ces garanties ? Quel est le pays sous-développé dans lequel le Président accepte de transférer tous ses pouvoirs à un Premier ministre ? Nous ne pouvons pas avoir un régime parlementaire dans les conditions actuelles du pays. C’est l’instabilité. C’est illusoire de demander à un Président de ne pas avoir un pouvoir fort.
Que pensez-vous de l’idée de Me Wade de rapatrier les Haïtiens en Afrique ?
Si le Président s’en tient à la symbolique du retour, c’est très fort, c’est très généreux. On s’en tient là. L’histoire retiendra qu’un Président du nom de Abdoulaye Wade a demandé le rapatriement ou le retour du peuple haïtien. On ne peut pas aller au-delà. Pourquoi ? Si vous devez amener tous les Haïtiens en Afrique, cela veut dire que vous faites disparaître l’Etat haïtien, parce que vous ne pouvez pas constituer l’Etat haïtien en Afrique. Les juristes définissent l’Etat comme un territoire commun, un gouvernement et un même peuple ; c’est l’une des définitions de l’Etat. Ce n’est pas opérationnel, faisable. Il faut qu’il reste sur la symbolique comme Senghor chantait la Négritude.
La deuxième chose : ce n’est pas parce que les Haïtiens ont rompu avec les Africains ; c’est parce que les Haïtiens se sont mis dans le giron de l’Amérique. Est-ce que de votre souvenance, vous avez vu une forte revendication des Haïtiens à l’Afrique ? Parlons intellectuellement, sans passion. Au-delà de la douleur suscitée par l’événement, les Haïtiens sont plus proches à l’Amérique qu’à l’Afrique.
Ensuite, le patrimoine culturel des Haïtiens. Vous ne pouvez pas le transférer en Afrique et l’éclater entre les Etats. Je ne parle pas des conflits qui vont naître dans 25, 50 ans.
Le président de la République a aussi préconisé la ponction sur les salaires des travailleurs…
Le plus grand danger pour un chef d’Etat, c’est de prendre une décision qui réveille un nationalisme. Si vous analysez la réaction, dès que le président de la République a parlé de ponctionner les salaires pour aider les Haïtiens, les Sénégalais ont dit : «Et nous ?» Quand vous faites cela, c’est comme si vous coupez le cordon qui vous liait à votre pays. Du point de vue même de la relation affective entre le chef et son peuple, il y a une cassure. Il faut plutôt appeler les Sénégalais à la solidarité avec le peuple haïtien suivant les moyens qu’ils estimeront adéquats. Le président de la République doit dire : «C’est vrai que nous avons des problèmes, mais l’ampleur des dégâts n’est comparable à aucune autre calamité chez nous. Je demande aux autres Sénégalais qui le peuvent, de donner un, deux ou trois jours de leur salaire.»

Lequotidien.sn

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